corneillet_laodice.xml

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      <titleStmt>
        <title>Laodice, reine de Cappadoce. Tragédie</title>
        <author key="Corneille, Thomas (1625-1709)">Thomas Corneille</author>
        <principal>Georges Forestier</principal>
        <editor>Garlonn Moreau</editor>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>Édition critique établie par Garlonn Moreau dans le cadre d'un mémoire de maîtrise
          sous la direction de Georges Forestier (2001-2002)</edition>
        <respStmt>
          <name>Amélie Canu</name>
          <resp>Édition XML/TEI</resp>
        </respStmt>
        <respStmt>
          <name>Frédéric Glorieux</name>
          <resp>Informatique éditoriale</resp>
        </respStmt>
      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <publisher>CELLF 16-18 (CNRS &amp; université Paris-Sorbonne)</publisher>
        <date when="2014"/>
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          <licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/"/>
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        <idno>http://bibdramatique.paris-sorbonne.fr/corneille-thomas_laodice/</idno>
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        <bibl><title>Laodice, reyne de Cappadoce, tragédie.</title>
          <author>Par T. CORNEILLE</author>. A ROUEN, Et se vend A PARIS, Chez CLAUDE BARBIN, sur le
          second Perron de Sainte Chapelle. M. DC. LXVIII. AVEC PRIVILEGE DU ROI</bibl>
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        <date when="1668"/>
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          <term subtype="tragedy" type="genre">Tragédie</term>
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        <docTitle>
          <titlePart type="main">Laodice Reyne de Cappadoce</titlePart>
          <titlePart type="sub">Tragédie.</titlePart>
        </docTitle>
        <docAuthor>Par T. CORNEILLE.</docAuthor>
        <docImprint>A ROUEN, Et se vend
          <lb/>A PARIS,
          <lb/>Chez CLAUDE BARBIN, sur le second
          <lb/>Perron de la Sainte Chapelle.
          <lb/>M. DC. LXVIII.
          <lb/>AVEC PRIVILEGE DU ROY.</docImprint>
      </titlePage>
      <div>
        <head>Introduction</head>
        <p><hi rend="i">Laodice</hi><note place="bottom"><hi rend="i">Laodice</hi>, Rouen ; Paris,
            Barbin ; Quinet, 1668. 12°. <hi rend="i">Priv</hi>. fev. 21, <hi rend="i">achevé</hi>
            mars 8.</note> fut représentée en février 1668 l’Hôtel de Bourgogne devant le roi où
          elle remporta un grand succès. Elle rappelle sensiblement la manière du grand Corneille,
          sans doute parce qu’y sont privilégiées des « passion[s] plus noble[s] et plus mâle[s] que
          l’amour, telles que […] l’ambition et la vengeance, et [qui vont] donner à craindre des
          malheurs plus grands que la perte d’une maîtresse<note place="bottom">Pierre Corneille,
              <hi rend="i">Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique</hi>, dans <hi
              rend="i">Trois discours sur le poème dramatique (texte de 1660)</hi>, éd. Louis
            Forestier, 1963, p. 46.</note> ». Au moment de la représentation, Louis XIV règne
          réellement depuis sept ans. Il a divinisé la royauté et donné à la fonction royale un
          caractère quasi solaire et pharaonique. Nous sommes en pleine période de fêtes de Cour,
          d’opulence. Versailles est en cours de construction. Le totalitarisme monarchique
          grandissant justifie donc l’absence de dédicace dans notre pièce.</p>
        <p>Thomas Corneille, frère du grand tragique, né à Rouen le 20 août 1625, mort aux Andelys,
          le 9 décembre 1709, fut un auteur de talent, l’un des plus populaires de son temps. On lui
          reconnaît une remarquable intuition. Il sait les recettes efficaces pour séduire le
          public. Sa première tragédie, <hi rend="i">Timocrate</hi>, fut un triomphe extraordinaire.
          La pièce la plus applaudie du XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle ne fut ni <hi rend="i">Le
            Cid</hi> ni <hi rend="i">Andromaque</hi> : ce fut précisément <hi rend="i"
            >Timocrate</hi>. Selon Louis Lapert, « Il avait à merveille le flair de ce qui allait
          plaire au public, avant que le public ne le sût lui même<note place="bottom">Louis Lapert,
              <hi rend="i">Pierre Corneille, ses frères Antoine et Thomas, leur famille maternelle
              et leurs amis au Pays de Caux</hi>, Association pour l’animation et la coordination
            culturelle à Yvetot et dans le pays de Caux, 1984.</note>. » Thomas Corneille n’a que
          31 ans au moment de la représentation. Nous sommes en 1656. On lui connaît également une
          amitié étroite avec son frère, de vingt ans son aîné. « Le Grand Corneille » exerce une
          sorte de tutelle sur Thomas qui n’a que quatorze ans lors du décès paternel. Il s’occupe
          de son instruction, lui apprend l’espagnol. Par la suite, ils épousent les deux sœurs et
          vivent sous le même toit. Leur cohabitation étroite facilite la collaboration dans le
          travail, ce qui explique que l’on ait parfois parlé d’inspiration réciproque. Ajouté à
          cela la facilité de versification de Thomas, tenue pour prodigieuse, et l’on comprend
          mieux les origines de certaines anecdotes pour le moins farfelues. Voisenon voulait
          notamment qu’une trappe reliant les chambres des deux frères ait permis à Thomas de
          souffler des rimes à son aîné. Effectivement très fécond, il fait preuve d’une grande
          diversité créatrice : à la fois poète, littérateur, grammairien et géographe, il est loué
          par Voltaire qui le décrit comme « un homme de grand mérite et d’une vaste littérature ».
          Il produit quarante-trois pièces, une grammaire, un dictionnaire de géographie et
          d’histoire, trois opéras, ainsi que des traductions et quelques poésies.</p>
        <p>Dans <hi rend="i">Laodice</hi>, Corneille s’éloigne de son habituel penchant pour le
          romanesque et la galanterie. Il se libère davantage du goût prédominant du public de cour
          pour donner lieu à une tragédie sauvage et cruelle où la galanterie ne tient désormais
          qu’une place de second plan et qui s’inscrit en cela dans la lignée de la <hi rend="i"
            >Rodogune</hi> et de l’<hi rend="i">Héraclius</hi> de son frère aîné. Il en demeure que
          ce type d’intrigue ayant trait aux cruautés Orientales fascine les contemporains. Thomas
          ne prend donc pas de risque. Avec un tel sujet, il s’assure au contraire un succès
          retentissant. On sait que, comme tout auteur classique, il a pour dessein premier de
          plaire. Il connaît les recettes, sait comment séduire un public, comment flatter son
          intérêt. Il sait les ruses et les noirceurs efficaces. Les séries noires assurent encore
          les succès faciles. L’Orient, avec ses cruautés et ses problèmes dynastiques insensés
          constitue un véritable vivier pour tout auteur tragique. Tout se règle à coup de poison,
          de parricide. Si ces provinces constituent un fantasme aussi grand, c’est surtout parce
          que dans l’imaginaire des contemporains, elles sont la rencontre de l’Occident et de
          l’Orient. À noter que l’éloignement tragique autorise la représentation de tels
          débordements, et la manifestation du plaisir qu’ils suscitent.</p>
        <p><hi rend="i">Laodice</hi> est l’histoire d’une reine, régente du trône de Cappadoce, qui
          fait assassiner cinq de ses fils pour se maintenir au pouvoir. Quinze ans plus tard, elle
          tombe amoureuse d’un mystérieux jeune homme qui brille par ses qualités, et qui n’est
          autre que le survivant – Ariarate – dissimulé sous un nom d’emprunt – Oronte. Une journée
          actualise toutes ces tensions, et c’est là que débute notre tragédie.</p>
        <p>La crise tragique est d’autant plus violente que l’horreur du passé a été étouffée par
          Laodice. Figure de la démesure humaine, elle tente en vain de suspendre le cours du temps,
          de retarder les décisions, de bâillonner la vérité, d’étouffer l’horreur pour satisfaire
          ses désirs de pouvoir. La tragédie met en scène l’échec de cette volonté, elle met en
          scène une agonie.</p>
        <p>Dés l’acte I, le spectateur sait, comme Rome, comme Ariarate dit Oronte, comme Phradate
          son confident, comme Axiane et Alcine qui exposent la situation, donc le spectateur sait,
          comme tous, le dénouement de la tragédie. Il sait que Rome, instruite de la folie de la
          reine, vient rétablir l’ordre par l’intermédiaire d’un ambassadeur. Dés le commencement,
          la fin est programmée : Aquilius, dont le nom revient comme un leitmotiv au cours de la
          pièce, comme pour mieux marquer l’imminence, le rétrécissement du maigre sursis laissé par
          « la Reyne des Roys », vient pour révéler l’identité d’Ariarate et le placer sur le Trône.
          Seule l’héroïne l’ignore.</p>
        <p>Le tragique est là : pendant une longue, harassante journée, une femme réunit ses forces
          restantes, puise dans ses ressources les plus profondes pour livrer l’ultime combat,
          laissant le spectateur ébloui par tant d’énergie déployée pour une lutte perdue d’avance.
          Sauvage, vaine, sublime, <hi rend="i">Laodice</hi> laisse dans l’esprit du spectateur une
          émotion violente qui n’est pas sans rappeler celle de la Corrida. Mais, à la sauvagerie
          primitive de cet affrontement de forces, Thomas Corneille, en digne homme de son temps,
          greffe les noirceurs d’une finesse étourdissante et nécessaire à la séduction d’un public
          avide de complications. Ce qui met du sel dans cette intrigue, ce n’est pas la simple
          impuissance de Laodice, le fait qu’elle soit le jouet d’une puissance supérieure. Ce qui
          intéresse, ce qui divertit, ce qui horrifie agréablement, c’est le fait que l’héroïne
          croit jouer, tenir les ficelles alors que c’est précisément elle qui est jouée.</p>
        <p>Nous l’aurons compris, Laodice est une tragédie où le temps est bloqué. Dés la première
          scène, l’enjeu est fixé : il faudra le débloquer. Les premiers vers :</p>
        <quote>
          <l>Quoy, le Senat depute, et sans daigner attendre</l>
          <l>Qu’icy l’ambassadeur ait le temps de se rendre</l>
        </quote>
        <p>sonnent déjà comme une imminence. Le sablier est retourné. Dés lors peuvent s’affronter
          les volontés contraires et le spectacle commencer : Laodice veut maintenir le statisme
          originel de l’univers qu’elle s’est construit tandis que gronde aux portes de cet
          espace-temps figé la colère d’un monde extérieur ne pouvant en accepter plus. Le peuple,
          Rome, les Princes, son fils, tous, comme saturés du poids de tout un passé étouffé,
          resserrent l’étau, pressent. L’horreur tue déborde de partout, suinte, s’infiltre dans son
          espace clos. Toutes ces menaces accumulées, ce lourd passé semble n’avoir existé que pour
          s’actualiser en un moment et provoquer cette crise tragique. Il faut faire un choix, et
          vite. Aquilius arrive sans tarder, Laodice doit agir : se plier à la volonté romaine, ou
          ruser pour déjouer leur « Politique ». L’action est donc lancée par la nécessité de ce
          choix.</p>
        <p>Un second enjeu pousse l’action, privé cette fois : la conquête de l’amour maternel par
          un fils cruellement rejeté. Cet enjeu seul justifie le procédé à la mode de la
          dissimulation d’identité, procédé qui bien qu’en vogue n’est pas gratuit. Il permet à
          Corneille de joindre sphère privée et sphère publique. Si Ariarate ne cherchait pas à
          cacher sa véritable identité, Laodice ne serait pas tombée amoureuse de son fils, et
          n’aurait pas à dissimuler des desseins qu’elle saurait vains. Autrement dit, sans cette
          dissimulation originelle, l’engrenage et la crise tragique n’auraient pas lieu.</p>
        <p>La dissimulation est en effet un des moteurs fondamentaux de l’intrigue. Il n’est
          question que de complots, de manœuvres secrètes. Laodice à l’acte II révèle à Cléone ses
          machiavéliques desseins, à savoir nommer un homme de paille au pouvoir pour devancer la
          volonté de Rome ; Anaxandre intrigue auprès d’« Oronte », puis de la reine pour accéder au
          trône, il a pour mission, à l’acte IV d’éliminer le faux Ariarate, Ariarate est envoyé par
          Rome depuis deux ans pour briguer la volonté de sa mère sous une identité secrète, Rome
          envoie un héritier imposteur en Cappadoce pour prévenir les conjurations éventuelles, et
          punir par là même son imposture, même Axiane dissimule puisqu’elle se fait violence pour
          taire son amour. On cache, donc, on étouffe, on dissimule énormément dans cette tragédie,
          du moins s’y efforce-t-on, mais la vérité éclate d’autant plus douloureusement à chaque
          fois. Axiane avoue son amour avec la plus grande aigreur, la scène où Ariarate révèle son
          identité à sa mère est extrêmement douloureuse et violente, Anaxandre est sauvagement mis
          à mort par un peuple qui, informé des intentions parricides de Laodice, entre en furie, et
          vient jusqu’aux portes du palais lui crier sa haine et lui proférer des menaces de
            mort<note place="bottom">V. 1725 et 1726 : «  Joignant insolemment l’injure à la
            menace / Du plus sanglant reproche ils armoient leur audace »</note>. Le non-dit
          fonctionne donc comme moteur de l’action puisqu’il exaspère les tensions. L’horreur
          enfouie, enterrée, rejaillit avec une violence, une crudité décuplée au moment
          opportun.</p>
        <p>L’intrigue se déroule en cinq temps. Il est d’abord question de ce qui s’est produit dans
          le passé, avant que la pièce ne débute. Rome a donné aux fils du roi de Cappadoce, mort au
          combat, des provinces d’Asie en récompense de guerre. Pour conserver le Trône, son épouse,
          Laodice, en fait périr cinq, et engage un meurtrier pour éliminer le sixième en otage à
          Rome. Pris d’horreur, il n’en fait rien et revient en feignant avoir accompli sa
          mission. Laodice le croit donc mort et peut ainsi prétexter à loisir attendre son retour
          pour se maintenir au trône. Ne reste qu’une fille, Arsinoé – qui n’apparaît jamais.
          Seconde étape : l’action débute. Rome et le peuple s’impatientent. Nommer un Roi devient
          pressant. Par conséquent, deux issues sont possibles : Laodice fait choix d’un époux pour
          sa fille Arsinoé, ou le fils présumé vivant réapparaît et épouse Axiane, princesse de
          Cilicie, province annexée par Rome. Parallèlement, Ariarate, qui n’est autre que le fameux
          survivant, se dissimule sous le nom d’ « Oronte » et se dévoue à la reine depuis deux ans
          dans le but de se faire aimer d’elle. Il exerce une grande influence sur cette dernière
          qui ne décide rien sans lui. Ariarate est amoureux d’Axiane mais lui tait son identité
          pour s’assurer de la pureté de ses sentiments. Phradate, confident d’Ariarate est lui même
          épris d’Arsinoé, dont beaucoup d’intrigants convoitent la main, Anaxandre notamment. Les
          problèmes se mettent en place lors d’une troisième étape. Laodice aime passionnément
          « Oronte » sans savoir qu’il s’agit de son fils. Afin de satisfaire son désir double, elle
          projette d’en faire son époux. Ce faisant, elle le posséderait, règnerait – puisqu’il lui
          serait soumis, lui devant tout –, et calmerait les impatiences de Rome et du peuple en
          prétextant la nécessité de son mariage pour la conservation d’un trône qui ne serait
          restitué par le mari de sa fille. Face à l’annonce de sa volonté, Ariarate, qui prend
          cette décision pour une victoire – il a conquis la confiance maternelle – demeure muet,
          tandis qu’Anaxandre manifeste de la jalousie. Une quatrième étape voit ces tensions se
          développer. Un imposteur apparaît sous le nom d’Ariarate. Il s’agit en réalité d’une
          manœuvre de Rome destinée à le punir et prévenir les conjurés éventuels. Laodice, dupée,
          sollicite « Oronte » pour éliminer ce fils importun. Ce dernier refuse. Furieuse, elle se
          tourne donc vers Anaxandre. Ces tensions se résolvent enfin dans un cinquième temps.
          L’imposteur est tué d’un coup d’épée lors d’une querelle de généraux. Laodice feint
          l’affliction et soupçonne publiquement « Oronte » de culpabilité. Anaxandre, arrêté par la
          volonté d’Aquilius, meurt assassiné par le peuple, et avoue dans son dernier souffle la
          culpabilité de la reine. Pendant ce temps, Laodice se déclare à son fils qui lève le voile
          sur son identité. Désespérée, la reine se poignarde face au peuple en furie. Ariarate et
          Axiane se préparent à annoncer leurs noces au peuple.</p>
      </div>
      <div>
        <head>Les sources de la pièce</head>
        <div>
          <head>Les sources historiques</head>
          <p>Comme l’indique Thomas Corneille dans son avis au lecteur, le sujet de cette tragédie
            est tiré du trente-septième livre de Justin. À l’origine d’un abrégé de <hi rend="i"
              >L’Histoire universelle</hi> de Trogue Pompée<note place="bottom">Sous Auguste ou
              Pompée.</note>, Justin, ne s’agissant pas d’un auteur original, demeure relativement
            mystérieux. On le situe au III<hi rend="sup">e</hi> ou IV<hi rend="sup">e</hi> siècle
            sous Antonin le Pieux, mais l’on doute même de son nom. <hi rend="i">L’Histoire
              universelle</hi> de Trogue Pompée embrassait toutes les nations, les peuples, les
            rois. On lui reproche pourtant de manquer d’unité, laissant chaque nation à part.
            L’objectif de Justin était de ne composer qu’un « léger bouquet de fleurs ».
            Malheureusement, notre abréviateur brise quelque fois la chaîne des faits, supprime au
            lieu d’abréger, mutile l’histoire. Il se trompe assez souvent sur les temps, les faits,
            les personnes et les lieux. Certains de ses livres pourtant sont les seuls qui nous
            restent sur un fait important.</p>
          <p>Le livre XXXVII raconte comment Attale, roi de Syrie, sujet à la démence, meurt en
            léguant la Syrie à Rome. Le fils de l’oncle d’Attale s’empare alors de l’Asie. Débute
            une guerre dont Rome sortira victorieuse. En récompense aux rois qui l’ont soutenue,
            Rome donne la Haute-Phrygie à Mithridate, roi du Pont, la Lycaonie et la Cilicie aux
            fils d’Ariarathe, roi de Cappadoce mort au combat. Selon Justin, le peuple romain les
            traita mieux que leur mère Laodice puisque, « tandis qu’en leur bas âge il étendait leur
            empire, leur mère leur ravissait la vie ». En effet, quand plusieurs de ses six fils
            atteignirent l’âge adulte, Laodice,</p>
          <quote>
            <p>craignant donc de perdre bientôt le gouvernement de l’Etat […] fit périr cinq d’entre
              eux par le poison. Le plus jeune, dérobé par sa famille à la cruauté de sa mère, se
              trouva seul souverain par la mort de Laodice, dont le Peuple punit la cruauté en
              l’immolant.</p>
          </quote>
          <p>Justin fournissait donc juste une matrice tragique au dramaturge : des circonstances
            historiques préalables – Une guerre engageant l’Asie Mineure et Rome. La victoire de
            cette dernière. Les récompense aux alliés : La Lycaonie et la Cilicie aux fils du roi de
            Cappadoce. Leur assassinat par une mère qui craint de perdre le gouvernement. La survie
            du plus jeune dérobé à sa mère – présentées dans l’exposition et le résultat ultime de
            ces évènements antérieurs – La mort de Laodice et l’accès au trône de l’héritier –
            constituant le dénouement de la tragédie. Entre les deux il fallait tout inventer pour
            motiver ce que donnait l’histoire : un simple dénouement. Il fallait imaginer, à partir
            des données initiales, un enchaînement vraisemblable de causes à effets menant à l’effet
            final et qui soit à même d’intéresser le public contemporain et d’être en accord avec
            les codes de ce théâtre classique. Il fallait autrement dit mettre en intrigue une
            histoire comprenant un certain type de conflit suscité ici par la passion noble qu’est
            l’ambition ; un certain type d’action, illustre, extraordinaire, sérieuse, confrontant
            ses héros à de grands dangers ; un certain type d’effet, enfin, produit sur le public,
            soit ici la terreur, plus que la pitié. Comment, en d’autres termes, faire déchoir la
            reine de son trône en mettant en relation cette déchéance avec la survie d’un fils
            qu’elle aurait fait périr s’il ne lui avait été subtilisé ?</p>
          <p>Tous les évènements mis en scène entre l’exposition et le dénouement sont donc le fruit
            de l’imagination de Thomas Corneille, comme lui même le fait entendre :</p>
          <quote>
            <p>Le sujet de cette tragédie est tiré du trente-septième livre de Justin. Ceux qui
              auront la curiosité de l’y chercher, connoistront ce que j’ai adjousté à l’Histoire
              pour l’accommoder à nostre Theatre<note place="bottom">Cf l’avis au lecteur de <hi
                  rend="i">Laodice</hi>.</note>.</p>
          </quote>
          <p>Le nœud et les rebondissements, soit l’essentiel de l’action ne sont donc que « des
            embellissements de l’invention et des acheminements vraisemblables<note place="bottom"
              >Pierre Corneille, <hi rend="i">Trois discours sur le poème dramatique</hi>.</note> »
            à l’effet que présente l’histoire, soit la mort de la reine infanticide et tyrannique et
            le couronnement d’un fils qui lui a été dérobé. Nous reprendrons donc le raisonnement
            présenté par Georges Forestier dans son ouvrage <hi rend="i">Essai de génétique
              théâtrale. Corneille à l’œuvre</hi> pour montrer comment notre dramaturge a lui aussi
            utilisé le principe de la cause finale pour mettre en intrigue un récit historique. Soit
            comment, loin de procéder en cherchant à tirer une histoire cohérente de ce récit, il a
            au contraire dégager de l’histoire un seul élément fondamental, à savoir l’échec d’une
            reine tyrannique et infanticide à garder le pouvoir, qu’il constitue en dénouement de sa
            tragédie. Nous allons voir encore comment à partir de ce qu’il instaure en sujet, il
            reconstruit à rebours un enchaînement de cause à effet et qui donne l’illusion de
            conduire l’histoire à sa fin, faisant de ce sujet la cause cachée des actions. Nous
            verrons en d’autres termes comment Thomas Corneille, comme son frère, obéit à un
            principe de composition régressive, de construction à rebours déduite de la matrice
            originelle fournie par l’histoire.</p>
          <p>Comme il le dit dans son avis au lecteur, ce qui compte donc fondamentalement pour
            Thomas Corneille dans l’histoire racontée par Justin est le caractère de Laodice, qui le
            pousse à affaiblir la force de l’action principale pour lui laisser toute son étendue.
            Ne comprenons pas par-là que le disciple du grand Corneille ait fait l’erreur de
            construire son action à partir du caractère de la reine, simplement il construit son
            action autour de ce personnage fondamental. Le fils, dont il est également question dans
            l’histoire, constitue donc un personnage épisodique. Il ne faut pas l’intégrer à
            l’action principale contrairement à ce que l’on serait tenté de faire. En mettant un tel
            sujet en intrigue, Thomas Corneille a en effet choisi de dramatiser, comme son frère
            avec <hi rend="i">Rodogune</hi>, l’histoire d’une seconde Médée, et non la manière dont
            un héros héritier légitime parvient à se réapproprier le trône – comme dans <hi rend="i"
              >Héraclius</hi>, également fondé sur le déguisement – en se confrontant à un tyran
            criminel. Ceci dans notre pièce, bien qu’étroitement lié à l’action principale, est de
            l’ordre de l’épisode.</p>
          <p>Ce qui intéressait le dramaturge était la mise en scène de l’agonie d’une reine
            infanticide, le pourquoi et le comment de son échec à garder le trône. Notons que
            l’appui de l’histoire préservait l’auteur de toute querelle concernant une éventuelle
            invraisemblance de caractère. De plus le sens moral de l’histoire était préservé puisque
            la reine était punie pour ses crimes. Seulement, pour développer le caractère tragique
            d’un dénouement initialement trop simple, Thomas Corneille en a légèrement modifié le
            terme. Il fallait pour que ce dernier soit hautement tragique qu’il se fonde sur un coup
            de théâtre qui inverse l’effet des actions<note place="bottom">À la différence du sujet
              simple ou l’on passe du droit fil du bonheur au malheur.</note>. D’où l’idée d’une
            reconnaissance finale dont le caractère tragique serait l’une des causes de la mort de
            la reine. Il était donc plus intéressant pour lui de rendre non plus le peuple, mais la
            reine elle-même responsable de sa propre mort. D’une part parce que cela semblait plus
            vraisemblable par rapport à son caractère – en rendre le peuple responsable lui ôtait de
            sa grandeur et de sa dignité, tandis que le suicide mêlé à l’insulte, faisant culminer
            sa fureur, en faisait une criminelle plus parfaite encore – d’autre part parce qu’ainsi,
            cela motivait la reconnaissance – et permettait ou donnait l’occasion à Corneille
            d’avoir recours au procédé à succès du déguisement.</p>
          <p>Mais avant de dresser la liste des autres modifications et inventions du dramaturge,
            penchons-nous d’abord sur l’action principale qu’il construit à partir de cette matrice.
            Sachant que toute l’action tragique tombe sur la reine, voici la manière dont il
            l’agence : Une reine qui a déjà fait périr ses fils doit remettre le pouvoir à quelqu’un
            – commencement –, elle décide de garder le pouvoir à tout prix, en épousant son favori
            qu’elle ignore être son fils ou en tuant celui qu’elle croit être son fils – milieu –,
            après avoir appris la vérité, elle se donne la mort – fin. Corneille, à partir de
            l’élément minimal de sa mort, soit à partir de cet effet, a donc imaginé les moyens d’y
            parvenir, en prenant en compte les infanticides et la sauvegarde du plus jeune fils. De
            fait, pourquoi la reine mourrait-t-elle volontairement ? Parce qu’elle est démunie, n’a
            plus rien, à commencer par ce pouvoir qui est sa motivation fondamentale, mais il faut
            trouver autre chose pour Corneille, et qui soit en relation plus directe avec ce fils
            dont elle a voulu la mort. Par ailleurs, comment utiliser le déguisement – et le
            justifier dans l’intrigue – pour qu’il soit à même de provoquer le suicide de la reine ?
            Se rappelant les conséquences de l’ignorance d’identité d’Œdipe, Corneille a alors sans
            doute l’idée d’un amour coupable liant la mère au fils, mais seule l’ignorance
            d’identité pouvait permettre la naissance de tels sentiments, or Ariarate doit connaître
            son identité pour pouvoir reprendre sa place légitime. Il faut donc faire en sorte que
            seule Laodice nourrisse de tels sentiments, et qu’elle les lui taise jusqu’au dénouement
            afin de ménager la crise et de la pousser au suicide. L’orgueil de la reine, qui comme
            toute reine de tragédie, se doit ce qu’elle se doit, motivera ce mutisme. Pour provoquer
            la terreur, il faut pourtant mettre ces sentiments en jeu, les actualiser. Corneille
            imagine donc un risque d’inceste – à peine un risque puisque « Oronte » sait qu’il
            s’agit de sa mère et se démasquera dés qu’il sera conscient du risque – en poussant sa
            reine à vouloir épouser celui qu’elle ignore être son fils, tout en parvenant à ce
            qu’elle ne dévoile pas ces sentiments. Il faut donc trouver un prétexte à ce mariage sur
            le plan interne : l’ambition guidera le désir de la reine autant que l’amour, ce mariage
            constituera tout autant une manœuvre politique qu’un assouvissement amoureux. Mais il
            faut encore inventer un but vraisemblable au déguisement de l’héritier légitime. Car
            pourquoi se déguiser si l’on se sait le juste détenteur du pouvoir ? Comme Corneille le
            lui fait dire au dénouement, si son désir avait été ce seul pouvoir, Ariarate ne se
            serait pas dissimulé deux ans durant à la cour – temps nécessaire au développement des
            sentiments passionnés de Laodice à son égard. Il faut donc trouver autre chose :
            qu’est-ce que ce fils haï pourrait chercher à obtenir et qui l’obligerait à agir de
            manière indirecte ? Corneille trouve alors l’idée d’une variation de la conquête
            amoureuse : la conquête de l’amour maternel. Ariarate sera motivé par une quête de
            l’amour maternel. Voilà pour la première motivation du suicide de la reine : l’horreur
            de la découverte d’un amour dénaturé.</p>
          <p>Reste la seconde motivation du suicide, et que Corneille ne peut occulter puisqu’il
            s’agit de la perte du pouvoir, et que la passion de commander est la motivation de
            l’action principale. Elle est qui plus est donnée par l’histoire. De plus le déguisement
            d’Ariarate empêche par définition les affrontements directs et, ajouté à la
            dissimulation morale de Laodice, il est facteur de malentendus qui empêchent la violence
            d’un conflit à visage découvert – même à l’acte II, 3, où Laodice demande à « Oronte »
            de tuer celui qu’elle prend pour son fils et où le malentendu est en parti démêlé
            puisque « Oronte » sait qu’elle haïra toujours son fils, celui-ci tente raisonnablement
            de la fléchir mais ne profère pas de menaces allant contre la volonté de la reine.</p>
          <p>Il faut donc trouver des adversaires directs à Laodice, qui entrent plus violemment en
            conflit avec sa volonté, et qui la poussent à la destitution du pouvoir et donc au
            suicide. Ariarate ne désirant pas avant tout ce pouvoir mais l’amour maternel, il ne
            pourra d’autant moins s’agir de lui. Contre le désir de qui pourrait-elle donc entrer en
            conflit et se battre pour conserver ce pouvoir dont la perte la mène à un désespoir tel
            qu’elle se suicide ? Pour quelles raisons, dés le commencement de l’action, devrait-elle
            remettre le pouvoir en d’autres mains ? C’est là que Corneille fait ré intervenir le
            peuple dont il était question dans les faits historiques : le peuple donc, la <hi
              rend="i">vox populi</hi>, ferait pression pour qu’elle quitte le trône – car le peuple
            ne peut aimer un tyran, cela prouve donc le caractère tyrannique de la reine – et pour
            faire contre poids à cette force déraisonnée et joindre le premier épisode à celui ci,
            Corneille pense donc à Rome. Rome, et non plus la famille de Laodice aurait préservé
            Ariarate de ses fureurs en gardant l’enfant en otage jusqu’à ce qu’il soit en âge de
            régner et attend, pour le placer sur le trône, que ce dernier se soit, comme il le
            souhaite, attiré les bontés de sa mère – attente qui permet de ménager le dénouement et
            de laisser l’intrigue se développer. Mais il faut, rappelons le, trouver, en attendant
            la reconnaissance, une raison légitime et qui passe pour légitime aux yeux de la reine
            pour que celle ci se sente menacée. Corneille lui invente donc une fille en âge de se
            marier, absente de l’intrigue et dont l’existence seulement est utile. Le peuple et Rome
            semblent donc en droit d’attendre que cette fille prenne époux et couronne par là un
            nouveau roi. Cette création donne l’occasion à Corneille de créer un personnage
            intrigant et aspirant au trône : Anaxandre. De même et inversement, elle donne lieu au
            personnage de Phradate, pour sa part sincèrement amoureux d’Arsinoé, et qui fera office
            de confident au héros. Mais il faut une intrigue amoureuse entre deux jeunes gens et
            c’est là qu’intervient Axiane, princesse d’une province annexée et à qui Rome destine le
            fils héritier s’il réapparaît. On voit donc comment le dramaturge imbrique étroitement
            des épisodes à son action principale, qui la recouvrent et en font par là même une
            intrigue.</p>
          <p>Le nœud de cette intrigue, à savoir le fait que la reine veuille épouser son propre
            fils et les rebondissements – l’intervention de l’imposteur qu’elle veut que son vrai
            fils assassine, l’intervention d’Aquilius qui révèle l’imposture et l’arrivée du
            véritable héritier, la résignation de Laodice pour qui l’amour est désormais plus
            important, la déclaration à « Oronte » qui débouche sur la reconnaissance et donc le
            suicide – sont donc inventés par le dramaturge. Il est important de remarquer que le
            nœud de l’intrigue est mis en place longtemps avant le commencement de l’action, ce qui
            classe la pièce dans la catégorie des pièces implexes : « Oronte » est à la cour depuis
            deux ans, la reine l’aime déjà avant le commencement de l’action… À la différence des
            pièces simples, il n’y a pas en effet de coïncidence exacte entre l’histoire et
            l’action, il faut à l’inverse charger sa mémoire de ce qui s’est fait bien plus tôt.
            C’est donc l’ampleur de l’histoire et non l’action qui détermine ce classement.</p>
          <p>On remarquera donc que le nom du sixième fils de Laodice est emprunté au père défunt de
            l’histoire, et que le peuple est plus directement à l’origine de la mort de la reine que
            dans la pièce de Corneille. Corneille invente encore une fille héritière, Arsinoé que
            convoitent deux soupirants également imaginés. Une autre princesse, Axiane, un
            ambassadeur romain, Aquilius, ainsi qu’un imposteur sont également le fruit de son
            imagination. Hormis Laodice et le jeune roi, les personnages sont donc imaginaires. On
            retrouve le nom d’Arsinoé dans l’histoire de l’Orient à cette époque, mais n’intervenant
            pas sur scène et étant destituée de tout rôle dans la pièce, peut-on la considérer comme
            un personnage ? La protection romaine du plus jeune fils est également imaginée par
            Corneille, rien n’étant précisé par Justin. Cette occultation permet à notre auteur
            d’introduire la présence de Rome dans la pièce et de lui donner l’importance qu’il
            désire. Malgré l’affirmation de Corneille dans son avis au lecteur : « L’action
            principale y est si forte qu’elle m’a contraint d’affaiblir les Episodes », nous ne
            voyons pas ce qu’il prétend avoir édulcoré. Il a tout conservé des données
            initiales puisque nous avons toujours une reine infanticide par ambition, mais il les a
            rendues plus horribles encore en y greffant un désir incestueux et une seconde tentative
            d’infanticide.</p>
        </div>
        <div>
          <head>Les influences littéraires</head>
          <p>On sait combien les sujets reviennent dans la tragédie classique plus que dans
            n’importe quel autre genre. Parce que le théâtre classique est un théâtre régulier par
            essence, on y observe un retour obligé de types, de situations, d’expressions,
            d’hémistiches ou encore de vers entiers. Le théâtre classique est un théâtre de
            constante. Le culte de la pulsion de création est inconnu à l’auteur du XVII<hi
              rend="sup">e</hi> siècle. La qualité d’une œuvre n’en dépend pas. Le copiage est perçu
            comme hommage, signe d’une fidélité à un grand classique.</p>
          <div>
            <head>Rodogune</head>
            <p>Dans <hi rend="i">Laodice</hi>, les réminiscences fourmillent. Toutes nombreuses que
              sont ces références, on sait à qui Thomas Corneille tenait plus particulièrement, et
              ce qu’il en découle. Comment, en lisant <hi rend="i">Laodice</hi>, ne pas
              immédiatement songer à « l’enfant terrible » du grand Corneille, « l’enfant » pour
              lequel il nourrissait une « inclination aveugle »<note place="bottom">Pierre
                Corneille, examen de <hi rend="i">Rodogune</hi>, 1660-1682.</note>, à la pièce de la
              monstruosité par excellence, à <hi rend="i">Rodogune</hi><note place="bottom"
                >Représentée en 1644 ou 1645.</note> ? L’allusion à la Cléopâtre de Corneille surgit
              comme une évidence. Entre elle et Laodice, même éloignement géographique : l’Asie
              Mineure est le théâtre de leurs agissements ; même situation : elles sont toutes deux
              reines et mères ; même passion : elles sont toutes deux mues par une ambition
              démesurée ; même moyens : l’infanticide. Toutes deux font preuve d’une énergie
              exceptionnelle. Toutes deux manifestent une fureur opiniâtre dans la poursuite de
              leurs desseins et surprennent par la domination qu’elles semblent exercer sur
              elles-mêmes. « Tous [leurs] crimes sont accompagnés d’une grandeur d’âme qui a quelque
              chose de si haut qu’en même temps qu’on déteste [leurs] actions, on admire la source
              dont elles partent »<note place="bottom">Pierre Corneille, <hi rend="i">Discours de
                  l’utilité et des parties du poème dramatique</hi>, dans <hi rend="i">Trois
                  discours sur le poème dramatique (1660)</hi>, éd. cit., p. 55.</note>. Toutes deux
              agissent encore dans une solitude imposée. Toutes deux horrifient par leur
              monstruosité et fascinent dans le même temps par leur orgueil, leur intelligence et
              leur apparente volonté. Toutes deux enfin ont posé problème à la critique quant à la
              représentation des sexes dans la tragédie classique.</p>
            <p>Exactement comme <hi rend="i">Rodogune, Laodice</hi> devrait soulever la question de
              la classification du héros. Si Jacques Scherer<note place="bottom">Jacques Scherer,
                  <hi rend="i">La Dramaturgie classique en France</hi>, Paris, Nizet, 1986.</note> a
              divisé le champs tragique de Pierre Corneille en deux camps, le camps des bons et le
              camps des méchants, Doubrovsky<note place="bottom">Serge Doubrovsky, <hi rend="i"
                  >Corneille et la dialectique du héros</hi>, Paris, Gallimard, 1982.</note> en deux
              zones, celle de la masculinité et celle de la féminité, Greensburg en deux pôles, un
              pôle viril et un pôle efféminé, Doreena Ann Statamo<note place="bottom">Doreena- Ann
                Statamo, <hi rend="i">Le renversement symétrique des rôles masculins et féminins
                  dans les pièces Rodogune et Horace</hi>, dans <hi rend="i">Papers on French
                  Seventeenth Century Literature</hi>, 1989.</note>, a défendu, pour sa part, un
              bouleversement des zones masculines et féminines, décelable à partir d’<hi rend="i"
                >Horace</hi>, contenu dans <hi rend="i">Héraclius</hi> – on noterait une égalité
              homme-femme – et établi dans <hi rend="i">Rodogune</hi>. Selon D.A. Statamo, « on
              transfère les caractères féminins à des personnages masculins et vice versa ».
              Effectivement, l’on serait tenté de croire que Laodice, comme Cléopâtre, adopte une
              attitude typiquement virile selon l’esthétique du XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle,
              alors que les personnages masculins semblent au contraire manifester une attitude
              passive conventionnellement attribuée à la féminité. Comme a tenté de le montrer
              Doubrovsky, Antiochus et Séleucus s’agripperaient aux valeurs naturelles, refusant le
              choix du plus difficile, ce qui serait un gage d’héroïsme. Ils se condamneraient par
              conséquent à la passivité. Suivant ce schéma de pensée, Ariarate ferait donc preuve
              d’une faiblesse typiquement féminine puisqu’il ne semble pas plus acteur de la
              situation. On pourrait croire, à première lecture, qu’il se contente de subir ou tout
              au plus de réagir. C’est effectivement la reine qui demande à le voir à chacune de
              leurs confrontations, c’est elle encore qui ordonne qu’il l’épouse ou qu’il tue le dit
              Ariarate, c’est elle qui le désarçonne à chaque reprise et lui fait perdre sa
              virtuosité dans l’équivoque, c’est elle qui l’horrifie en lui déclarant sa flamme et
              le pousse à se démasquer, c’est elle qui le réduit au mutisme enfin.</p>
            <p>Pourtant, on le sait énergique hors scène – Axiane et Laodice louent à plusieurs
              reprises son courage, sa vertu héroïque – et c’est ce qui amène à une relecture du
              personnage. N’oublions pas qu’il pilote de l’intérieur l’action de Rome. De plus, son
              dévouement pour la Reine ne relève pas d’une attitude de faiblesse, mais d’une
              générosité proprement héroïque. Soit, aucune attitude de rébellion ne semble le
              libérer, il aspire à ce que la reine demeure au pouvoir et conserve une influence
              prépondérante quand il s’y trouvera ; mais ceci, comme l’espoir de la mort (III,
                3)<note place="bottom">v. 1053 : « Et bien, prenez ma vie, elle est à vous,
                Madame. »</note>, (V, 2)<note place="bottom">v.1565 : « Haïssez un ingrat, perdez un
                temeraire, » et v.1571 : « N’épargnez point mon sang, ce sang trop odieux / Qui
                peut-estre en coulant vous l’expliquera mieux. » ainsi que v. 1577 : « Il me sera
                plus doux… »</note>, bouleverse le classement que l’on serait tenté d’établir dans
              un premier temps. En effet ce sacrifice héroïque montre qu’il va à l’encontre des lois
              de la Nature. Il réfute donc une lecture du personnage en tant que rôle passif :
              Ariarate est le véritable détenteur de la volonté dans la pièce. C’est lui qui est
              maître de la situation et de lui même, tandis que Laodice est agie par son seul désir
              de régner, par sa <hi rend="i">libido dominandi</hi>. Ses seuls intérêts l’aveuglent,
              tandis que le véritable héros, Ariarate, agit pour le bien de l’Etat et celui de sa
              mère.</p>
            <p>Remarquons par ailleurs que classer Cléopâtre au rang des héros cornéliens relève de
              l’extrapolation. Corneille dans son fameux propos « tous ses crimes sont accompagnés
              d’une grandeur d’âme qui a quelque chose de si haut qu’en même temps qu’on déteste ses
              action, on admire la source dont elles partent » ne mettait absolument pas sur le même
              plan l’admiration suscitée par les vertus et actes de ses héros et l’admiration
              suscitée par la source, soit le tableau dont partent les actions criminelles de sa
              reine. Il s’agissait là d’un raisonnement purement esthétique et non bien entendu
              éthique. Ce que l’on admire dans Cléopâtre comme dans Laodice, ce sont les qualités de
              la transposition esthétique, la perfection de la peinture de leur caractère respectif.
              À noter que si Thomas Corneille ne fait pas plus agir son héros que son frère les
              siens, c’est en vue d’insister esthétiquement sur l’opposition éthique absolue entre
              le héros – « Oronte », Antiochus, Séleucus – et le criminel – Laodice, Cléopâtre, à
              qui Corneille n’a jamais attribué le terme d’héroïne mais de criminelle. Ainsi, plus
              le héros tentera d’approcher de la perfection dans l’ordre de la vertu, plus le
              criminel tentera pour sa part d’approcher de cette perfection, mais dans l’ordre du
              crime et de la fureur démoniaque. C’est pourquoi ni Ariarate ni Antiochus et Séleucus
              ne choisissent d’agir : pour faire face à la perfection criminelle de leur mère, il
              leur faut inversement manifester une perfection dans la vertu. Voilà pourquoi les
              trois personnages n’ont même pas la pensée de s’attaquer à leur mère, alors que ces
              dernières restent parfaitement criminelles jusqu’à la mort.</p>
            <p>De plus, si Laodice semble manifestement virile, elle est cependant condamnée à la
              féminité, elle y est enchaînée. Là est son déchirement : durant toute la pièce elle
              aspire à se libérer d’une nature pesante mais c’est pour elle qu’elle se bat et livre
              une lutte stérile. Elle est effectivement mue par une peur de l’agression extérieure.
              Elle retarde au maximum l’assaut final, de Rome avec l’introduction d’Aquilius au
              Palais, du Peuple qui assiège la Cour de ce même Palais. Laodice est donc fatalement
              féminine et c’est le viol de son espace privé qui constitue la crise tragique.
              Laodice, d’autre part, est également enchaînée à une féminité qu’elle abhorre
              puisqu’elle s’inscrit sous le signe de la division : Il faut en effet « ou périr ou
                régner »<note place="bottom">II, 1, v.404.</note>, il s’agit encore « ou d’attendre
              ou de lancer la foudre »<note place="bottom">III, 3, v.974.</note>, il faut également
              « craindre son crime ou haïr sa vertu / (…) Pour [se] sauver de l’un, ou le punir de
                l’autre »<note place="bottom">III, 3, v.1040 et 1042.</note>, il faut enfin
              « Devenir [sa] victime, ou [se] faire la [sienne] / [et se résoudre enfin] / De perir
              par (son) crime, ou de le prévenir<note place="bottom">v.2 et v.1590 et
              1592.</note>. » Avant son entrée en scène, elle est également présentée de manière
              kaléidoscopique. Axiane et Alcine, à la scène I, font allusion à son ambition
              démesurée :</p>
            <quote>
              <l>Jalouse de l’éclat dont la couronne brille</l>
              <l>La Reyne que le Trône a toujours sceu charmer<note place="bottom">v.13 et
                47</note></l>
            </quote>
            <p>Aux scènes 2 et 3, « Oronte » rappelle le sombre passé de la reine :</p>
            <quote>
              <l>De cinq fils, tous enfans, restez en son pouvoir,</l>
              <l>La mort söuilla son nom du crime le plus noir</l>
            </quote>
            <p>Il n’est question que d’elle au cours de l’acte I, et pourtant nulle part elle
              n’apparaît encore. On lui confère un caractère obscur, on l’opacifie pour piquer
              l’intérêt. On joue donc sur l’ambivalence. Cette duplicité, conventionnellement
              attribuée aux femmes, constitue un principe négatif au XVII<hi rend="sup">ème</hi>
              siècle. Elle n’est pas le Bien, qui lui est limpide, pur, clair. Laodice, divisée par
              des points de vue divers, est diabolique avant même son entrée en scène puisque comme
              le Diable, elle est division.</p>
            <p>La délimitation du sujet peut également être en lien avec la question des sexes. <hi
                rend="i">A priori</hi> il s’agirait chez Thomas comme chez Pierre de la passion du
              pouvoir. Dans <hi rend="i">Laodice</hi> comme dans <hi rend="i">Rodogune</hi>, le
              désir d’accéder au rang suprême motive effectivement l’action. Chez Thomas comme chez
              Pierre pourtant ce sujet n’est qu’un prétexte. De fait, on ne voit jamais les Reines
              dans l’exercice du pouvoir. On pourrait, comme ailleurs, les voir donner des
              instructions à un gouverneur, mais non. On ne sait si elles gouvernent bien ou mal, ni
              pourquoi elles aiment autant régner. Le sujet n’est pas là. Dans <hi rend="i"
                >Laodice</hi>, il est dans le repli, dans la tentative de négation du monde
              extérieur. Laodice tente de nier le vouloir de Rome et celui du Peuple. Le long de la
              pièce on la voit lutter pour étouffer la vie extérieure, s’en protéger, lui interdire
              l’accès à l’espace privé du Palais. Malheureusement pour elle, cette vie du dehors
              prend le pas et triomphe. L’enjeu véritable est donc le conflit entre l’extérieur et
              l’intérieur.</p>
            <p>Si le fait que l’on ne voit ni Laodice, ni Cléopâtre dans l’exercice du pouvoir se
              justifie dans <hi rend="i">Laodice</hi> par son caractère secondaire, sa moindre
              importance pour l’enjeu fondamental de la pièce, il n’est cependant pas anodin. <hi
                rend="i">Laodice</hi> et <hi rend="i">Rodogune</hi>, toutes subversives qu’elles
              semblent, s’inscrivent dans la conception contemporaine du pouvoir souverain. Dans son
              article <hi rend="i">La femme au pouvoir ou le monde à l’envers</hi><note
                place="bottom">Pierre Ronzeaud, <hi rend="i">La femme au pouvoir ou le monde à
                  l’envers, XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle</hi>, 1975, n° 108.</note>, P. Ronzeaud
              évoque l’exemple d’une estampe anonyme faisant le parallèle entre une femme partant à
              la guerre et une mule fouettant le muletier. Cette comparaison révèle combien l’idée
              d’une femme liée aux responsabilités de l’Etat semble contre nature aux contemporains.
              Bien qu’envisagée sur le plan théorique lors de la loi salique, cette éventualité ne
              se conçoit même pas au XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle. Elle est perçue comme une
              absurdité totale. Selon P. Ronzeaud, l’inconsistance des arguments appuyant cette
              réalité prouve que son origine se trouve dans la crainte fondamentale d’une subversion
              de l’ordre masculin. Si en Angleterre les données diffèrent, et permettent à la
              littérature de donner jour à des reines telles qu’Elisabeth Thudor, souverainement
              reines et dignes de régner, la femme au pouvoir dans le théâtre français ne pouvant se
              référer à l’actualité contemporaine, ne se conçoit par conséquent qu’à travers la
              norme de Rome. Si femme au pouvoir il y a, ce ne peut être qu’une Livie ou une
              Agrippine, une intrigante empoisonneuse. Toutes les Cléopâtre, les Lady Macbeth, les
              Agrippine, les Laodice présentent l’intérêt au dramaturge de se livrer au récit
              complaisant de leurs intrigues et de leurs fourberies respectives. Alice Kathé porte
              un regard moins négatif sur ce fait. Il ne s’agit plus de complaisance de l’auteur,
              mais d’une réalité imposée par l’infériorité physique des femmes. Elles sont donc
              obligées, pour exercer leur pouvoir, de redoubler de détermination et d’ingéniosité,
              d’agir par des moyens indirects, d’user de persévérance, d’avoir recours au mariage,
              aux intrigues, aux menaces, ce qui est tout à leur avantage. En effet, Georges Couton
              remarque, dans sa préface de <hi rend="i">Rodogune</hi><note place="bottom">Pierre
                Corneille, <hi rend="i">œuvres complètes</hi>, Paris, Gallimard, bibliothèque de la
                Pléiade, 1984.</note> que « Pour qui veut régner et n’est pas le plus fort, la
              dissimulation est une vertu. Cléopâtre fait l’apologie de cette « Digne vertu des
              Rois, noble secret de Cour ».</p>
          </div>
          <div>
            <head>Les grands criminels</head>
            <p>Nous l’avons dit, le théâtre classique est régulier. Il comporte des constantes. On
              peut y observer des types de personnages récurrents. Laodice appartient à la catégorie
              des monstres inaccessibles aux remords, auteurs de crimes spectaculaires. Les
              personnages de Cléopâtre et Laodice, si étonnant soient-ils pour un lecteur moderne
              sont donc parfaitement délimités, typiques, réguliers. Ils appartiennent à la famille
              des Nabuchodonosor, des Médée, des Attila…, à la famille des grands criminels qui sont
              les seuls inventeurs de leurs crimes et les revendiquent avec fierté. Ces monstres
              éveillent une fascination esthétique. Le public en est friand parce qu’ils font naître
              en lui un sentiment étrange, mêlé d’horreur et d’admiration. Majesté tragique oblige,
              ces personnages n’accomplissent que de grands crimes.</p>
            <p>Le nombre de noms et de types est donc très limité. « Les héros étrangers au
              personnel du genre sont très rares » comme le dit J. Truchet<note place="bottom"
                >Jacques Truchet, <hi rend="i">La tragédie classique en France</hi>, Paris, Presses
                universitaires de France, 1997.</note>. Il est amusant et passionnant de remarquer
              qu’un véritable réseau, très serré, lie les pièces entre elles. Truchet compare ce
              processus au retour des personnages dans l’œuvre de Balzac. On peut effectivement
              retrouver Laodice et Arsinoé dans <hi rend="i">Nicomède</hi>, mais leurs rôles sont
              inversés puisque Arsinoé tient le rôle de la marâtre.</p>
            <p>Dans la classification opérée par Truchet, <hi rend="i">Laodice</hi> entre dans une
              catégorie bien précise : celle de la vieille reine inflexible et cruelle qui ne
              travaille que pour elle et est prête à sacrifier ses enfants. Nous y trouvons bien
              évidemment Cléopâtre, mais encore Athalie, Agrippine, Catherine de Médicis dans
              Charles IX, Arsinoé encore, Marcella, Sira. Elles peuvent se battre pour leurs enfants
              contre leurs beau-fils ou les rivales de leurs filles.</p>
            <p>Laodice rappelle plus précisément toutes les furies célèbres du théâtre classique.
              Elle est habitée par la même rage que Lady Macbeth, rage qui semble la pousser
              également jusqu’au délire, même s’il n’est pas la folie de la seconde. À l’acte III,
              scène 3, elle développe un discours agité empreint de paranoïa. Comme lady Macbeth qui
              aspire à ce que « rien de la nature n’ébranle [son] dessein féroce », elle méprise
              cette Nature puisqu’elle traite de « foiblesse / Ce que peut la Nature inspirer de
              tendresse » et se targue du fait qu’elle ait « gémist, dans la mort de cinq
                Fils »<note place="bottom">II, 1, v.461.</note>. Elle éprouve une identique
              obsession pour le sang. Lady Macbeth demande aux forces du mal d’épaissir son sang,
              veut en barbouiller le visage des gardes, et dans sa folie à l’acte V, cherche à s’en
              laver ses mains. Son motif apparaît une vingtaine de fois dans le discours de Laodice
              (III, 3) et (V, II). Par son caractère infanticide, on ne peut s’empêcher de penser à
              Médée, mais le point commun s’arrête là. L’acte de Médée est motivé par l’amour, la
              fierté et il s’agit d’un sacrifice pour elle qui aime ses enfants. D’autre part
              Laodice considère l’amour comme une faiblesse. Elle rappelle Agrippine, encore, qui
              parvient à ses fins à force de ruses, de manœuvres secrètes, et qui opère par
              empoisonnements. Mais c’est Agrippine qui est tuée par son fils. Sans oublier Jocaste,
              car l’on pense fatalement à Œdipe Roi dans l’éventualité d’un mariage mère-fils à
              l’acte III. On se rappelle encore de <hi rend="i">Timocrate</hi> où le héros est
              également présent à la cour où il a gagné sa faveur, et aime une princesse qui ne
              connaît pas son identité.</p>
          </div>
        </div>
        <div>
          <head>Les tragédies de l’identité</head>
          <p>Si l’on pense immédiatement à <hi rend="i">Rodogune</hi> en lisant <hi rend="i"
              >Laodice</hi>, parce qu’il y a similitude troublante de sujet, il est surtout
            fondamental de rapprocher la tragédie aux pièces <hi rend="i">Héraclius, Don Sanche
              d’Aragon</hi> de Corneille ou encore <hi rend="i">Timocrate</hi>. Ces quatre pièces
            ont en commun de se fonder sur un déguisement d’identité. Son ampleur dans le théâtre
            moderne montre que loin de se réduire à un simple procédé, il constitue un véritable
            phénomène au XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle. Dans les quatre pièces, on constate que
            le déguisement est revêtu par le héros, à savoir celui qui, comme le décrit Jacques
            Scherer est « jeune, beau, malheureux, courageux, noble ». À noter que si l’on classe
            « Oronte », Héraclius, « Carlos » dans la catégorie des héros, ce n’est pas
            obligatoirement parce qu’ils sont ceux qui parlent le plus, mais parce qu’ils
            constituent l’une des figures principales de la pièce. Remarquons encore que tous sont
            des déguisements fondamentaux, puisqu’ils ont un effet déterminant sur l’action, lui
            sont indispensables ainsi qu’à la présence sur scène du personnage qui le revêt. Tous
            sont également des déguisements verbaux mais là s’arrête la parfaite concordance.</p>
          <p>Si le déguisement de Timocrate est conscient comme celui d’« Oronte », l’effet produit
            sur le spectateur diffère radicalement : le déguisement de Timocrate provoque la
            surprise tandis que celui d’ « Oronte » instaure une ironie. Dans un cas le spectateur
            se retrouve avec les victimes du déguisement, l’ignorant jusqu’à la reconnaissance
            finale, dans l’autre il est mis dans la confidence et peut suivre en pleine connaissance
            de cause l’évolution du jeu du personnage déguisé. Les données se compliquent dans <hi
              rend="i">Héraclius</hi> et <hi rend="i">Don Sanche d’Aragon</hi> puisque l’on a
            affaire dans les deux cas à une combinaison de deux déguisements. Deux personnages se
            déguisent, consciemment pour l’un – Héraclius sait qu’il n’est pas Martian –
            inconsciemment pour l’autre – Martian se croit Léonce puis Héraclius – dans <hi rend="i"
              >Héraclius</hi>. Un seul personnage, en revanche, dans <hi rend="i">Don Sanche</hi>,
            se déguise, mais consciemment et inconsciemment à la fois et l’effet n’est pas non plus
            l’ironie mais la surprise du public.</p>
          <p>Commençons par comparer <hi rend="i">Laodice</hi> à la seule autre tragédie : <hi
              rend="i">Héraclius</hi>. Dans les deux pièces, le héros est l’héritier légitime d’un
            trône usurpé et il lui faut dissimuler son identité à un tyran sanguinaire qui croit
            l’avoir éliminé. Héraclius – « Martian » feint d’être le fils de Phocas tandis
            qu’« Oronte » feint de ne pas être le fils de Laodice. C’est donc en pleine conscience
            que les héros endossent une autre identité et jouent le rôle qu’impose la situation –
            nouvelle ou non – ainsi créée. Martian, à l’inverse, se croit autre que ce qu’il est en
            réalité. Ces déguisements sont verbaux, nous l’avons dit. À noter qu’il va de soi qu’un
            déguisement verbal fonde tout déguisement conscient puisqu’il faut prétendre être une
            personne fictive. Malgré ce que l’on serait tenté de croire, les prétextes des
            déguisements des deux héros diffèrent : si Héraclius y a recours pour le pouvoir,
            Ariarate cherche avant tout à « conquérir » sa mère, à s’attirer ses bontés. Le pouvoir
            n’est pas sa principale motivation. Le prétexte du déguisement de Martian n’est pour sa
            part pas un but mais une cause puisqu’il s’agit d’un déguisement inconscient. Si Martian
            passe pour Léonce, c’est parce qu’il y a eu échange d’identité et de cette substitution
            découle toute l’action. Si dans <hi rend="i">Laodice</hi>, comme il est plus courant,
            l’héritier légitime a été éloigné du trône avant qu’on le fasse revenir sous les traits
            d’un aventurier, il est ingénieusement laissé à la Cour dans <hi rend="i"
            >Héraclius</hi>.</p>
          <p>Sur le plan de la théorie, <hi rend="i">Laodice</hi>, comme <hi rend="i">Héraclius</hi>
            dont elle est l’héritière, est construite sur un déguisement rhétorique, ce qui prend le
            contre-pied, selon les textes, de l’héritage aristotélicien. En effet, deux conceptions
            de l’utilisation du déguisement se font concurrence : à un déguisement classique fondé
            sur la double détente – conséquences du déguisement puis reconnaissance qui vient
            résoudre les problèmes suscités par le déguisement – et dont le but serait de ménager
            une ingénieuse reconnaissance, on oppose un déguisement moderne, se rapprochant du
            déguisement espagnol, et jouant davantage sur la superposition du masque et du visage.
            Le plaisir provient plus alors du jeu sur l’ambiguïté qui court tout au long de la pièce
            que de l’effet produit par la reconnaissance. À ce titre, <hi rend="i">Laodice</hi>,
            pourtant conçue en pleine période classique par un auteur particulièrement rigoureux,
            joue encore fortement avec l’ironie verbale propre au déguisement rhétorique, alors que
            la tendance s’est inversée depuis 1660. Le déguisement auquel Thomas Corneille a recours
            est pourtant, lorsque l’on scrute les textes, condamné de manière implicite par les
            doctes puisqu’il suscite des complications consciemment et gratuitement renouvelées. Dés
            l’acte II, le déguisement d’« Oronte » ne devrait plus en effet avoir lieu d’être
            puisqu’il pense être parvenu à se faire aimer de sa mère. Le but initial de sa
            dissimulation d’identité est atteint selon le point de vue du personnage. Pourquoi le
            conserver alors, si ce n’est dans le but d’un développement dramaturgique de
            l’ambiguïté ? Ce déguisement n’est même pas utile à son accession au trône puisque comme
            il le dit lui même s’il n’avait eu pour seule ambition que celle-ci, il ne se serait pas
            dissimulé pendant deux années durant. Comme dans <hi rend="i">Héraclius</hi>,
            l’utilisation du déguisement dans <hi rend="i">Laodice</hi> n’est donc pas dramatique et
            conforme à l’esthétique classique. Le déguisement ne porte pas essentiellement sur la
            construction de la pièce. Comme dans <hi rend="i">Héraclius</hi>, il engendre une
            hésitation constante entre l’être et le paraître, permet de jouer sur le langage et
            conditionne les sentiments.</p>
          <p>Sur le plan esthétique, les deux pièces diffèrent enfin. <hi rend="i">Laodice</hi>
            obéit au principe de l’action médiatisée puisque Ariarate se déguise pour agir de
            manière indirecte en contournant un interdit – la haine maternelle – et ce dans le but
            de s’en faire aimer. <hi rend="i">Héraclius</hi> répond en revanche au principe de
            l’action empêchée puisque le déguisement devient l’obstacle, le personnage devenant
            prisonnier de son déguisement. Notons que le déguisement d’Ariarate se solde par un
            échec : son but n’est pas atteint puisque sa mère l’aime d’un amour dénaturé même quand
            elle apprend sa véritable identité.</p>
          <p>Quant au risque d’inceste, fraternel dans <hi rend="i">Héraclius</hi>, parental dans
              <hi rend="i">Laodice</hi>, ce qui est déjà plus rare, s’il est faux dans le premier
            cas, il n’existe pas réellement dans le second. De plus il ne peut s’agir à proprement
            parler d’une barrière du sang pour l’action du personnage déguisé dans <hi rend="i"
              >Laodice</hi> puisque « Oronte » se déguise consciemment – il ne peut donc <hi
              rend="i">a priori</hi> être aimé inconsciemment par son parent, ni croire qu’il aime
            son parent à tort, ce qui sont les deux cas de figure possibles – pour vaincre un
            obstacle – son déguisement relève de l’esthétique de l’action médiatisée et non de
            l’action empêchée – ; le déguisement ne devrait donc pas devenir l’obstacle, comme dans
              <hi rend="i">Héraclius</hi>. Mais nous reviendrons là dessus. Thomas Corneille, en
            poussant Laodice à se dissimuler moralement et donc à cacher ses sentiments, créée tout
            de même l’obstacle.</p>
          <p>Penchons nous maintenant sur la question de la barrière du rang. <hi rend="i"
              >Laodice</hi> rejoint cette fois <hi rend="i">Don Sanche</hi>. Le thème de la
            mésalliance est en effet présent dans les deux pièces puisque « Carlos » et « Oronte »
            se font passer tous deux pour de glorieux aventuriers dont deux reines et une princesse
            sont respectivement amoureuses. Le déguisement qui affuble le héros d’une condition
            inférieure à la condition de celle qu’il aime constitue l’obstacle autour duquel
            s’organise l’action dans <hi rend="i">Don Sanche</hi>, tandis qu’il fonctionne comme un
            faux obstacle dans <hi rend="i">Laodice</hi> – la conquête d’Axiane ne fait pas partie
            de l’action principale. « Oronte » pourrait mettre Axiane dans la confidence de sa
            double identité, mais il la lui tait par jeu, non par véritable interdit comme Timocrate
            qui est l’ennemi direct de la personne aimée ou « Carlos » qui se croit d’une naissance
            obscure. Mais si le thème de la mésalliance occupe une grande place dans la fiction
            narrative occidentale et se montre efficace sur le plan dramatique, il ne faut pas
            oublier que pour le XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle, il n’est pas de valeur sans
            noblesse. Par conséquent, ce thème ne peut être conçu en dehors du cadre des fausses
            apparences. La mésalliance en tant que telle est impensable : la légitimité
            aristocratique n’est certainement pas en cause.</p>
          <p>Aussi la mésalliance est-t-elle présentée et perçue comme un véritable danger dans les
            deux pièces : Elvire, Isabelle et Axiane ne songent pas seulement à avouer leur amour.
            Dés les premières scènes, Elvire laisse surprendre par sa mère les sentiments qu’elle
            porte à « Carlos » (I,1), Isabelle laisse entrevoir malgré elle qu’elle pourrait l’aimer
            (I,3) et Axiane fait entendre à sa suivante que « [son] cœur en succombant s’est caché
            sa defaite<note place="bottom">I, 1, v. 110.</note> » mais chacune se reprend vite,
            rappelant qu’elle sait ce qu’elle se doit. Ainsi Elvire : « Je sais ce que je suis, et
            ce que je me dois. » Isabelle pour sa part se réprime par la prétérition :</p>
          <quote>
            <l>Soit que j’aime Carlos, soit que par simple estime</l>
            <l>Je rende à ses vertus un honneur légitime,</l>
            <l>Vous devez respecter, quels que soient mes desseins,</l>
            <l>Ou le choix de mon cœur, ou l’œuvre de mes mains<note place="bottom">I, 3, v.
                289-292.</note></l>
          </quote>
          <p>quant à Axiane, elle « tâche à ( …) cacher » à Oronte / Ce qu’en vain de [son] cœur
            [elle] voudroit arracher [et] s’observe sans cesse en tout ce qu’il [lui] inspire ».
            Mais si Corneille sait jouer admirablement avec l’émotion conférée par le non-dit dans
            les scènes d’entretien entre ses héroïnes et « Carlos », Thomas se montre plus
            sentimental en laissant transparaître les sentiment d’Axiane (II, 2). Le contraste est
            effectivement moins violent entre la sensibilité secrète et le masque public. En
            quittant « Oronte » sur ces mots :</p>
          <quote>
            <l>Vous pourriez esperer le succez le plus doux,</l>
            <l>Si l’orgueil de mon rang n’estoit pas contre vous.</l>
          </quote>
          <p>Axiane laisse entendre clairement son amour pour le glorieux inconnu. La retenue
            amoureuse reste, mais il s’agit plus de préciosité, d’un jeu de cache-cache avec l’amour
            que d’un souci, comme chez Corneille, de prêter à des reines des attitudes de reines. Si
            Axiane affirme en privé qu’elle sait ce qu’elle se doit, elle finit contrairement aux
            deux autres reines par avouer clairement ses sentiments (III,1) :</p>
          <quote>
            <l>Je ne t’en ay déjà que trop dit pour ma gloire,</l>
            <l>Acheve de joüir de toute ta victoire<note place="bottom">V. 761-762.</note></l>
          </quote>
          <p>Au niveau de la structure interne des déguisements, il devrait donc y avoir distorsion
            entre condition réelle et fictive des personnages. S’il y a effectivement contradiction
            entre la naissance obscure de « Carlos » qui se croit fils de pêcheur et sa valeur
            exceptionnelle, il faut remarquer qu’« Oronte », comme Timocrate, n’a pas changé de
            condition en endossant son déguisement. Il a changé de rang puisqu’il reste le principal
            soutien militaire de la reine ; Aucune de ses paroles par conséquent ne laisse planer le
            doute sur son identité fictive : pour comprendre la double-entente, il faut connaître
            l’identité réelle. L’adéquation entre apparence et discours demeure donc. La
            double-entente n’est pas un manquement du personnage qui joue mal son rôle mais
            inversement une réussite totale du déguisement. On préfère montrer un héros laissant
            transparaître volontairement des marques de son moi véritable à travers un discours
            ironique parce qu’il révèle une maîtrise du personnage sur son destin, tandis que la
            distorsion révèle sa vulnérabilité.</p>
          <p>Comme <hi rend="i">Œdipe Roi</hi>, comme <hi rend="i">Héraclius, Laodice</hi> est donc
            avant tout « une tragédie de l’identité »<note place="bottom">Corneille Pierre, <hi
                rend="i">Héraclius, empereur d’Orient</hi>, préf. de Georges Forestier, Paris,
              Cicéro, 1995.</note>. Au delà des satisfactions intellectuelles suscitées par la
            virtuosité mécanique du procédé, <hi rend="i">Laodice</hi>, comme <hi rend="i"
              >Héraclius</hi>, soulève un enjeu plus profond. <hi rend="i">Laodice</hi> n’est pas,
            comme <hi rend="i">Œdipe Roi</hi>, une tragédie de l’accès au savoir, elle n’est pas non
            plus, comme <hi rend="i">Héraclius</hi>, une tragédie de l’impossibilité de savoir
            puisque Ariarate, contrairement aux deux autres héros, connaît son identité. Le
            déguisement devrait servir, comme il est fréquent, à surmonter un obstacle. Ariarate y a
            effectivement recours pour surmonter l’obstacle de la haine maternelle et pour conquérir
            sous une identité fausse un amour qu’elle n’offrirait pas à son fils. Comme dans <hi
              rend="i">Œdipe</hi>, l’ignorance enferme les personnage dans un cercle infernal et les
            mène droit à la crise tragique. Mais dans <hi rend="i">Œdipe</hi>, l’ignorance n’est pas
            voulue et utilisée par les héros, ils y sont condamnés par le destin. Dans <hi rend="i"
              >Laodice</hi>, l’ignorance résulte du libre arbitre des héros : Ariarate décide de
            taire son identité à sa mère, Laodice décide de taire son amour à celui qu’elle ne
            connaît que sous le nom d’Oronte. Le déguisement qui devait servir à surmonter un
            obstacle devient l’obstacle, et c’est par là que <hi rend="i">Laodice</hi> rejoint <hi
              rend="i">Héraclius</hi>.</p>
        </div>
      </div>
      <div>
        <head>Le classicisme trouble de Laodice</head>
        <div>
          <head><hi rend="i">Laodice</hi>, une tragédie classique</head>
          <p>S’il existe une période de plein classicisme, <hi rend="i">Laodice</hi>, représentée en
            1668 s’y inscrit précisément. Elle a donc toutes les raisons de répondre aux critères de
            cette esthétique. Comme nous le savons, la production théâtrale des années 60 est
            intense. De 58 à 73, Paris voit pour la première et dernière fois de son histoire
            l’installation officielle de trois théâtres permanents. Les pièces représentées y sont
            sans cesse renouvelées. Le pouvoir, qui accorde une large place aux fêtes royales, leur
            prête son appui. On vient applaudir Corneille et Racine, dont la gloire est incontestée,
            mais on s’enthousiasme également beaucoup pour deux dramaturges féconds et pleins de
            talent : Quinault et Thomas Corneille. Comme le remarque Jacques Truchet, « tous
            connaissent leur métier, respectent les règles d’un genre dont la discipline est
            maintenant tout à fait fixée, le langage châtié et la versification rigoureuse ». Comme
            il le remarque encore : « le Romanesque n’est pas mort, mais ses excès les plus voyants
            sont contenus. (…) L’auteur de <hi rend="i">Timocrate</hi> a désormais intérêt à imiter
            son frère ou Racine ».</p>
          <div>
            <head>Respect des règles</head>
            <p>La littérature produite lors de cette décennie aspire à une perfection dont les
              règles sont considérées comme un des moyens d’accès. On codifie, on construit, on
              cisèle l’expression, on tente de mettre au jour des sortes de « cathédrales
              littéraires », rigoureusement imaginées en vue d’éblouir le spectateur. Sans rigueur,
              pas de cohérence, pas d’équilibre, pas d’harmonie possible. Sans rigueur, pas
              d’admiration. <hi rend="i">Laodice</hi>, pur produit de cette décennie classique,
              répond parfaitement aux exigences contemporaines. <hi rend="i">Laodice</hi> est une
              pièce régulière. Formellement, elle est impeccable. Il s’agit bien de</p>
            <quote>
              <p>l’imitation d’une action de caractère élevé et complète (…) dans un langage relevé
                d’assaisonnement d’une espèce particulière (…) par des personnages en action et qui
                suscitant pitié et crainte opère la purgation propre à de pareilles émotions<note
                  place="bottom">Aristote, <hi rend="i">La Poétique</hi>.</note>.</p>
            </quote>
            <p>En effet, le sujet est de caractère élevé : de très hauts personnages – une reine,
              des princes, un ambassadeur romain – entrent en conflit pour un grand intérêt d’Etat,
              l’accès au trône de Cappadoce. Le sujet et les personnages sont tirés d’épisodes
              obscurs de l’histoire ce qui a pour intérêt de laisser une liberté plus grande à
              l’imagination, et de provoquer un éloignement propice à la majesté et au respect.
              L’éloignement géographique participe également de cet effet.</p>
            <p>Les trois unités sont respectées. L’intrigue met bien en scène une crise tragique,
              elle même abordée le plus près possible de sa fin. Tout se concentre et se joue en une
              journée. Le passé, l’avenir viennent s’actualiser en un moment. Ce moment incarne les
              menaces depuis longtemps accumulées – les infanticides de Laodice, les rumeurs
              véhiculées par le peuple, la connaissance romaine de ses agissements, la volonté de
              placer l’héritier légitime sur le trône, le dévouement d’Ariarate dit Oronte pour la
              reine qui lui a laissé le temps d’asseoir son amour pour lui – ; et il ouvre tout un
              avenir – un règne légitime. Tout converge vers cette courte journée puisque la vérité
              sur le passé y éclate : les crimes, la monstruosité de la reine sont révélés aux yeux
              de tous, de même que la vérité concernant l’avenir. Dès le début de l’intrigue, Rome
              et Ariarate connaissent en partie le dénouement, ils savent en tout cas l’issue du
              combat, ils savent que tout est joué d’avance, que l’héritier règne pour ainsi dire
              déjà. Fidèle aux procédés du théâtre classique, Corneille utilise l’accélération
              temporelle pour appuyer celle du processus tragique. On note effectivement une ellipse
              après la scène 5 de l’acte IV. Laodice et Anaxandre se réunissent en coulisse pour
              fomenter un complot contre celui qu’ils prennent pour Ariarate. À partir de l’acte IV,
              les scènes se raccourcissent et semblent donc se succéder de manière accélérée. L’acte
              IV en contient sept et l’acte V, six, pour respectivement quatre, six et cinq scènes,
              plus longues, aux actes I, II et III.</p>
            <p>Comme le temps, le lieu joue un rôle prépondérant dans la tragédie. Le fait qu’il
              soit unique, restreint, oppressant, alimente la tension tragique, transcendant la
              contrainte de la règle d’unité. Nos personnages y semblent emprisonnés puisque nous ne
              les voyons se confronter qu’entre les murs du Palais de la Reine. Ils en sortent
              pourtant parfois, mais chaque fois reviennent comme attirés machinalement dans la
              toile de Laodice. Le Palais semble un piège dans lequel elle voudrait retenir ses
              sujets. Il apparaît également, vu du dehors, comme un espace fermé, sclérosé, dont
              l’accès est rendu impossible. On retarde au maximum l’introduction des éléments
              étrangers. Aquilius, représentant de l’extérieur n’en pénètre les murs que très
              tardivement dans l’intrigue, à la fin de la scène 4. Le Peuple force son enceinte au
              dernier acte, dernière scène. Trois personnages sortent et font le lien entre
              extérieur et intérieur au cours de l’intrigue. Parmi eux on compte Théodot, mais il
              n’apparaît qu’une fois, sa seule fonction étant de donner des nouvelles de
              l’extérieur. N’ayant pas assez de consistance pour être considéré comme un personnage
              de l’intrigue, il est peu important pour elle qu’il soit enfermé dans l’espace de la
              reine. Axiane, annonçant, à la scène 2 de l’acte IV la mort subite du dit Ariarate et
              la colère du peuple, de même qu’à la scène 4 de l’acte V, ne subit pas non plus de
              manière absolue le joug de la reine. Quant à Phradate, il est le représentant de
              l’extérieur à l’intérieur puisque sa fonction semble être la communication des faits
              du dehors. À chaque apparition, hormis la première, il arrive en donnant des nouvelles
              de ce mystérieux extérieur. Seule Laodice, finalement, ne quitte jamais le Palais,
              malgré ce sentiment diffus d’emprisonnement. Cette impression d’enfermement est sans
              doute suscitée par le caractère vampirisant du personnage de la reine, qui est animé
              par un principe d’absorption. Il lui faut intégrer des éléments dans une intériorité,
              les conserver dans un espace intime et clos, qu’il s’agisse de son corps – en lui
              faisant désirer « Oronte », Thomas Corneille émet l’éventualité de la réintégration du
              fils à l’intériorité de la mère. Qu’elle ignore le caractère incestueux de son désir
              importe finalement peu. C’est l’éventualité de l’acte dans l’esprit du spectateur qui
              prime –, ou de sa Cour – elle est mue tout au long de l’intrigue par la volonté de
              conserver la sclérose initiale du Palais. Il faut prolonger l’immobilisme du pouvoir,
              refuser l’accès aux éléments extérieurs facteurs de bouleversement.</p>
            <p>Par ailleurs, l’enfermement progressif des personnages à l’intérieur de l’espace
              scénique contribue à cette impression. Si, aux actes I, II et III ils ne fonctionnent
              pratiquement que par binômes – sauf pour les annonces de mariages – privilégiant
              l’intimité voulue par la Reine, et habituant le spectateur au calme du huis clos, nous
              pouvons observer que la scène se peuple en revanche brusquement a partir de l’acte IV.
              Scène après scène elle est progressivement submergée comme par une marée humaine, et
              ce jusqu’à saturation. Effectivement, à la scène I, Laodice est seule avec Cléone. À
              la scène 2 se joint Axiane, à la scène 3, Phradate, à la scène 4, Anaxandre, à la
              scène 5, Ariarate. Le processus s’accélère à la scène 6. Le nombre de personnages
              occupant l’espace scénique double. Ils sont désormais prêt d’une dizaine à l’occuper,
              puisqu’ Aquilius, qui vient s’ajouter au groupe, est accompagné d’une suite de
              romains. On se retrouve ainsi à dix à la scène 6 où seules Axiane et sa confidente
              manquent au tableau. Cette unique absence préfigure le caractère vain des tentatives
              d’enfermement de Laodice. Bien qu’insignifiante en apparence, elle ouvre une brèche.
              L’espace scénique, comme l’enceinte royale, n’est pas imperméable. Il est possible de
              s’y soustraire comme de s’y introduire : Axiane, élément intérieur, sort de scène –
              bien qu’elle ne quitte pas le Palais à ce moment là. Mais ce qui importe, c’est
              l’impact de cette sortie sur le spectateur – ; Aquilius, élément extérieur, rentre.
              L’acte IV marque donc les derniers efforts de la Reine pour piéger et s’approprier ses
              sujets. Après l’atteinte d’un paroxysme dans la contenance scénique, le monde de la
              reine entre en déliquescence à l’acte V. Ses plans échouent : Anaxandre, son complice,
              est tué. Elle apprend l’identité de celui qu’elle se destinait pour époux. Son monde,
              maintenu en équilibre le plus longtemps possible, s’écroule de manière spectaculaire.
              L’espace scénique s’est brutalement vidé. À la scène 2, Laodice et Ariarate sont
              désormais seuls. Laodice, vaincue, enfin consciente du caractère illusoire de son
              univers et vain de ses actes, se retire à son tour pour disparaître d’un espace qui
              n’était pas le sien.</p>
            <p>Plus largement dans la pièce, on note un effet de saturation progressive de l’espace.
              On y investit l’espace intérieur mais aussi l’espace extérieur, la ville et le Palais.
              L’espace intime, interdit de Laodice, cet espace oppressant est assiégé de toutes
              parts : le champ extérieur – les coulisses – est progressivement rempli par le peuple,
              le champ scénique – l’intérieur du Palais – se peuple progressivement, le champ mental
              de la reine est progressivement envahi par Rome, le champs physique, quant à lui est
              également investi puisque Laodice se donne la mort en y introduisant un poignard.</p>
            <p>Rome au début de l’intrigue, se réduit à une idée : la nomination d’un nouveau roi,
              peut-être à une personne, Aquilius, absente, dont on attend la venue. Rome, si
              lointaine et abstraite aux premières scènes avance, se rapproche progressivement.
              L’idée d’attente revient comme un leitmotiv jusqu’à l’acte IV. À la scène 1, dans les
              tous premiers vers déjà, Axiane s’indigne que la reine se décide enfin à donner un roi
              à la Cappadoce « sans daigner <hi rend="u">attendre</hi> qu’icy l’ambassadeur ait le
              temps de se rendre ». Corneille choisit dans les scènes suivantes des termes comme
              « amène », « arrivant » pour mettre en évidence la situation d’attente des
              personnages. « Aquilius […] <hi rend="u">vient</hi>, il <hi rend="u">est plus
                près</hi> qu’on ne croit » à la scène 3. On trouve encore : « <hi rend="u"
                >attendant</hi> le Romain ». À l’acte II, toujours, « Aquilius ne <hi rend="u"
                >vient</hi> que pour cet hyménée », « Aquilius <hi rend="u">vient</hi> entre eux
              resoudre d’un maître, Aquilius <hi rend="u">est tout prêt d’arriver »</hi>, enfin , à
              la scène 5, « Aquilius <hi rend="u">arrive »</hi> quelques vers plus bas. Mais il faut
              attendre l’acte IV, scène 3 pour qu’ « Ariarate arrive […] <hi rend="u">suivy</hi>
              d’Aquilius ». Quelques vers plus bas « Aquilius <hi rend="u">s’avance »</hi> toujours
              et encore. À la scène suivante, on évoque encore « Aquilius <hi rend="u"
                >s’avançant</hi> vers la ville ». Ce n’est qu’à la scène 6 qu’il paraît
              définitivement et prend la parole. Si elle ne manifeste sa présence sur scène qu’à la
              scène 6 de l’acte IV, Rome s’est déjà déployée à l’extérieur, comme le rapporte
              Phradate dans son récit de la scène 3, où il décrit la pompe des troupes romaines
              s’avançant au loin sur la plaine.</p>
            <p>Nous reviendrons plus tard sur l’invasion progressive de l’espace par le peuple.
              Entité lointaine, comme Rome, au début, il fourmille aux portes de l’espace intime de
              Laodice à la fin de l’intrigue.</p>
            <p>Nous l’avons vu, les personnages envahissent à leur tour l’espace scénique à l’acte
              IV. Une fois saturé, cet espace se vide à la scène suivante. Les personnages sont à
              nouveau cinq.</p>
            <p>À l’acte V, le relais passe à l’extérieur. À la scène I, Phradate prévient que le
              Peuple enragé « Eust pû jusques sur elle achever son ouvrage<note place="bottom">v.
                1446.</note> » – sa vengeance, exercée déjà sur Anaxandre. À la scène V, Aquilius
              prévient qu’une marée humaine va « grossissant dans la Cour du Palais<note
                place="bottom">V. 1707.</note> ». Phradate à la scène suivante parle d’un « Peuple
              au palais amassé<note place="bottom">V. 1719.</note> ». L’espace extérieur parvient
              également à saturation puisqu’il enserre l’espace intérieur, ne laisse plus d’issue.
              La pièce arrive à terme : l’espace que s’évertuait à protéger Laodice est investi de
              toutes parts. Son univers ne peut maintenant plus que s’écrouler. Le peuple, qui
              incarne les pulsions débridées, est comme l’écho monstrueux, à grande échelle, de son
              désir incestueux. À force de brutalité, il pénètre l’espace interdit de la reine,
              engendrant par cet assaut sa mort. À moindre échelle, Laodice assouvit sa coupable
              pulsion en assiégeant un autre espace interdit : son corps. La saturation est totale.
              La pièce n’a plus lieu d’être.</p>
            <p>Quant à l’action, toute complexe et embarrassée qu’elle peut paraître, il en demeure
              que « les différents fils sont tissés de telle sorte que tout acte ou parole d’un des
              personnages réagit sur le destin de tous les autres et que chaque détail se subordonne
              à l’action principale »<note place="bottom">Jacques Truchet, <hi rend="i">La tragédie
                  classique en France</hi>, Paris, PUF, 1997.</note>. Les fils peuvent être
              multiples dés lors qu’ils se rejoignent et contribuent à l’unité de l’intrigue.</p>
            <p>L’action de Laodice est concentrique. On observe en effet que ce qui passe pour
              l’action principale, à savoir le fait que Laodice veuille et le pouvoir et « Oronte »
              – et ce qui en découle –, s’inscrit comme à l’intérieur d’une action plus vaste qui
              vient la motiver de manière détournée. Ce second fil contient l’action de Rome, à
              savoir le fait qu’Aquilius vienne, officiellement pour aider la reine à faire choix
              d’un nouveau roi, officieusement pour placer Ariarate sur le trône. C’est l’action
              officielle qui déclenche l’action de la reine. Partant de là, toute l’action sera
              motivée et marquée par la dissimulation, Laodice agissant pour déjouer une illusion,
              et usant également dans son action de la dissimulation. L’action d’Ariarate au cours
              de l’intrigue s’intègre à celle de Rome. Avant qu’Aquilius n’apparaisse, il en est
              l’agent et la représentation sur scène. L’action de Laodice est donc encastrée dans
              l’action de Rome, pilotée de l’intérieur par Ariarate, qui la motive
              perpétuellement.</p>
            <p>Elle la déclenche : Apprenant la venue d’Aquilius et son motif déguisé, Laodice
              entreprend de déjouer Rome et de manipuler « Oronte ». À l’acte II, elle dit vouloir
              nommer un nouveau roi, officiellement, pour conserver le Diadème, officieusement. Elle
              souhaite qu’il s’agisse d’« Oronte », officiellement, pour le posséder,
              officieusement. Face à cette double volonté, Ariarate est contraint au mutisme et donc
              à l’impuissance à la scène 2, puisque la reine refuse de l’écouter. Cette volonté
              royale donne ensuite lieu à de savoureuses confrontations pleines d’ironie et de fiel
              entre « Oronte » et Anaxandre, jaloux du sort de son rival. À l’acte III, scène 3,
              Rome revient à la charge, étant à l’initiative de la première péripétie, soit de
              l’arrivée officielle du fils héritier, qui n’est qu’un imposteur officieusement.
              L’action est relancée. Laodice tombe dans le piège et montre qu’elle n’a pas changé à
              « Oronte » en tentant de l’entraîner dans le meurtre d’un fils gênant. Il faut tuer
              l’héritier, officieusement, « Oronte » sera le coupable, officiellement. Seconde
              péripétie, pure cette fois : le fils imposteur succombe. « Oronte » sera toujours
              désigné comme coupable. Les deux péripéties provoquent donc une action identique.</p>
            <p>Dernière initiative romaine facteur d’action : Aquilius révèle l’imposture, et
              apprend à la reine que l’héritier légitime est toujours vivant. Vaincue, Laodice cède.
              Elle règnera en Lycaonie comme le lui propose Rome, mais gardera « Oronte ». Pour la
              première fois dans l’intrigue, l’initiative de Laodice est limpide. L’officieux et
              l’officiel correspondent. Le spectateur est animé d’un sursaut d’espérance avant la
              chute finale. L’intrigue est pour le moment impeccablement menée. Suite à cette ultime
              initiative romaine, les actes s’enchaînent d’eux même, comme emportés par leur propre
              violence. Laodice, relâchée, confiante, se déclare à « Oronte ». Son initiative
              engendre la seconde révélation : Ariarate se démasque. Laodice redouble de fureur et
              de haine. Elle quitte la scène pour se poignarder face au peuple également égaré.</p>
            <p>Comme nous le montre l’analyse de l’intrigue, Corneille répond absolument, dans sa
              construction, aux critères classiques. L’action est marquée par l’unité, comme nous
              avons pu l’observer plus haut.</p>
            <p>L’exposition est impeccablement menée. Elle s’étend jusqu’à la première scène de
              l’acte II, ce qui prouve le caractère implexe de l’intrigue. En effet, à la première
              scène de l’acte I, Axiane propose une première appréhension de la situation : elle
              sait simplement que la reine s’apprête à nommer un nouveau roi. Alcine, qui vient
              élargir ce premier point de vue, en sait plus : ce à quoi la reine aspire en réalité,
              c’est à conserver le pouvoir. Le premier point de vue en cache un second, moins
              simple. La reine souhaite nommer en fait un pantin pour devancer le choix de Rome.
              Ariarate, à la scène 3, en sait davantage encore. Il est instruit du passé de la reine
              et en déroule tout un pan dans une tirade adressée à Phradate. Le spectateur en
              apprend donc davantage : la reine, qu’il sait déjà ambitieuse et tyrannique, a,
              dit-on, pour parvenir à ses fins, donné la mort à cinq de ses fils, le dernier étant
              en otage à Rome. Il apprend encore qu’elle a engagé quelqu’un pour éliminer ce qui est
              à même de menacer encore son pouvoir. À cela, il ajoute la connaissance des desseins
              de Rome : instruite par ce dernier, celle-ci a fait mettre l’héritier en lieu sûr.
              Lassée que la reine feigne attendre la venue d’un fils qu’elle croit mort, Rome a
              délégué Aquilius pour « rompre le silence »<note place="bottom">V. 317.</note>. On en
              apprend encore plus à la scène 1 de l’acte II, où Laodice éclaircit ses desseins. Elle
              veut effectivement nommer un homme de paille, mais non pour être l’époux de sa fille.
              C’est elle qui se mariera, et avec « Oronte », que nous savons être son fils. Nous
              apprenons par ailleurs qu’elle l’aime. Toutes les causes des conflits à venir sont
              donc mises en place. Tous les personnages principaux y sont présentés. On y apprend
              leurs sentiments, leurs intérêts, leurs intentions, et la particularité marquée de
              certains caractères. « Oronte » est peint comme valeureux et dévoué, Laodice comme
              ambitieuse.</p>
            <p>Les péripéties sont introduites au moment opportun, et empêchent l’action de
              s’essouffler. Après une première péripétie – l’arrivée du faux Ariarate – et après
              l’étonnement général, nous apprenons qu’il s’agissait d’une imposture voulue par Rome
              pour évincer les trahisons. Nous apprenons ensuite que Laodice veut éliminer
              l’arrivant, ce qui est l’occasion de dérouler une nouvelle fois son passé, mais de sa
              bouche cette fois. Il faudra attendre la scène 3 de l’acte V pour qu’elle lève
              totalement le voile sur ses crimes et sur son amour. Elle y avoue avoir empoisonné sa
              progéniture. Chaque acte correspond à un progrès dans l’action. Chaque scène est
              construite de manière à créer un suspense ou l’étonnement du spectateur, et maintient
              ainsi l’intérêt ou le relance. Nous avons déjà vu que l’on ne cesse de parler de
              Laodice au cours de l’acte I. Corneille ménage l’attente du spectateur jusqu’à l’acte
              II. Dés la première scène, on fait en sorte de surprendre le spectateur : c’est
              Laodice même qui se marie ! Et avec « Oronte » ! Heureusement pour le déroulement de
              l’intrigue, « Oronte » ne dit rien. Il faut retarder au maximum la révélation de la
              vérité pour laisser au mal le temps de se développer, de s’infecter, jusqu’à la
              catastrophe finale, précisément la révélation de cette vérité. Le non-dit va permettre
              à la situation de s’envenimer : l’amour de Laodice va s’aviver à cause de la vertu
              d’« Oronte » Le prétexte de ce mutisme est qu’il pense, pour qu’elle l’estime au point
              de l’élever au Trône, avoir enfin conquis l’amour maternel. Le prétexte de ce mariage
              est politique, « Oronte » ne peut donc soupçonner les sentiments de sa mère.</p>
          </div>
          <div>
            <head>Une pièce à intrigue</head>
            <p>Il est essentiel de noter que <hi rend="i">Laodice</hi> fait partie de la catégorie
              des pièces dites « implexes », ou pièces à intrigue. Corneille, à l’origine du mot,
              l’avait emprunté au latin pour désigner les pièces embarrassées «  qui demandent au
              poète « plus d’esprit pour les imaginer » et « plus d’Art pour les conduire », à
              l’auditeur (…) plus d’attention » ; contrairement à</p>
            <quote>
              <p>celles dont le sujet n’est point « trop chargé d’incidents, ni trop embarrassé des
                récits de ce qui s’est passé avant le commencement de la Pièce », et où l’auditeur
                n’est pas obligé, « pour l’intelligence de ce qu’il voit, de réfléchir sur ce qu’il
                a déjà vu, et de fixer sa mémoire sur les premiers Actes, cependant que les derniers
                sont devant ses yeux<note place="bottom">Corneille, <hi rend="i">œuvres complètes,
                    II</hi>, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984,
                  p. 1361.</note> ».</p>
            </quote>
            <p>Les contemporains sont effectivement friands d’ornementations, de détours, de
              mystères, de surprises, de complications, de sel enfin – car pour le public
              contemporain, la simplicité, la sobriété est synonyme d’ennui : on ne peut s’en
              satisfaire, il faut « l’enrichir ». Pour être efficace au XVI<hi rend="sup">e</hi>
              siècle, pour émouvoir le public, il faut donc abuser de ressorts dramatiques
              spécifiques.</p>
            <p>On adore les ruses qui amènent aux perfidies les plus raffinées, aux finesses les
              plus noires. On adore par conséquent les trames d’une Reine cynique et infanticide,
              prête a toutes les manœuvres pour satisfaire son ambition. On adore ses trahisons – le
              complot qu’elle fomente avec Anaxandre contre le dit Ariarate, son indifférence quant
              au devenir de son complice, la faute qu’elle compte rejeter sur « Oronte ». On adore
              encore plus le triomphe insidieux de Rome qui la manipule sans qu’elle ne s’en doute.
              Peut-être ce goût s’explique-t-il par l’écho qu’on trouve dans l’actualité
              contemporaine – Mazarin, Richelieu.</p>
            <p>On apprécie autant les reconnaissances d’enfants du mystère, ou d’homme aux deux
              visages comme Ariarate dissimulé sous le nom d’Oronte. Ces reconnaissances exercent
              une séduction facile sur un public peu exigeant de même qu’elles assurent l’estime des
              doctes – en raison du prestige d’Œdipe Roi et de l’approbation d’Aristote.</p>
            <p>Trois utilisations différentes sont possibles. Un personnage dissimule son identité
              avec deux issues possibles : l’inconnu se fait fièrement connaître ou il est
              tragiquement démasqué ; ou bien quelqu’un détient le secret de la naissance d’un ou
              plusieurs enfants qui ne savaient pas eux même qui ils sont ; ou encore, seul le
              destin connaît la véritable identité du héros, comme dans Œdipe. Ici, « Oronte »
              dissimule son identité et se fait connaître plus qu’il n’est tragiquement démasqué,
              mais sa révélation se fait dans la douleur, puisqu’elle est provoquée par une autre
              révélation, elle-même douloureuse. De même les jeux sur les perceptions de la vérité
              viennent surcharger l’intrigue pour le plus grand plaisir des contemporains, et par
              effet de contraste, révéler avec une crudité accentuée la brutalité du sujet. On peut
              donc voir dans ces ornementations comme un écrin destiné à sublimer la pureté,
              l’essence de la pièce.</p>
          </div>
          <div>
            <head>Les signes de la tragédie classique</head>
            <p>Comme Racine, incarnation suprême du génie classique, Thomas Corneille se montre
              capable de transcender les contraintes. Il parvient notamment à dominer et tirer parti
              des tensions. Ce qui tendrait à s’exclure s’unit harmonieusement : la rigueur et le
              romanesque, l’audace – dans la violence des images, des actions, des sentiments – et
              la bienséance, la rigueur formelle et la brutalité du sujet. Il les mêle étroitement
              en faisant mener l’une à l’autre afin de rendre l’une plus intense et insoutenable.
                <hi rend="i">Laodice</hi> se présente à la fois sous l’apparence d’une pièce
              « implexe », construite sur des mécanismes compliqués, sophistiqués ; et à la fois
              comme une tragédie sauvage, destinée à susciter une horreur primaire, épidermique,
              appelant l’émotionnel le moins raffiné. La bienséance reste cependant préservée
              puisque Corneille parvient à ne rien montrer sur scène, ménageant ainsi la sensibilité
              d’un public délicat. <hi rend="i"> Laodice</hi> appelle donc autant l’intellect et la
              concentration par sa sophistication technique que l’instinct, l’émotionnel le plus
              immédiat. L’équivoque la plus fine côtoie la sauvagerie la plus dure, et la rend plus
              intense encore par effet de contraste. <hi rend="i">Laodice</hi> est une pièce de
              l’extrême. <hi rend="i">Laodice</hi> est bien une tragédie classique.</p>
            <p>L’un des signes de la tragédie est le recours au motif du sang. Comme beaucoup de ses
              contemporains, Corneille, sans rien montrer effectivement, réussit à imprégner sa
              pièce de sauvagerie, à colorer son texte par la crudité de l’image. Il faut répandre
              le sang, lutter contre son propre sang ou le sauver encore. On observe une variation
              fine autour des différents sens du mot. Viennent s’entrechoquer signification
              abstraite et concrète : « le sang » revêt tour à tour les sens de parenté, d’hérédité,
              de vie, de mort, de passion, de personne, de sang qui coule dans les veines… Rien que
              dans la scène 2 de l’acte V, lors de l’ultime et fatale confrontation entre Laodice et
              Ariarate, sept occurrences du mot viennent émailler le texte. Il est tour à tour
              question de « respecter le sang »<note place="bottom">V. 1488.</note>, soit les liens
              du sang, la parenté ; de demander « le sang<note place="bottom">V. 1498.</note> »,
              d’Ariarate soit de faire couler son sang, donc de demander sa mort ; de « vaincre le
                sang<note place="bottom">V. 1506.</note> », pour rendre la mère soit de vaincre
              l’humeur qui commande les passions, donc de mettre fin à ses égarements, à ses
              transports ; de dérober « le sang » que Laodice aimait « à poursuivre<note
                place="bottom">V. 1542.</note> », soit de lui retirer les désirs qu’elle
              nourrissait, soit de lui ôter du regard la vie, la personne qu’elle cherche à
              éliminer, ou encore, si l’on veut jouer sur les mots et y voir un troisième niveau de
              lecture, comme il est fréquent dans l’œuvre, de lui reprendre un sang qui lui
              appartient aussi – d’où le choix du possessif –, son propre sang, son fils, qu’elle
              poursuivait de ses assiduités – poursuivre joue également sur deux registres
              différents : un registre simple, et un registre galant – ; de n’épargner « point le
              sang, ce sang trop odieux<note place="bottom">V. 1570.</note> », soit sa vie, puis le
              sang qu’ils ont en commun, leur hérédité ; de faire « du sang » le dernier
                « sacrifice<note place="bottom">V. 1622.</note> », soit de faire couler le sang au
              sens propre, mais également de sacrifier son propre sang, au sens de son fils, ou de
              parenté ; d’effacer dans son « sang » la « tendresse<note place="bottom">V.
                1633.</note> », du caractère d’Ariarate soit d’effacer en faisant couler son sang,
              au sens propre uniquement… crudité appuyée par les suppliques du prince :</p>
            <quote>
              <l>Frapez, percez ce cœur dont les derniers soûpirs</l>
              <l>Furent toûjours l’objet de vos plus chers desirs<note place="bottom">V.
                  1631-1632.</note></l>
            </quote>
            <p>C’est donc au sens propre qu’il triomphe, comme pour illustrer la violence de
              l’éruption de la vérité. Laodice vient en effet juste d’apprendre l’identité
              d’Ariarate, ce dernier venant lui même d’apprendre le désir maternel. À noter qu’à la
              fin de cette scène, tout concourt à suggérer cette violence de la vérité : Laodice le
              dit enfin sans détours : « Cinq enfans immolez par mes trames secretes<note
                place="bottom">V. 1613.</note>. »</p>
            <p>Elle lui reproche d’avoir « allumé dans le sein d’une Mere » « une ardeur à la fois
              et détestable et chere<note place="bottom">V. 1617- 1618</note> ». Le terme « sein »
              contenant une connotation charnelle ajoute à cette crudité avivée par l’omniprésence
              de l’image du sang. Nous sommes dans la violence de l’immédiat. La distance obligée
              voulue par la tragédie pour lui donner de la majesté est presque abolie.</p>
          </div>
        </div>
        <div>
          <head><hi rend="i">Laodice</hi>, une pièce trouble</head>
          <p>Si <hi rend="i">Laodice</hi> est formellement impeccable, Thomas Corneille n’a pourtant
            de cesse d’y jouer sur la perception de la vérité. On dissimule, on manigance en secret,
            on joue beaucoup sur la duplicité des paroles, donc, mais aussi des actes, des
            évènements, on inverse les conventions, on renverse les situations. On complique, on
            embrouille, on joue sur l’ironie : on donne le vertige au public. Si les personnages
            sont parfois complices de ces subversions, seul le public en est conscient souvent, et
            en jouit – ou plutôt s’en inquiète. Chaque chose semble pouvoir contenir son contraire.
            Rien n’est établi, solide, tout peut vaciller : le faux mener au vrai, le bien se faire
            mal… Les valeurs antithétiques correspondent dans un jeu de miroir où n’importe que
            l’étourdissement du spectateur. Il faut le mettre à mal, le piquer pour exacerber
            l’émotion tragique.</p>
          <div>
            <head>La duplicité</head>
            <div>
              <head>Laodice accomplit deux fois ses crimes</head>
              <p>Différents types d’éléments de l’intrigue fonctionnent ou apparaissent par deux :
                Laodice accomplit pour la seconde fois ses crimes. La journée au cours de laquelle
                se déroule la pièce est présentée comme l’offre tacite d’une seconde chance par
                Rome. Rome sait tout de son passé criminel, de son règne illégal, et délègue un
                ambassadeur en vue de révéler publiquement l’identité d’Ariarate et de le placer sur
                le Trône. Depuis deux ans déjà, elle tente de faire fléchir sa volonté par
                « Oronte ». Mais l’immobilisme s’éternisant, il faut bien envoyer quelqu’un sur
                place. Ariarate la croit ramenée à la vertu un bref moment, lorsqu’elle feint
                vouloir l’épouser pour conserver le trône à son fils. Mais l’héritier imposteur
                envoyé par Rome a tôt fait de renverser la situation. Le passé se répète. Son fils
                n’a pas été éliminé ? Et bien, il faut en venir à bout et l’assassiner une bonne
                fois pour toutes. Pour ce faire, on demande à un premier Ariarate, dit « Oronte »
                d’éliminer un second Ariarate, imposteur celui là. Deux Ariarate, encore.</p>
            </div>
            <div>
              <head>Deux forces agissantes contre Laodice</head>
              <p>Deux forces égales et antinomiques s’opposent à Laodice : Rome et le Peuple, dont
                il est respectivement question dans 162 et 109 vers. Elles viennent s’équilibrer,
                l’une constituant la puissance au delà, l’autre la puissance en deçà. Toutes deux
                constituent deux moteurs essentiels de l’intrigue. Ce sont elles qui provoquent
                l’imminence du choix. Ce sont elles qui poussent Laodice à sortir de son
                immobilisme, à prendre des décisions pour déjouer leur volonté. Ce sont donc elles
                qui sont à l’origine de la crise tragique, mais par des voix différentes. Le peuple
                incarne la force profonde, déraisonnée, primaire, les instincts premiers de
                l’humanité, les pulsions sans bride, tandis que Rome menace plus sourdement, de
                manière plus absolue parce que plus organisée, plus froide.</p>
              <div>
                <head>Rome</head>
                <div>
                  <head>Caractère abstrait de cette force</head>
                  <p>Telle une redoutable pieuvre, elle exerce son pouvoir à distance, s’immisce
                    silencieusement dans l’univers protégé de Laodice. Pour souligner le caractère
                    lointain et avant tout mental de cette menace, Corneille use de procédés
                    insistant sur le caractère abstrait de Rome. Elle n’est pas perçue, comme le
                    Peuple, en tant que force immédiate et palpable. Corneille, en utilisant la
                    métonymie pour désigner la force morale romaine, vide l’idée première du lieu –
                    Rome – de toute valeur concrète. Le lieu est intériorisé, désancré, il n’est
                    plus qu’entité politique<note place="bottom">Cet emploi métonymique propre à la
                      tragédie classique, où l’on gomme le particulier, prouve que la primauté est
                      accordée à l’humain. Cf. Jean Emelina, « La géographie tragique », dans<hi
                        rend="i"> Comédie et tragédie</hi>, Nice, Publication de la faculté des
                      Lettres, arts et sciences humaines de Nice, 1998.</note>. D’autre part, si
                    l’on ne parle que de Rome au cours de l’intrigue, elle ne délègue qu’une seule
                    personne, Aquilius, absent une bonne partie de la pièce, et qui ne prend la
                    parole qu’à la scène 6 de l’acte IV. On retrouve encore cette volonté
                    d’abstraction. Corneille joue sur l’absence, l’invisibilité romaine, ce qui
                    accentue la menace. On la sent mais on ne peut la définir. Elle échappe. On peut
                    donc considérer Aquilius comme un personnage synecdotique, représentant une
                    force morale désignée par un lieu : Rome.</p>
                </div>
                <div>
                  <head>Un principe d’action et de décision</head>
                  <p>Rome, à l’inverse du Peuple qui fonctionne avant tout comme un principe
                    d’expression, constitue un principe de décision. On peut le constater dés l’acte
                    I, où l’accent est mis sur son dynamisme. Pour diverses que soient ses
                    désignations dans l’ensemble de l’intrigue – Le Sénat, Rome, Cette Reyne des
                    Roys, Aquilius, l’ambassadeur, le Romain, vostre Republique – on remarque qu’à
                    l’acte I, il ne s’agit que de Rome, la plupart du temps en position de sujet de
                    verbes à l’actif et non composés. À l’acte I, scène 1, « le Senat députe<note
                      place="bottom">V. 1.</note> », « Rome s’interesse (…)<note place="bottom">V.
                      5.</note> », « Rome se plaindra [d’un] choix fait sans elle<note
                      place="bottom">V. 17.</note> », « Rome agrandit [un] Empire<note
                      place="bottom">V. 20.</note> », « Rome destina [Axiane] pour femme à l’Aisné
                    [des] Fils [de Laodice]<note place="bottom">V. 36.</note> »<hi rend="i">…</hi>,
                    à la scène 3, « Rome envoye [Aquilius] en [Cappadoce]. Dans le passé, Rome eut
                    en ostage Ariarate<note place="bottom">V. 278.</note> », et « Rome se plaignit
                    qu’il luy fut enlevé<note place="bottom">V. 280.</note> », mais encore : « Rome
                    qu’occupoit lors une pressante guerre / Suspend pour quelque temps l’éclat de
                    son tonnerre<note place="bottom">V. 301 et 302.</note> » [et] « feint qu’on luy
                    vient d’enlever son Ostage<note place="bottom">V. 306.</note> »</p>
                  <p>La figure de Rome est donc prépondérante dans la pièce. Il n’est question que
                    d’elle. Elle obsède les personnages, habite leurs discours, motive leurs
                    actions. À la manière d’un pivot reliant passé – C’est elle qui a agrandi
                    l’Empire et destiné Axiane à l’aîné des fils de Laodice –, présent – c’est elle
                    qui délègue un ambassadeur pour aider Laodice à choisir un nouveau roi – et
                    futur – c’est elle qui se plaindra si un choix est fait sans elle. D’elle
                    dépendra la crise tragique –, elle assure l’unité d’une pièce actualisant les
                    trois dimensions temporelles.</p>
                  <p>À l’acte II, le lexique qui la concerne n’est plus celui de l’action mais celui
                    de la domination. Les deux puissances – Laodice et Rome – s’affrontent en usant
                    des mêmes armes, celles des manœuvres secrètes, des ruses : Laodice projette de
                    satisfaire les désirs respectifs de Rome et du Peuple en prenant elle – et non
                    sa fille – un époux sous couvert de garder la couronne à un héritier
                      légitime<note place="bottom">Acte II, scène 1.</note> ; Rome, quant à elle,
                    envoie un imposteur pour prévenir d’éventuelles trahisons<note place="bottom"
                      >Acte II, scène 6. v. 721 à 724 : « Rome qui de mon sort eut toûjours
                      connoissance / A feint de s’abuser sur sa fausse naissance, / Et ne l’envoie
                      icy qu’afin de l’y punir / Du mensonge insolent qu’il ose soûtenir. »</note>.
                    Le Peuple reste « hors jeu » au cours de cet acte. Dupé par les subtiles
                    tactiques de sa Reine et de Rome, il exprime sa joie à l’arrivée de celui qu’il
                    prend pour Ariarate<note place="bottom">Acte II, scène 5, v. 685 : « Et le
                      Peuple montrant sa joie et sa surprise… »</note>. À la première scène, le
                    lexique employé par Laodice suggère la puissance romaine, une puissance limpide,
                    évidente : les princes de Cappadoce emploient « son pouvoir » pour ébranler la
                    Reine, Rome voudra-t-elle « consentir » au mariage de Laodice ? faut-t-il
                    « s’assujettir à son orgueil » ? « Règlera »-t-elle la conduite de Laodice ?
                    Dans les scènes suivantes, il n’est toujours question que d’ordres du Senat à
                    respecter ou non<note place="bottom">V. 516.</note>, de « joug » à refuser<note
                      place="bottom">V. 518.</note>, de « pouvoir » du Senat<note place="bottom">V.
                      687.</note>, de « secours » à « implorer »<note place="bottom">V. 720.</note>,
                    de punition romaine<note place="bottom">V. 723.</note>… À la scène 3 de l’acte
                    III, celle ou la figure romaine sera le plus citée, la perception du pouvoir
                    romain bascule. Le pouvoir romain n’est plus ressenti comme limpide, mais
                    sournois. On revient sur son caractère abstrait. Sa menace, impalpable, sourde,
                    est telle que Laodice développe un discours fiévreux touchant presque parfois la
                    paranoïa. Cherchant à diaboliser Rome dans l’esprit d’« Oronte », elle n’utilise
                    pour en parler qu’un vocabulaire suggérant le complot généralisé : quand elle ne
                    désigne pas les Romains comme des « tyrans », elle a recours aux pronoms
                    personnels de la troisième personne – « ils », « elle », « eux », « on<note
                      place="bottom">V. 910 à 932.</note> » – qui soulignent le caractère indéfini,
                    invisible, quasi anonyme de cette force : elle ne sait précisément qui agit.
                    Elle refuse de faire régner « l’esclave des romains<note place="bottom">V.
                      896.</note> » qui ont voulu dans un premier temps « penetrer sa pensée » et
                    désireux de la perdre au moyen de leur « Politique<note place="bottom">V.
                      921.</note> ». Avec le vers : « Ils ont voulu d’abord penetrer ma pensée<note
                      place="bottom">V. 926.</note> ».</p>
                  <p>On touche précisément à l’idée d’infiltration sournoise propre à la perception
                    de la puissance romaine. Cette perception abstraite culmine ici, à tel point que
                    la folie est proche.</p>
                  <p>Tout bascule au quatrième acte. Rome est perçue cette fois de manière concrète
                    puisqu’à la scène III, un personnage fait le récit de l’arrivée des troupes
                    romaines en Cappadoce. Phradate raconte en effet l’émotion de son peuple
                    lorsqu’il aperçoit « de loin briller l’Aigle Romaine, qui vers eux à pas lents
                    paraît s’avancer »<note place="bottom">V. 1190 et 1191.</note>. C’est à ce
                    moment que les deux forces antinomiques se rencontrent et que le processus
                    tragique s’accélère avec une violence inouïe. En effet, Aquilius arrive
                    accompagné d’Ariarate, l’héritier tant désiré. Le Peuple est en liesse. Mais le
                    roi meurt aussitôt sous les yeux d’un Peuple hagard. Là naît sa colère,
                    déterminante. Désormais, il n’est plus que masse vociférante, force
                    irrépressible, imprévisible, chaotique. L’horreur contenue, réprimée depuis le
                    commencement de l’intrigue, c’est à dire depuis les crimes oubliés de Laodice,
                    jaillit et s’exprime par sa folie. Cette hystérie collective ne pourra s’apaiser
                    que par le sacrifice final du mal qui l’a engendrée, soit celui de la Reine.
                    Mais si la dernière marche est amorcée, et que le monde extérieur s’insurge
                    contre elle, Laodice, comme ignorante de la transe collective, adopte le calme.
                    Elle change en effet son discours concernant la puissance romaine et feint une
                    sereine bienveillance à son égard. En effet, si</p>
                  <quote>
                    <l>Ce tumulte impréveu cache quelque mystere,</l>
                    <l>Rome a pour l’éclaircir le pouvoir d’une Mère<note place="bottom">V. 1221 et
                        1222.</note></l>
                  </quote>
                  <p>Elle redouble d’obséquiosité en s’adressant à Aquilius. Les tyrans sont
                    désormais une respectable « Republique »<note place="bottom">V. 1309.</note>.
                    Elle pleure un fils défunt « instruit par de grands Maistres »<note
                      place="bottom">V. 1313.</note> et implore Aquilius de prendre « un absolu
                      pouvoir »<note place="bottom">V. 1336.</note> car seul lui saura séparer
                    l’innocent du coupable<note place="bottom">V. 1338.</note>. Les derniers mots
                    concernant Rome empruntent au lexique de la justice. Le Sénat a envoyé un
                    imposteur « pour en punir l’audace » et souhaite voir Laodice régner sur la
                    Lycaonie, ce qui prouve son « équité ». La bienséance, Rome et la raison
                    triomphent donc de la folie générale. Pour un temps seulement. Car toute
                    tragédie qui se respecte se doit, pour être efficace, de malmener les nerfs du
                    spectateur par le jeu alterné de l’espérance et des alarmes. Comme le remarque
                    La Bruyère au sujet du processus tragique : « s’il vous donne quelque relâche,
                    c’est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et de nouvelles alarmes. »</p>
                </div>
              </div>
              <div>
                <head>Le Peuple</head>
                <p>À l’espoir d’une réconciliation Rome /Laodice succède un surenchérissement de
                  rage du Peuple. Si, comme Rome, il ne semblait qu’une entité lointaine au début de
                  la pièce, sa présence se déploie au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Il
                  envahit le palais à la scène finale.</p>
                <p>En effet, à l’acte I, il n’en est encore question qu’évasivement, même si ses
                  souhaits sont clairs. Laodice a beau savoir que :</p>
                <quote>
                  <l>Déjà depuis long-temps le peuple à haute voix</l>
                  <l>Afin d’avoir un Roy presse pour ce grand choix<note place="bottom">I, 1, v. 7
                      et 8.</note>,</l>
                </quote>
                <p>et Axiane constater que la Reine attendrait toujours le retour de son fils : « Si
                  le peuple ennuyé ne pressoit ce grand jour<note place="bottom">V. 52.</note> », il
                  est davantage perçu, dans le texte, comme force d’expression que comme force
                  d’action – il la détermine pourtant. Il est celui qui colporte les bruits, comme
                  le montre les propos le concernant : Axiane constate que « l’on se flate que le
                  Ciel a sauvé le jeune Ariarate »<note place="bottom">V. 37 et 38.</note>, et se
                  demande « d’où vient le bruit qui le force à renaistre<note place="bottom">V.
                    46.</note> ». À la scène 2, Ariarate revient sur cet aspect murmurant du peuple
                  avec le vers : « Chacun le publia comme on le voulut croire » qui souligne, par le
                  recours aux indéfinis « chacun » et « on » le caractère sourd de l’action pourtant
                  déterminante de cette masse. La représentation du Peuple reste diffuse, il est
                  réduit à ses revendications et au vague des rumeurs qu’il répand. Par la force de
                  sa voix, c’est lui qui presse pourtant pour la mise en place d’un nouveau roi.</p>
                <p>À l’acte II la pression se fait plus active. Sa force demeure vocale, mais elle
                  se précise et quitte le vague du début. Le Peuple commence à rassembler ses forces
                  pour former une masse homogène et efficace dans son action. Comme s’en alarme
                  Laodice : « D’un peuple audacieux l’impatience éclate<note place="bottom">II, 1,
                    v. 406.</note> » Et :</p>
                <quote>
                  <l>Le Peuple agit par eux<note place="bottom"><hi rend="i">Par eux</hi> : par les
                      Princes.</note>, il me demande un Maistre,</l>
                  <l>Et le Peuple obtiendra ce qu’il attend de moy<note place="bottom">II, 2, v. 574
                      et 575.</note></l>
                </quote>
                <p>Il semble à chaque scène de plus en plus pressant. Il n’en n’est pas une où l’on
                  ne trouve le concernant un vers tel que :</p>
                <quote>
                  <l>Le Peuple cependant chaque jour fait connoistre</l>
                  <l>Qu’attendant qu’il se montre il veut un second maistre<note place="bottom">II,
                      3, v. 624 et 625.</note></l>
                </quote>
                <p>La multiplication des fréquences de ce type de vers avive la tension tragique. Le
                  temps presse. Force d’expression, toujours, dans l’impatience, mais aussi dans la
                  joie : il montre. Théodot le constate à la scène V de l’acte II : « Et le Peuple
                  montrant sa joye et sa surprise<note place="bottom">V. 685.</note> ». « Tant de
                  joye éclate<note place="bottom">V. 689.</note> », alors qu’il croit voir arriver
                  le nouveau roi.</p>
                <p>On peut considérer, par ailleurs, que le Peuple fonctionne comme une sorte
                  d’immense catharsis dans la mesure où il est assimilable à une sorte de défouloir
                  géant, de poche immense destinée à contenir les émotions véhiculées par
                  l’intrigue. Le Peuple capte en effet tout ce qui est tacite dans la pièce et
                  l’exprime de manière déréglée, brute. Il s’emplit ainsi de joie, de désespoir, de
                  haine, d’horreur ou de crainte jusqu’à ne plus pouvoir en absorber davantage, et
                  au moment ou les limites du supportable sont atteintes, expulse hors de lui un
                  contenu dont la violence, macérée, digérée, développée par le temps d’ingestion
                  s’est décuplée.</p>
                <p>De fait, le verbe « éclater » revient souvent à son sujet : « son impatience »,
                  « sa joye », « un bruit »<note place="bottom">V. 689-709.</note>, « son
                    desespoir »<note place="bottom">V. 1175.</note> éclatent les uns après les
                  autres. D’autres termes empruntés au lexique de l’expulsion, tels que
                  « montrant », « fait connoistre », « sortant »<note place="bottom">V. 1187.</note>
                  opposent une première isotopie à une seconde, antagoniste, celle de la contenance,
                  du  « remplissage », qui apparaît également avec fréquence : le Peuple est comblé
                  de joie à l’arrivée du fils si souhaité<note place="bottom">V. 853.</note>,
                  Laodice doit feindre de « donner » au Peuple un nouveau roi<note place="bottom">V.
                    437.</note>, le Peuple « va grossissant (…) dans la Cour du Palais, [où il] est
                    amassé<note place="bottom">V. 1707. 1719.</note> ».</p>
                <p>Nous l’avons dit, c’est à partir de l’acte IV que le peuple n’est plus
                  qu’expression de l’horreur jusque là contenue. Il se déploie et sa figure envahit
                  le texte. À partir de cet acte, on compte 77 vers le concernant, alors que les
                  actes précédents n’en comptaient que 32.</p>
                <p>On observe une montée progressive et spectaculaire de sa furie : à
                  l’« allegresse » succèdent les « soûpirs » à la scène 2, puis « un aveugle
                  emportement » à la scène 3, « un grand trouble s’appreste » enfin, à la scène
                  6.</p>
                <p>À l’acte V, la sauvagerie jusque là contenue et limitée à la voix déborde et la
                  force d’expression se fait force d’action : «  le Peuple animé de rage et de
                  douleur » s’attaque cette fois directement à Anaxandre et le prend « pour
                    victime<note place="bottom">V. 1436 à 1442.</note> ».</p>
                <p>Il s’introduit ensuite dans le Palais pour réclamer le sacrifice de la Reine,
                  qu’elle exécute du haut d’un balcon. Le dérèglement de cette masse furieuse
                  atteint son paroxysme dans ces dernières scènes. Elle semble déborder de partout :
                  Sa progression est suggérée dés la scène V, où Aquilius s’inquiète de voir la
                  populace « esmeuë »/ « grossissant toûjours dans la Cour du Palais<note
                    place="bottom">V. 1710</note> ». Phradate, enfin, à la scène 6, raconte
                  comment</p>
                <quote>
                  <l>Le Peuple au Palais amassé</l>
                  <l>À la vue de la Reine animant sa fureur</l>
                  <l>Pour elle a marqué de l’horreur</l>
                  <l>Et joignant insolemment l’injure à la menace</l>
                  <l>Du plus sanglant reproche a armé son audace<note place="bottom">V. 1723 à
                      1726.</note>.</l>
                </quote>
                <p>À cet ultime assaut succède la mise à mort finale : Laodice se poignarde sous ses
                  yeux.</p>
                <p>On remarque que l’arme du Peuple est toujours la voix. Paradoxalement,
                  l’expression engendre l’action puisqu’il parvient à ses fins par l’injure et la
                  menace.</p>
                <p>De même le long du texte peut on observer le concernant tout un lexique vocal :
                  « le peuple à <hi rend="u">haute voix</hi> presse pour ce grand choix<note
                    place="bottom">I,1,v. 7 et 8.</note> », « Chacun (…) <hi rend="u">publia</hi> »
                  l’empoisonnement de ses fils par Laodice<note place="bottom">I,3, v. 290.</note>,
                  « il (…) <hi rend="u">demande</hi> un Maistre » à Laodice<note place="bottom"
                    >II,2, v. 574.</note>, « le Peuple (…) <hi rend="u">fait connoistre</hi> /
                  qu’(…) il veut un second Maistre<note place="bottom">II,3, v. 625 et
                  626.</note> », Phradate demande « d’où naist <hi rend="u">ce bruit</hi> qui tout à
                  coup éclate<note place="bottom">II,6, v. 709.</note> », Laodice rappelle à
                  Ariarate dit Oronte « quels fâcheux <hi rend="u">bruits</hi> coururent<note
                    place="bottom">III,3, v. 986.</note> », on ne sait encore une étrange disgrâce
                  « que sur un <hi rend="u">bruit</hi> confus<note place="bottom">IV, 2,
                    v.1151.</note> », il fait jusqu’au Palais « retentir de longs <hi rend="u"
                    >cris</hi>, on <hi rend="u">gémit</hi>, on se <hi rend="u">plaint</hi>, et le
                  Peuple <hi rend="u">demande</hi> au Ciel<note place="bottom">IV,2, v. 1156 à
                    1158.</note> », « il profère des <hi rend="u">cris</hi> confus<note
                    place="bottom">IV,3,v.1175.</note> », il faut lui « annoncer » la joie de revoir
                    Ariarate<note place="bottom">IV, 8, v.1406.</note>, « il dit<note place="bottom"
                    >V,1,v.1441.</note> », « Anaxandre lui fait oüir à hauts <hi rend="u"
                    >cris</hi><note place="bottom">V,1,v.1443.</note> », il est tiré d’erreur par
                  « un <hi rend="u">bruit</hi> par tout semé<note place="bottom"
                  >V,1,v.1447.</note> », « il <hi rend="u">crie</hi> à haute voix<note
                    place="bottom">V, 4, v.1691.</note> », il « nomme / à haute <hi rend="u"
                    >voix</hi> » Laodice « Parricide<note place="bottom">V,5,v.1709.</note> ».</p>
                <p>Le Peuple est donc à la fois principe d’action et principe d’expression. Par sa
                  puissance expressive, il presse l’action, hâte les personnages à agir, développe
                  la tension de l’intrigue. Mais il est également force de réception. Il capte,
                  absorbe, recueille cette tension à la manière d’un gigantesque réceptacle humain,
                  et comme une éponge, se remplit, grossit jusqu’à l’outrance, pour éclater enfin,
                  submergé par ce trop plein émotif. Il est donc à la fois celui qui engendre les
                  tensions et celui à qui elles reviennent, celui qui les reçoit, et qui les expulse
                  à nouveau. Sorte d’immense catharsis, il exprime l’énormité de l’horreur en la
                  vomissant, illustre ce qui n’est plus supportable par ses noirs dérèglements. Il
                  est donc à la fois force agissante et représentante, principe actif et passif. On
                  revient encore à l’idée résurgente de duplicité.</p>
              </div>
            </div>
            <div>
              <head>Deux sphères</head>
              <p>On revient encore à cette notion de duplicité dans la présence de deux sphères
                opposées : une sphère publique et une sphère privée.</p>
              <div>
                <head>Symétrie ?</head>
                <p>On peut constater que ces deux points de vue divergents <hi rend="i">a
                    priori</hi> correspondent, s’interpénètrent dans la pièce. En effet, on connaît
                  les deux ressorts fondamentaux de l’intrigue : il s’agit pour Laodice de rester au
                  Trône, et c’est dans ce but qu’elle manœuvre pour devancer la décision de Rome –
                  nous sommes apparemment jusqu’ici dans la sphère publique. Par ces manœuvres, elle
                  pourra également posséder « Oronte », et s’arroger en quelque sorte son amour –
                  nous accédons à la sphère privée. Inversement, ce sont les desseins relevant du
                  domaine privé qui priment chez Ariarate : il faut conquérir l’amour maternel avant
                  toute chose, et ce pour parvenir au trône, de l’ordre du domaine publique. Une
                  exacte symétrie semble donc remarquable à première vue entre les schémas dans
                  lesquels s’inscrivent les héros. Pour « Oronte », les sentiments sont nobles
                  tandis que l’ambition est vile. Pourtant, si la sphère publique semble importer
                  davantage que la sphère privée pour Laodice – parce que l’ambition, plus noble,
                  prime sur les sentiments, jugés comme gages de faiblesse – il est à noter que
                  cette ambition, étant par essence passion, relève par conséquent d’un rapport
                  privé à la chose publique. La séparation entre les deux sphères n’est donc pas si
                  nette qu’elle n’y paraît et Thomas Corneille persiste à maintenir le trouble.</p>
              </div>
              <div>
                <head>Linéarité de l’action ?</head>
                <p>Corneille jette plus que jamais l’équivoque en entraînant le spectateur dans une
                  ronde étourdissante. Elle prend son élan dans la sphère publique, où un premier
                  clan agit pour que soit nommé Ariarate au pouvoir, entreprise qui correspond avec
                  celle de la reine, seule, qui sans le savoir nourrit le même dessein : nommer
                  Ariarate dit Oronte au pouvoir. Cette volonté est elle même motivée par le désir
                  de s’arroger l’amour d’Oronte en l’épousant, désir qui correspond avec celui
                  d’Ariarate dit Oronte, qui veut lui même se faire aimer de Laodice – mais d’un
                  amour d’une nature différente –, et ce pour régner – mais d’une manière
                  différente. La boucle est bouclée. Les deux clans aspirent en apparence aux mêmes
                  fins, et là se trouve l’aspect subversif de l’œuvre. Là correspondent les valeurs
                  antagonistes. Là sont remises en question les places que nous leur accordons. Le
                  mal est-t-il mal ? Le bien est-t-il bien ? Ne peuvent-t-ils pas se télescoper ? En
                  tout cas dans l’intrigue, nous constatons que les deux héros, Laodice et Ariarate,
                  veulent tous deux être aimés de l’un ou de l’autre, tous deux aspirent à voir
                  régner la même personne, et tous deux souhaitent que Laodice conserve une forte
                  influence. Mais la nature de leur amour diffère, justement parce que l’homme aimé
                  cache</p>
                <p>le fils haï. Si Laodice souhaite voir régner Oronte, elle rejette violemment
                  Ariarate. Et c’est parce qu’Oronte a voulu conquérir l’amour maternel qu’il y a eu
                  perversion de sentiment, parce que pour ce faire, il fallait dissimuler son
                  identité. Ariarate, d’autre part ignore que l’amour désirant motive la décision de
                  Laodice. Il ignore encore qu’elle hait toujours son fils, comme toute personne
                  menaçant le sceptre. Un climat de non dit permet à l’équivoque de se développer de
                  manière malsaine jusqu’à la catastrophe finale, le moment où la vérité ne pourra
                  plus qu’éclater.</p>
              </div>
            </div>
          </div>
          <div>
            <head>Les manipulations de la vérité</head>
            <p>L’ironie se distingue, dans <hi rend="i">Laodice</hi>, par son omniprésence. Les
              actes, les situations, les paroles des personnages contiennent très fréquemment un
              sens double appelant la complicité du spectateur. Son texte, jouant en permanence sur
              l’équivoque, suscite le plaisir du spectateur parce qu’il le place dans la position
              flatteuse de celui qui détient un savoir supérieur. Le public a ainsi l’agréable
              sensation de percevoir une réalité qui échappe, et ressent comme un sentiment de
              pouvoir.</p>
            <div>
              <head>L’ironie macrostructurelle</head>
              <p>T. Corneille, en digne héritier de la tragédie antique, a recours à l’ironie du
                sort. La tradition veut que le héros tragique soit joué par une force supérieure –
                les dieux jouaient ce rôle dans la tragédie grecque. Cette force supérieure
                manipulait le héros, l’induisait en erreur, de sorte que plus ce dernier avait
                l’impression d’échapper à son destin, plus il s’y enfonçait. Il en va de même pour
                Laodice : tout semble lui sourire pour que la chute soit d’autant plus grande.
                Jusqu’à la crise ou chute, T. Corneille met habilement en place le processus
                tragique.</p>
              <p>L’ironie du sort fait par exemple en sorte que Rome et Laodice aspirent à faire
                régner une personne identique, mais que tout se joue sur un nom : Laodice haïrait
                Ariarate s’il ne portait pas le nom d’« Oronte ». Elle fait en sorte encore que deux
                personnes, Laodice et Ariarate agissent pour s’arroger leur amour. Tout se joue
                encore sur un nom : car si Oronte portait le nom d’Ariarate, la nature des
                sentiments de Laodice n’aurait pas dévié.</p>
              <p>Ironie du sort encore, dans le fait que Laodice croit systématiquement jouer
                l’adversaire alors que c’est précisément elle qui est jouée, par ses adversaires,
                mais aussi par le sort. L’intrigue est une succession de complots, que le spectateur
                sait vains à chaque reprise. À l’acte I, Laodice met en œuvre toute une machination
                pour demeurer au trône. Elle s’imagine devancer le Sénat en prenant époux et
                parvenir à maintenir l’immobilisme en prétextant attendre le fils soit disant
                disparu. Seulement, elle qui croit dominer la situation est jouée par le sort car le
                fils qu’elle utilise et croit mort est vivant et, comble d’ironie, est même l’époux
                qu’elle se destine. L’ironie va plus loin encore, car ce fils cru mort est
                précisément celui qu’elle s’apprête à nommer roi. Plus elle semble vouloir déjouer
                Rome, plus elle se soumet à sa volonté et s’éloigne de la sienne. Ses déploiements
                d’énergie sont vains puisque le dénouement est déjà programmé, et que l’ambassadeur
                qu’elle croit jouer vient pour rompre le silence. À l’acte II, encore, Laodice
                fomente un complot puisqu’elle tente d’entraîner « Oronte » dans une conjuration.
                Elle se tourne ensuite vers Anaxandre, et explique à Cléone quels sont ses plans.
                Mais ces déploiements d’énergie sont toujours fatalement vains puisque Laodice se
                trompe de victime et, triomphe d’ironie, va même jusqu’à demander à la bonne victime
                d’être l’auteur du crime.</p>
              <p>Ironie du sort encore, dans le caractère vain de l’enquête qu’elle lance au sujet
                de la mort de celui qui n’était qu’un imposteur. Elle pense jouer tout le monde, sa
                cour et Aquilius, mais Aquilius joue davantage avec elle puisque conscient de la
                gratuité de l’enquête, il la laisse tout de même suivre son cours, pour n’annoncer
                l’imposture qu’après. Elle finit par céder le Trône au dernier acte, pensant qu’il
                lui reste ce qui désormais est le plus important : son amour. Elle croit triompher
                une dernière fois. Mais elle ne sait pas le pire. L’ironie du sort lui porte le coup
                de grâce. Celui qui a tout mis en œuvre pour s’attirer ses faveurs ne s’est pas cru
                si victorieux. Le Ciel a plus exaucé ses souhaits qu’il ne le soupçonne. Son excès
                de zèle a en effet engendré une passion effrénée chez la Reine. Les stratégies
                respectives de Rome et d’Ariarate se rejoignent pour la perdre et anéantir ses
                machinations au dernier acte.</p>
              <p>Les actes également peuvent prendre des tournures ironiques : Laodice enjoint son
                propre fils à éliminer celui qu’elle croit être son fils, Anaxandre tente de briguer
                le futur Roi pour être lui même nommé Roi, Axiane reproche à son futur époux de la
                céder bien facilement à son futur époux.</p>
              <p>De même l’ironie à plus grande échelle habite le texte puisque Corneille met le
                faux au service du vrai et, en appelant la complicité du spectateur, s’assure de
                l’efficacité de sa pièce.</p>
            </div>
            <div>
              <head>L’ironie microstructurelle</head>
              <p>Nous l’avons vu, le déguisement constitue un enjeu essentiel de l’intrigue dans <hi
                  rend="i">Laodice</hi>. Nous constaterons qu’il influe avant tout sur le discours
                du personnage déguisé. Mais avant d’en venir là, rappelons le caractère, le but, la
                cause, le mode, l’expression du déguisement d’Ariarate. En nous fondant sur
                l’ouvrage de Georges Forestier : <hi rend="i">Esthétique de l’identité dans le
                  théâtre français</hi> , nous pouvons tout d’abord observer que, contrairement à
                  <hi rend="i">Don Sanche d’Aragon</hi> et à <hi rend="i">Héraclius</hi>, le
                déguisement d’Ariarate est conscient. Il connaît son identité réelle et la masque
                verbalement – Ariarate affirme qu’il est ce qu’il n’est pas –, en vue de conquérir
                l’amour maternel. Le but de son déguisement d’identité oscille entre l’approche et
                la conquête, puisqu’il vise à approcher Axiane pour être aimé pour lui même et sa
                mère qu’il ne pourrait approcher sous sa véritable identité – elle le hait. Il est
                donc une variation de la reconquête et non une exception. Il est opéré par
                changement d’identité et de condition – le changement de condition étant un mode
                courant de déguisement, surtout lorsque la condition fictive est, comme ici
                inférieure à la condition réelle.</p>
              <p>Le déguisement sous-entend par ailleurs que le personnage déguisé joue un rôle qui
                se surajoute à son rôle de base, l’autre personnage faisant office de spectateur
                face à un comédien. Comme le montre Georges Forestier, il existerait donc une
                dramaturgie du déguisement. Pour faire fonctionner de manière interne le
                déguisement, il faudra par exemple surimposer un élément significatif sur le rôle de
                base. Dans <hi rend="i">Laodice</hi>, Thomas Corneille surimpose au rôle d’Ariarate
                le nom d’ « Oronte », signe statique empêchant le personnage d’être perçu pour ce
                qu’il est, de même qu’un discours fictif , signe dynamique – même si la double
                entente fait que bien souvent le discours est plus celui d’Ariarate que celui
                d’ « Oronte ». L’action menée par le personnage étant attribuable à sa personnalité
                réelle –c’est Ariarate qui agit en pilotant de l’intérieur l’action de Rome, tandis
                qu’ « Oronte » semble passif face à une reine active en apparence – nous ne pouvons
                donc compter l’action comme signe de déguisement.</p>
              <p>Comme nous venons de le voir, la construction d’une personnalité fictive – celle
                d’« Oronte » – implique la construction d’un discours approprié permettant de faire
                vivre ce rôle fictif. Reste à savoir si l’auteur prête ou non à son personnage un
                discours construit, en rapport avec sa personnalité fictive, destiné à produire un
                certain effet sur le destinataire. Le personnage réel ne maîtrise effectivement pas
                à tous les coups son discours fictif – lorsqu’il y a parasitage du discours réel sur
                le discours fictif, dans le cas de rôles inconscients ou encore lorsque la
                personnalité réelle est évacuée. Ce n’est pas le cas dans <hi rend="i">Laodice</hi>
                où l’organisation du discours fictif obéit à une remarquable rhétorique. « Oronte »
                maîtrise en effet le plus souvent habilement son discours, jouant en permanence sur
                le dialogue du vrai et du faux. La construction rhétorique épouse donc étroitement
                le phénomène de dédoublement de la personne. On observe que le déguisement implique
                le discours plus que les actes. <hi rend="i">Laodice</hi>, par conséquent, est une
                pièce construite sur un déguisement rhétorique plus que dramatique.</p>
              <p>Analysons précisément le fonctionnement de l’expression de cette rhétorique
                complexe du vrai et du faux. À la différence des déguisements dramatiques – ou
                stratagèmes – fondés sur une rhétorique simple, soit l’expression du mensonge, et
                visant à dénouer l’action, le déguisement rhétorique vise au contraire à la nouer et
                use de l’opacité pour dire le vrai. Mêlant le vrai et le faux, il est donc plus
                complexe que le premier puisqu’il fonctionne sur une dialectique. Nous verrons que
                dans <hi rend="i">Laodice</hi>, Ariarate a effectivement recours au paraître pour
                dire ou révéler l’être : être aimé pour lui même ou révéler la félonerie d’Anaxandre
                ou de Laodice.</p>
              <p>Il faut par ailleurs noter que la rhétorique du vrai et du faux est la
                transposition dans le cadre de la communication théâtrale de l’ironie de situation,
                mais que cette ironie dramatique que nous nommerons, comme Georges Forestier, ironie
                verbale, ne correspond pas exactement au trope classique. L’ironie de <hi rend="i"
                  >Laodice</hi> n’est que rarement l’inversion de la valeur de vérité. « Oronte » ne
                dit pas A pour signifier le contraire de A, il dit A qui signifie également B. Son
                discours ne se fonde pas sur l’antiphrase mais sur la double entente. Il n’y a pas
                opposition mais superposition d’énoncés. Il n’y a pas, d’autre part, double langage,
                bien qu’il y ait double entente : le personnage ne fait pas entendre deux voix qui
                se contredisent, mais deux énoncés, qui ne se contredisent pas. Il n’en demeure pas
                moins qu’il s’agit toujours d’une manipulation de l’énoncé et qu’une
                réinterprétation nécessite sa pleine compréhension. Sera par conséquent considéré
                comme ironie verbale dans notre étude tout discours de personnage déguisé engageant
                une différence de savoir. Dès lors que le personnage déguisé, « Oronte », exclue le
                destinataire de son discours dans le même temps qu’il inclue des complices, dès lors
                que sera engagée une relation auteur-spectateur, enfin, il sera question d’ironie
                verbale. L’ironie verbale consistera donc, comme l’a fait remarquer J. Morel, à
                faire « exprimer une idée de manière telle que sous les mêmes mots une idée toute
                différente puisse être perçue », « que [le personnage] l’ait ou non désirée ». Nous
                verrons ainsi comment les personnages non déguisés pourront être les émetteurs
                involontaires de propos ironiques et comment par conséquent T. Corneille procède
                pour faire de l’émetteur la victime même du procédé ironique.</p>
              <p>Plusieurs types de combinaisons sont possibles dans ce jeu sur le vrai et le faux.
                Si le plus fréquent reste un discours vrai et faux à la fois, reçu comme vrai par le
                destinataire, mais dans un tout autre sens, <hi rend="i">Laodice</hi> propose une
                forme tout à fait originale de combinaison de jeu, à savoir l’expression d’un
                discours vrai reçu comme faux ou fictif par le destinataire. Si dans le premier cas
                ce qui paraît vrai induit le destinataire en erreur et biaise sa perception de la
                vérité, dans le deuxième cas, c’est ce qui paraît faux qui empêche au contraire la
                part de vrai d’être entendue.</p>
              <p>Il est remarquable d’observer ce cas de figure dans le cadre d’un discours fictif
                puisque par essence celui-ci doit être crû vrai par le destinataire. Pour présenter
                comme fictif un discours dans un discours lui même fictif, il s’agira de créer une
                situation d’énonciation particulière, soit d’user de procédés de mise à distance de
                ce discours, le faisant de ce fait passer pour fiction. À l’acte III, scène 1 est
                par exemple mis en place un processus de dénégation de la vérité : en plaçant les
                phrases qui suivent sur le compte d’« un aimable transport » qui le « fait
                imaginer » ce qu’il énonce, Ariarate invalide le contenu de son discours. « Oronte »
                peut ainsi jouir de dire le vrai, jouir de formuler leur bonheur à venir à Axiane
                sans se démasquer pour autant :</p>
              <quote>
                <l>Un aimable transport me fait imaginer</l>
                <l>Que c’est moy, c’est ma main qui va vous couronner,</l>
                <l>Que si vôtre malheur par le Trône s’efface,</l>
                <l>Malgré mes Envieux c’est moy qui vous y place<note place="bottom">V. 755 à
                    758.</note>.</l>
              </quote>
              <p>Ainsi, ce qu’Axiane ne prend que pour une simple vue de l’esprit est vrai.
                « Oronte » la couronnera effectivement puisqu’elle lui est destinée et qu’il est le
                futur roi. Axiane ne perçoit pourtant, grâce au procédé de mise à distance, que le
                signifié patent de l’énoncé, à savoir que la joie de ce dernier de la voir couronnée
                est telle qu’il aimerait la couronner lui même.</p>
              <p>Le second cas, unique dans le théâtre classique, et pourtant si heureux, se situe
                au centre même de l’intrigue, à l’acte III, scène 3, dans une scène charnière qui le
                met d’autant plus en valeur. La double entente si maîtrisée par « Oronte » dans les
                autres scènes, parce qu’elle gagne en intensité ici, pourrait sembler moins habile –
                car qui dit trouble dit perte de maîtrise. C’est tout l’inverse. Ariarate, par un
                procédé très particulier que nous allons étudier gagne en liberté d’expression. Il
                peut laisser plus de place à l’émotion qui déborde des contours de l’illusion.
                L’heure n’est plus au jeu allègre sur l’équivoque. C’est presque à visage découvert
                qu’il implore en effet une Laodice insensible et implacable. La reine, instruite sur
                la venue de celui qu’elle croit être son fils veut s’appuyer « Oronte » pour
                l’assassiner. Ce dernier plaide donc pour Ariarate, autrement dit pour lui même mais
                sous une autre identité. T. Corneille recourt une seconde fois à une fiction
                oratoire puisqu’il fait présenter comme fictif le discours de son personnage.
                L’énoncé, mis à distance, n’est pourtant que la stricte expression d’une vérité
                presque tangible. Là réside toute l’ingéniosité du système. À noter que seule <hi
                  rend="i">Laodice</hi> utilise la prosopopée, dans le théâtre de cette époque, pour
                permettre cette expression directe des sentiments du personnage déguisé. Ainsi
                « Oronte » prend-t-il la parole au nom de l’absent Ariarate, qui n’est autre que lui
                même. T. Corneille joue dans un premier temps sur sa double identité au v. 1013 :
                « Croyez en m’écoutant que c’est luy qui vous prie » puis le fait parler
                véritablement :</p>
              <quote>
                <l>Accordez moy la vie une seconde fois,</l>
                <l>Je vous suis odieux, mais quoy qui vous anime<note place="bottom">Quelle que soit
                    votre motivation, quel que soit ce qui vous pousse à agir ainsi.</note>,</l>
                <l>Estre né vostre Fils n’est pas un si grand crime.</l>
                <l>Daignez luy faire grace en faveur<note place="bottom"><hi rend="i">En faveur
                      de</hi> : en profitant de.</note> d’un respect</l>
                <l>Que jamais rien de moy ne vous rendra suspect,</l>
                <l>Prenez-en pour garand la foy sincere et pure</l>
                <l>Qu’à la face du Ciel<note place="bottom"><hi rend="i">A la face du Ciel</hi> :
                    devant les yeux du Ciel.</note> ma tendresse vous jure,</l>
                <l>Cette foy que jamais les plus durs changemens…<note place="bottom">V. 1016 à
                    1023.</note></l>
              </quote>
              <p>Thomas Corneille fait ici preuve d’une remarquable ingéniosité technique puisque la
                vérité pure s’exprime au discours direct et pourtant elle passe pour fictive auprès
                du destinataire. Ici se mêlent donc à la fois tension et maîtrise. L’équivoque
                pourtant est poussée jusqu’à ses limites. En effet, on ne sait plus qui parle :
                « Oronte » - le personnage fictif auquel la Reine croit s’adresser –, l’imposteur
                que ce dernier souhaite sauver ou Ariarate – le personnage réel ? Le feint Oronte,
                le faux Ariarate ou le vrai fils ? La vérité déborde par l’émotion suggérée
                d’Ariarate, qui culmine dans ce discours rapporté par Ariarate d’un Ariarate
                imaginaire.</p>
              <p>La forme la plus courante d’ironie se retrouve tout de même dans « le paraître
                vrai ». Il semble effectivement plus logique, dans le cadre d’un discours fictif, de
                faire passer pour vrai ce que l’on énonce. Si l’on veut que le destinataire soit
                dupe du déguisement, il est préférable que ce dernier prenne pour vrai le discours
                du personnage déguisé. À la différence du discours passant pour faux, le discours
                passant pour vrai est à la fois vrai et faux, le premier n’étant que vrai. Seulement
                la perception de la vérité énoncée est biaisée par le contexte de l’échange.
                Autrement dit, à un signifiant correspondent deux signifiés, l’un, patent, entendu
                par le destinataire, l’autre, latent, entendu le plus souvent par l’émetteur,
                toujours par ses complices, ici les spectateurs uniquement. Deux cas de figure sont
                possibles : l’ironie verbale peut être non désirée – ce qui n’arrive jamais avec
                l’ironie classique –, la double entente étant crue désirée, mais lui échappant dans
                toute sa portée – à noter que cette ironie inconsciente est toujours le fait des
                personnages non déguisés. Le personnage déguisé, « Oronte », développant un discours
                équivoque volontaire, cette équivoque ne peut donc lui échapper. Il peut, en
                revanche, provoquer l’équivoque inconsciente dans le discours de ses interlocuteurs
                – ; elle peut être inversement désirée, qu’il y ait référence ou non à l’identité
                première.</p>
              <p>Dans ce jeu sur plusieurs niveaux de compréhension, Corneille aime utiliser ce que
                nous pourrions appeler une « double ironie ». Souvent le propos « simplement »
                ironique d’un personnage, qui ne valide pas personnellement la vérité qu’il énonce,
                se double d’une seconde ironie, non perçue par l’émetteur. L’effet ironique évince
                alors paradoxalement celui qui l’énonce pour instaurer une complicité
                auteur-spectateur à ses dépens. Nous pouvons observer la présence de ces trois
                ententes à plusieurs reprises.</p>
              <p>À l’acte II, scène 2, Laodice, qui veut convaincre « Oronte » de l’épouser pour
                garder le trône à son fils s’il revient, lui affirme : « C’est l’assurer pour luy
                que vous y donner place<note place="bottom">V. 586</note> ». Ce propos, voulu
                ironique par l’émetteur, contient également un effet ironique qui n’est pas perçu
                par lui. Le processus ironique se retourne donc contre celui qui est à son origine
                même, ce qui est remarquable. Le complice devient le destinataire qui, dans un
                fonctionnement traditionnel, est toujours la victime. Le savoir, autre et supérieur,
                est ici du côté d’Ariarate et des spectateurs, tandis que Laodice joue le rôle de
                victime. Il est d’autant plus remarquable qu’un premier degré ironique, mais
                classique celui là, fonctionne au détriment du destinataire Ariarate. Deux signifiés
                se superposent donc ici, comme le veut l’ironie verbale traditionnelle, mais de
                manière particulière : un premier, patent – « Si c’est vous qui accédez au trône,
                vous pourrez le quitter plus facilement qu’un autre puisque vous êtes loyal, ce qui
                le garantit à mon fils s’il réapparaît. » - que la cible, Ariarate, croît être vrai
                pour Laodice alors qu’il est énoncé par elle sans être validé – figure
                traditionnelle de l’ironie dont le support est l’antiphrase: « je vous élève au
                trône pour moi, qui vous aime et veut conserver un pouvoir que mon mariage rend
                légitime ; certainement pas pour un fils qui de toute façon n’existe plus. » – et un
                second, latent, non perçu cette fois par l’énonciateur, Laodice – « Si c’est vous
                qui accédez au trône, vous le garantissez à mon fils puisque vous êtes mon fils ».
                L’ironie classique vient donc parasiter ici l’ironie verbale, elle même inversée
                dans son fonctionnement. Ni Laodice, ni Ariarate ne perçoivent la totalité des
                enjeux. Seul le spectateur détient la totalité du savoir. Une relation
                auteur-spectateur est donc habilement mise en place ici par T.Corneille. Le
                spectateur, placé dans la position flatteuse du complice, est séduit<note
                  place="bottom">Le vers 524 fonctionne similairement.</note>.</p>
              <p>Le processus est le même à la scène 4 de l’acte II, Anaxandre croyant avoir entendu
                le double sens des paroles d’Ariarate quelques scènes plus tôt, lui assurant que
                Phradate, autre soupirant d’Arsinoé, héritière du trône, ne lui ferait pas obstacle
                à ce dernier, lui exprime son aigreur. La reine vient effectivement d’annoncer son
                mariage avec celui qu’il croyait son complice, il comprend mieux alors pourquoi il
                n’avait pas à se méfier de son rival. Pourtant, si « Oronte » jouait effectivement
                sur la double entente, ce n’était pas en connaissance de la décision de la reine.
                Pas un personnage n’échappe donc à l’ironie de la situation, même quand il se croit
                maître du savoir et cherche à se jouer des autres. Seul le spectateur sait et jouit
                d’autant plus de sa connaissance du fait de la complexité de la situation. Au v.
                656, donc, Anaxandre croit railler « Oronte » : « Ainsy vous garderez la Couronne à
                son fils ? » alors qu’il exprime une vérité à son insu. L’ironie première et
                étroitement classique, est cette fois pleinement perçue par le récepteur-cible.
                « Oronte » entend l’attaque contre lui et la reine. Anaxandre fait effectivement
                entendre deux voix, l’une qui valide le prétexte officiel de la reine, l’autre, la
                sienne, qui ne fait que le mentionner mais refuse de le valider. C’est donc l’ironie
                citationnelle et non l’antiphrase qui est utilisée ici et qui provoque la mise à
                distance. Le récepteur, « Oronte », identifie le double langage mais il n’adhère
                pas, en revanche, au jugement porté par l’émetteur – puisqu’il est lui même la cible
                – et qui est : « Garder la Couronne à ce fils est un faux prétexte pour conserver le
                pouvoir. Vous le savez comme moi puisque la reine, jalouse de son pouvoir, l’a fait
                tuer comme les autres. » Mais lui même victime du déguisement d’ « Oronte » et par
                conséquent de la double entente de son discours, est engagé, en dialoguant avec lui,
                à formuler des propos allant dans le sens de cette double entente, mais sans qu’il
                puisse en être conscient. Par conséquent, le récepteur du propos classiquement
                ironique est également le destinataire du propos à double entente tout en étant le
                complice paradoxal de la double entente – il est complice de lui même puisqu’il
                provoque la double entente sans l’énoncer directement et est également celui qui en
                jouit. Il est celui qui perçoit, avec le spectateur, la superposition des trois
                signifiés : le premier, patent – « Vous serez chargé de garder le Trône en attendant
                le retour de l’héritier légitime. », le second, latent entendu par les deux
                personnages et les spectateurs, et dirigé contre « Oronte » – « vous savez que ce
                fils est mort et qu’en vous élevant au trône, vous ne le lui gardez pas mais flattez
                simplement votre ambition. », le dernier, latent également , entendu simplement par
                « Oronte » et les spectateurs et dont la victime est Anaxandre – « Ariarate ne
                pourra que garder la Couronne à ce fils puisqu’il s’agit de lui-même. » À juste
                titre pouvons nous donc parler ici de triple entente.</p>
              <p>Quelques vers plus loin, le processus ironique est plus simple : l’ironie n’est
                plus doublée puisque le signifié patent correspond cette fois au signifiant. « Vous
                pensez déjà l’estre » signifie bien pour Anaxandre « vous pensez déjà régner ». Il
                n’y a pas, comme plus haut, une volonté d’inversion de la valeur de vérité de la
                part de l’émetteur. Même si l’ironie verbale est une nouvelle fois involontaire de
                l’énonciateur Anaxandre, on jouit de l’équivoque qu’engendre la superposition des
                deux signifiés : « Vous êtes tellement ambitieux que vous vous croyez déjà la
                couronne acquise » et « Vous vous savez déjà la couronne acquise puisque vous êtes
                l’héritier du trône. ».</p>
              <p>À la scène 2 de l’acte III, Laodice, apprenant à Axiane son hymen avec l’héritier
                Ariarate – dont elles ne connaissent pas encore l’imposture – superpose également
                trois significations différentes pour un énoncé dont elle ne perçoit que la double
                entente :</p>
              <quote>
                <l>Vos vœux ont pû le rendre à ma juste tendresse,</l>
                <l>Ils se sont joints aux miens, et c’est assez, Princesse<note place="bottom">V.
                    873 et 874.</note></l>
              </quote>
              <p>Si le sens patent de son propos « Nos souhaits similaires, soit le retour de mon
                fils, se sont réalisés » est acceptable, cet énoncé demande une réinterprétation
                pour être saisi dans sa pleine signification : « Nos souhaits sont opposés. Je hais
                ce fils et n’aurais jamais souhaité son retour ». Un troisième signifié, inconscient
                de l’énonciateur, vient se superposer aux deux autres : « Nos souhaits sont
                similaires. Le retour de ce fils vous contrarie comme moi. »</p>
              <p>Le plus fréquent dans la rhétorique du vrai et du faux reste l’ironie verbale
                consciente et cela se vérifie dans <hi rend="i">Laodice</hi>. Il faut cependant
                relever une exception, celle des vers 863 et 864 où Axiane, personnage pourtant non
                déguisé, joue consciemment sur la double entente et cela sans rapport avec ce qui a
                trait à « Oronte ». Venant d’apprendre l’arrivée du fils héritier qui lui est
                destiné, elle exprime son désespoir par le biais d’une ironie grinçante. Ainsi
                s’adressant à la Reine :</p>
              <quote>
                <l>Madame, et je dois trop à vos rares bontez</l>
                <l>Pour ne partager pas tout ce que vous sentez</l>
              </quote>
              <p>fait elle entendre deux signifiés : le premier, patent, destiné à la Reine et qui
                est « Vous avez tellement fait pour moi que je ne peux que me réjouir de votre
                bonheur et du mien. », le second, latent et qui est « Vous n’avez œuvrer que pour
                vous et comme vous je suis désespérée par ce qui arrive. » À noter que le premier
                vers est une antiphrase à visée ironique que la reine entend mais qu’elle pense
                inconsciente de celle qui l’énonce. Le récepteur visé est ici « Oronte ». Il est le
                co-énonciateur sans qui le processus ironique ne fonctionnerait pas. Le second vers
                tient en revanche de l’ironie habituelle de situation ou ironie théâtrale. Il n’y a
                pas comme plus haut, dialogue entre deux voix opposées avec volonté de réfutation de
                la première, mais double entente, jeu sur la superposition de deux signifiés. Axiane
                sait qu’elle ressent tout ce que la reine ressent, ce qui laisse croire à la reine
                qu’il s’agit de bonheur puisqu’elle pense Axiane dupe de ses stratagèmes, elle
                ignore de plus les sentiments que porte Axiane à « Oronte ». Or Axiane connaît le
                sentiment de la reine<note place="bottom">V. 47-48</note> et c’est là que prend tout
                son sens l’énoncé : elle partage véritablement tout ce que la reine sent.</p>
              <p>Pour le reste, l’ironie désirée n’est que le fait du personnage déguisé,
                « Oronte ». Il peut ne pas faire référence à l’identité première. On observe dans ce
                cas toujours le même processus de superposition de deux signifiés, de superposition
                de vérité et fiction. Nous pouvons l’observer à la scène 2 de l’acte I où « Oronte »
                s’adresse ainsi à Axiane, qu’il aime :</p>
              <quote>
                <l>Quelle douceur pour moi si dans cette journée</l>
                <l>Au lieu d’Arsinoé vous estiez couronnée<note place="bottom">Acte I, scène II, v.
                    145 et 146.</note> !</l>
              </quote>
              <p>Le spectateur ne comprend que rétrospectivement le sens de ces paroles. N’étant pas
                encore informé de l’identité double d’« Oronte<note place="bottom">Que l’on
                  n’apprend qu’à la scène suivante.</note> », il lui faut une deuxième
                représentation pour saisir la double entente : le sens perçu par l’intéressée – il
                lui rend un simple hommage. Il ne veut que son bien – et la véritable signification
                du propos – il aimerait tant la voir à son bras. On peut donc se demander si l’effet
                recherché ne serait pas plutôt la surprise que l’ironie, puisque le spectateur n’est
                pas placé dans un premier temps en position de complice, n’étant pas en mesure de
                saisir l’équivoque. Le lecteur<note place="bottom">« Oronte »est donné dés le début
                  et même dans la liste des personnages pour Ariarate.</note> en revanche peut
                saisir celle-ci de suite et est donc placé, lui, dans cette fameuse position
                ironique par rapport à la victime du jeu<note place="bottom">Voir aussi v.
                  151.</note>.</p>
              <p>À l’acte I, scène 4, « Oronte » met le paraître de son propos au service de l’être,
                poussant Anaxandre à se démasquer. « Oronte » joue encore avec l’ambivalence de la
                vérité, qui selon la manière dont elle est énoncée, peut tromper le destinataire.
                Même si, dans le propos :</p>
              <quote>
                <l>Mais si l’espoir du Trône est un bien qui vous flate,</l>
                <l>Soyez seur que jamais vous n’y verrez Phradate<note place="bottom">Acte I, scène
                    IV, v. 361 et 362.</note>.</l>
              </quote>
              <p>il n’y a pas mensonge, la perception de la vérité qu’il énonce est biaisée par le
                contexte de l’échange et Anaxandre y voit une réponse positive, soit qu’il fera tout
                pour le briguer auprès de la reine. Au signifié patent perçu par Anaxandre pour
                « Vous n’avez pas à vous méfiez de Phradate dans votre aspiration au Trône. Personne
                ne vous y fait donc obstacle » se superpose le signifié latent, à savoir « Vous ne
                verrez jamais Phradate sur le Trône puisque j’y suis déjà. » « Oronte » dit donc à
                la fois vrai et faux et l’énoncé est perçu comme vrai par Anaxandre mais dans un
                tout autre sens.</p>
              <p>Toujours le même processus dans les vers :</p>
              <quote>
                <l>Ah, Seigneur, voyez-vous</l>
                <l>Ce que le Ciel a mis de distance entre nous ?<note place="bottom">V. 371 et
                    372</note></l>
              </quote>
              <p>Les signifiés entendus par le destinataire : « Comment pouvez vous songez à me
                marier à votre sœur vu l’infériorité de ma naissance par rapport à la vôtre ? » et
                sous entendu par l’énonciateur : « Etes-vous conscient de l’écart qui nous sépare :
                je suis vôtre futur roi et vous n’êtes que mon sujet. » se superposent.</p>
              <p>De même avec les vers :</p>
              <quote>
                <l>D’un tel excès d’honneur je me trouve surpris,</l>
                <l>Comme vous en secret l’ambition me flate<note place="bottom">Acte I, scène IV, v.
                    376 et 377.</note></l>
              </quote>
              <p>Ariarate use encore de la feinte puisqu’il aspire effectivement au trône. Vérité et
                fiction se superposent toujours. Au signifié patent « Je ne méritais pas tant
                d’honneurs, moi qui suis d’un sang obscur. Comme vous j’aspire à m’élever de mon
                rang » se superpose le signifié latent « Je suis surpris que vous pensiez me faire
                un honneur alors que je vous suis supérieur et que mes ambitions sont identiques aux
                vôtres. ». Le recours au thème de l’être et du paraître, que l’on sait cher à la
                sensibilité baroque, prouve une nouvelle fois que le clivage habituel entre Baroque
                et Classicisme n’est ni imperméable, ni pertinent. Ariarate se dissimule ici pour
                connaître le vrai visage d’Anaxandre l’intrigant. On dissimule pour démasquer.
                Thomas Corneille se plaît à mettre le paraître au service de l’être, à jeter la
                confusion dans l’esprit du spectateur<note place="bottom">On retrouve le même
                  processus v. 187 à 189, v. 751, 781, 823, 755 à 758, 781 à 782, 815 à 816, 818 à
                  828, 845 à 847.</note>.</p>
              <p>Penchons nous maintenant sur les cas d’ironie désirée faisant référence à
                l’identité première. Fonctionnent-t-ils différemment que ceux n’y faisant pas
                référence ?</p>
              <p>À l’acte I, scène 2, où nous savons qu’ « Oronte » cherche à connaître les
                sentiments d’Axiane, le vers :</p>
              <quote>
                <l>Quoy, donner vostre cœur au Prince Ariarate</l>
                <l>Serait un sort pour vous…<note place="bottom">V. 161</note></l>
              </quote>
              <p>joue toujours de la même façon sur la double entente. Il y a bien superposition
                d’un premier signifié, patent, compris par Axiane – Je suis surpris que vous ne
                désiriez pas donner votre cœur au futur roi – et d’un second, latent –
                Refuseriez-vous de me donner votre cœur ? Ce qui paraît vrai l’est également sur le
                plan de la fiction, il n’y a donc pas exclusion entre les deux signifiés.</p>
              <p>Le fonctionnement diffère en revanche à l’acte II, scène 2 où « Oronte » s’adresse
                en ces termes à la Reine :</p>
              <quote>
                <l>Mes plus doux vœux sans doute auront esté remplis</l>
                <l>Si je puis voir régner le Prince vostre Fils<note place="bottom">Acte II, scène
                    II, v. 535 et 536.</note>.</l>
              </quote>
              <p>et où les signifiés, patent « Je serais comblé que votre fils, qui est un autre,
                règne » et latent « Je serais comblé si je parviens comme il est prévu au Trône »
                s’excluent et ne se superposent plus.</p>
              <p>Il en va de même à l’acte III, scène où, dans les vers suivants :</p>
              <quote>
                <l>Et que pour vous fléchir, ce prince infortuné</l>
                <l>Vous oppose par moy le sang dont il est né<note place="bottom">III, 2, v. 1011 et
                    1012.</note>.</l>
              </quote>
              <p>« Oronte » dit le vrai – qui peut plus parler au nom d’une personne que cette
                personne même – tout en disant le faux – Il s’agit d’un autre – qui paraît vrai – je
                parle au nom d’un autre. Par conséquent, le signifié patent est faux même sur le
                plan de la fiction, alors qu’il devrait être vrai, en raison de la référence
                explicite à l’identité véritable qu’il contient. Le personnage déguisé fait en effet
                référence à sa véritable identité comme « à un autre lui même. »</p>
              <p>D’une autre manière, dans le vers : « Et bien prenez ma vie, elle est à vous,
                  Madame »<note place="bottom">V. 1053</note> la vérité affleure par la force du
                trouble suggéré par l’auteur. Qui énonce ? Est-ce un Oronte toujours appliqué à
                jouer son rôle de simple favori, et enjoignant la reine à le tuer lui plutôt que son
                fils ? Est-ce un Ariarate désespéré qui se plie aux désirs parricides d’une mère
                indigne ? Cette même vérité, malmenée, étouffée, violentée au cours des premières
                scènes de duels, comme n’en pouvant plus de ce silence imposé menace d’abord
                sourdement dans cette seconde confrontation, pour jaillir avec une violence décuplée
                au cours de l’ultime confrontation, à la scène 2 de l’acte V. Comme Axiane et
                Anaxandre, Laodice vit la vérité douloureusement. Un bref moment radoucie par la
                force de son amour, elle redouble de haine à l’annonce de la réalité, et
                regrette qu’il n’ait osé se révéler plus tôt :</p>
              <quote>
                <l>Ah, que ne l’osiez-vous !</l>
                <l>Alors ma hayne libre auroit à force ouverte</l>
                <l>Gousté l’entier plaisir de jurer vostre perte<note place="bottom">Acte V, scène
                    II, v. 1600 à 1602.</note></l>
              </quote>
            </div>
            <div>
              <head>Les élucidations</head>
              <p>Au type de scène appelant une participation du spectateur et jouant sur la duperie
                d’un ou des deux personnages se greffe donc un second type de scène : celles, plus
                sporadiques, où viennent se résoudre les mystères de l’intrigue. On y apprend les
                vérités de l’ombre. Plus question de manipulations complexes de la valeur de vérité.
                Elles fonctionnent comme des bornes pour le spectateur, qui peut ainsi mieux
                comprendre ce qui a précédé et ce qui va suivre. Un personnage explique une manœuvre
                juste avant ou après qu’elle a été mise en œuvre ou bien éclaire un de ses
                congénères sur ce que cache une péripétie nouvelle. À l’acte I, scène 3, Ariarate,
                après s’être entretenu avec Axiane sous l’identité d’ « Oronte », jeune homme
                valeureux et favori de la reine, révèle à Phradate sa véritable identité et ce
                pourquoi il la tait. Laodice pour sa part se montre sous son vrai visage à Cléone, à
                la scène première de l’acte I, après que le suspense ait été entretenu sur son
                compte pendant un acte entier et juste avant de s’entretenir avec « Oronte »
                précisément au sujet du mariage dont elle découvrait les fonctions à sa confidente.
                Après une première et bien étrange péripétie – l’arrivée inespérée du fils disparu
                de Laodice – Ariarate à la scène 6 de l’acte II révèle à Phradate la véritable
                nature de l’évènement : il s’agit d’une manœuvre de Rome pour attirer les traîtres
                et punir l’imposteur. Cette péripétie permet également à Laodice de se découvrir,
                puisque à l’acte III, scène 3, elle demande l’aide d’ « Oronte » pour éliminer le
                fâcheux arrivant, et se révèle ainsi sous un nouveau jour à ce dernier. Comme il
                refuse, la reine se tourne vers Anaxandre et en informe Cléone à l’acte IV, scène 4,
                lui apprenant par là même que son amour pour Oronte est avivé par la vertu qu’il lui
                oppose. Il faudra attendre cinq scènes, enfin, pour que la mort impromptue du dit
                Ariarate à l’acte IV débouche sur la déclaration publique d’Aquilius de l’imposture
                du défunt, et mette ainsi terme à la fausse enquête de Laodice. Cette même péripétie
                est à l’origine d’une seconde résolution : c’est à cause d’elle que Laodice,
                désarmée et amoureuse, cède un temps et accepte la proposition de Rome. Elle règnera
                en Lycaonie et aura le loisir de s’abandonner à son amour là bas. C’est donc cette
                péripétie qui l’amène à se déclarer à la scène 2 de l’acte V, ce qui oblige Ariarate
                à se démasquer lui même. Et voilà notre crise tragique<note place="bottom"><hi
                    rend="u"> Les annonces</hi> : les scènes qui ne sont ni fondées sur l’équivoque
                  ni sur les élucidations sont les annonces de mariages, et les récits de morts,
                  respectivement au nombre de trois. On retrouve encore cette notion de contraires
                  qui s’équilibrent. Stabilité classique ou insertion du trouble ? Respect,
                  ménagement du spectateur ou déstabilisation par le rapprochement de notions
                  contraires ? Les annonces officielles d’hyménées se répètent, la bonne n’étant que
                  la dernière. À l’acte II, scène 2, Laodice annonce à Anaxandre qu’elle épousera
                  Oronte, mais l’héritier, cru mort, réapparaît, et c’est pourquoi à l’acte III,
                  scène 2, Laodice, encore, annonce à Axiane son mariage avec Ariarate l’imposteur,
                  mais ce dernier succombe brutalement, entraînant l’enquête, l’élucidation, le
                  repentir, la déclaration de son amour, la révélation de l’identité d’Ariarate, et
                  donc l’ultime annonce de mariage, prononcée par Laodice, toujours. Cette fois sont
                  évincés les parasites condamnant l’union à une fatale stérilité. Il n’est plus
                  question ni d’union entre une mère et son fils, ni d’union d’imposture.
                  L’immobilisme, le piétinement, la stérilité imposés par le tyran ne sont plus de
                  mise. La crise tragique a permis à la situation de se débloquer. Peut désormais
                  avoir lieu un mariage fécond, celui d’Ariarate et d’Axiane. Les annonces de mort,
                  également au nombre de trois, marquent l’accélération finale de l’intrigue. Elles
                  viennent se concentrer dans les deux derniers actes, régulières, comme pour mimer
                  les battements de cœur engendrés par la tension tragique. Elles n’apparaissent en
                  effet que tardivement dans la pièce, à partir du quatrième acte, scène II, où
                  Phradate vient faire le récit à Laodice de la mort du dit Ariarate. Nous apprenons
                  quatre scènes plus tard seulement la mort d’Anaxandre, au cinquième acte, scène I,
                  puis, quatre scènes encore plus loin, la mort de Laodice. Il s’agissait de
                  l’ultime battement de cœur, marquant la mort de la matrice dramatique, la mort
                  définitive. Ces trois scènes se rapprochent sensiblement dans leur structure. À
                  chaque décès, la colère du Peuple gronde en toile de fond, ou même au premier
                  plan. Les trois morts sont provoquées par l’agitation de la foule. Elles ont donc
                  toutes trois lieu au milieu du Peuple. Ce dernier n’est plus une somme d’individus
                  définis et différents, il n’est plus que masse compacte, indivisible, organisme
                  autonome, individu à lui tout seul, agi par une pulsion commune et unique, par un
                  seul et même dessein à chaque reprise. Si nos trois personnages succombent, c’est
                  parce qu’ils sont littéralement engloutis par cette monstrueuse masse organique.
                  Le dit Ariarate périt à cause d’une dispute initiale entre deux chefs, mais la
                  querelle a tôt fait de gagner les troupes. Il est alors question dans le texte
                  d’« emportement » (v.1173), de « troupe émeuë » (v.1209), de « fatal désordre »
                  (v.1212). Le différent se diffuse et comme en témoigne Phradate : « Malgré nous on
                  se mesle, on se bat, on se tuë (…) / Un funeste coup jusqu’au Prince échappé »
                  (v.1210- 1211) met alors fin à ses jours. La foule, hystérique et ne se maîtrisant
                  plus a submergé l’imposteur. De même Phradate rapporte-t-il fidèlement la mise à
                  mort d’Anaxandre en racontant comment : « le Peuple animé de rage et de douleur, /
                  dans son emportement ne cherchant qu’où se prendre, / Quoy qu’ait fait Théodot
                  s’est saisy d’Anaxandre » (v.1434, 1435, 1436) Et comment : « Sans rien examiner
                  il l’a pris pour victime. » (v.1442) À noter le réalisme palpitant de sa peinture.
                  Le présent a pour effet de rendre la scène, passée, aussi vivante que si elle se
                  produisait sous les yeux des destinataires, et résout ainsi les problèmes posés
                  par les entraves classiques. L’antéposition du discours rapporté : « <hi rend="i"
                    >Du Prince Ariarate il faut vanger la mort</hi> » (v.1440) Engendre également un
                  effet de réalisme par le mime de l’immédiateté de sa perception. Nous croirions y
                  être. Si pour sa part, c’est Laodice seule qui se donne la mort, elle agit à la
                  demande du Peuple, « amassé » sous son balcon, et lui adressant « les plus
                  sanglants reproches » (v. 1726). La mort dans la pièce est donc retour à un
                  organisme originel, primitif et est toujours annoncée par Phradate, messager de
                  l’extérieur, personnage lié, nous l’avons vu, au monde de la lumière et de la
                  vérité, tandis que les mariages sont toujours annoncés par Laodice, maîtresse de
                  l’intérieur, de son monde réduit, dissimulé, faux, un monde de l’ombre, où sont
                  fomentés ces mariages factices et stériles.</note>.</p>
            </div>
            <div>
              <head>Les jeux d’illusion</head>
              <p>Toute l’action se produit sur un premier tableau, qui n’est en fait qu’illusion.
                L’action, c’est à dire les agissements de Laodice, l’héroïne dont la pièce porte le
                nom, est lancée sur un malentendu, et de là découle tout le reste. Dans un premier
                temps, Laodice, se fiant aux bruits – ils sont fondamentaux, nous l’avons vu – croit
                comme tous qu’Aquilius est délégué pour l’aider à choisir un nouveau roi. Elle veut
                donc devancer Rome en nommant un faible qui lui cèderait l’autorité royale. C’est à
                cause de cette erreur originelle que Laodice entreprend d’épouser celui qu’elle
                ignore être son fils. Et c’est à cause de ce qu’elle ignore, sur une erreur encore,
                qu’elle tombe amoureuse de lui. Elle ignore le véritable dessein de Rome, à savoir
                replacer l’héritier légitime sur le Trône. Elle ignore, encore, que c’est dans ce
                but qu’ « Oronte » met tout en œuvre pour la séduire. Ses sentiments, moteurs de sa
                volonté sont donc provoqués par le malentendu.</p>
              <p>Autre illusion facteur d’action : le retour inespéré du dit Ariarate. Laodice,
                dupée une fois de plus, agit en étant motivée par une erreur. Elle croit
                effectivement son fils de retour – et elle n’est pas loin du compte, mais ce n’est
                pas le bon. Corneille joue encore sur les niveaux d’appréhension de la vérité, mais
                uniquement à l’échelle du personnage cette fois – et donc veut l’éliminer une bonne
                fois pour toutes.</p>
              <p>La troisième illusion moteur de l’action est la mort surprenante du même
                personnage, non illusoire en soit, mais illusoire dans le fait que Laodice prenne
                toujours le défunt pour son véritable fils, ce qui la pousse à entreprendre une
                enquête pour étouffer les soupçons de l’ambassadeur romain. Ce dernier entretient
                l’illusion puisqu’il tait l’imposture de la victime et laisse l’enquête se
                poursuivre et s’envenimer. C’est encore une dissimulation de vérité qui la pousse
                donc à se démener pour accuser quelqu’un.</p>
              <p>En revanche, l’action finale est engendrée par la divulgation éclair de la vérité.
                En apprenant l’imposture et le caractère vain de ses machinations, Laodice,
                désarmée, fléchit sa rage ambitieuse et se déclare à « Oronte ». L’action finale est
                donc provoquée, elle, par une vérité.</p>
              <p>Rome, qui sait qu’Aquilius vient pour placer « Oronte » sur le Trône, qui sait
                encore que le cru Ariarate est un imposteur, qui sait, toujours, alors que Laodice
                mène l’enquête sur la mort de celui qu’elle croit être son fils, qu’il ne s’agit pas
                de son fils, donc Rome qui sait tout, semble s’évertuer à le lui taire pour
                l’obliger à rejouer son rôle. En lui cachant ce qui l’attend au dénouement quoiqu’il
                advienne, elle la laisse libre de se racheter et d’être pardonnée.</p>
              <p>Mais l’intérêt de <hi rend="i">Laodice</hi> et ce qui en fait une tragédie, c’est
                que l’on y piétine, que l’on tente d’y immobiliser les choses mais que l’on y est
                contrarié par une volonté contraire, celle qui impose la prise de choix, donc
                l’action. Laodice a le choix, donnée fondamentale dans l’intrigue. On lui propose de
                déposer les armes et de se rallier au camp opposé, mais rien n’y fait, elle préfère
                le sien, celui de l’immobilisme et du piétinement. Si choix elle fait, c’est celui
                de répéter le passé et de se condamner. Elle a redoublé de machiavélisme dans le
                passé pour conserver le pouvoir le plus longtemps possible, et bien elle redoublera
                à nouveau de ruse pour le garder. Elle a engagé quelqu’un pour éliminer son fils en
                otage à Rome. Ce fils vit toujours. Elle réengage quelqu’un pour l’assassiner.</p>
              <p>Mais est-ce vraiment pour lui donner une seconde chance qu’on lui fait rejouer son
                passé ? Ne serait-ce pas plutôt dans le but de rendre crédible l’incroyable ? En la
                faisant jouer telle un pantin, ne décide-t-on pas de la duper pour montrer une
                vérité ? Ne tente-t-on pas de mettre en scène Laodice, comme dans une pièce de
                théâtre, où tout n’est qu’illusion ? Laodice joue sa propre histoire dans une pièce
                qui porte son nom. Encore une fois, Thomas Corneille se plaît à déformer la
                perception naturelle et immédiate du réel, à étourdir le spectateur.</p>
            </div>
          </div>
          <div>
            <head>Duplicité de la figure maternelle</head>
            <p>Corneille reste fidèle à son goût pour la duplicité en livrant une vision trouble de
              la figure maternelle.</p>
            <div>
              <head>Mise en échec de l’instinct féminin</head>
              <p><hi rend="i">Laodice</hi>, tout d’abord, est marquée par le motif de la féminité.
                L’intrigue tourne effectivement autour de la notion d’intériorité qu’il s’agit de
                préserver à tout prix des assauts extérieurs. L’héroïne lutte pour protéger ce
                qu’elle a instauré au Palais, pour préserver son règne, sa Cour, pour conserver les
                choses telles qu’elles sont, notamment en gardant l’homme qu’elle aime sous sa
                coupe, c’est à dire en en faisant son époux. Pour ce faire il faut donc redoubler de
                manœuvres, ruser, se battre, et c’est là le sujet de la pièce. Il faut préserver un
                espace-temps clos de l’agitation du dehors, retarder la venue romaine, facteur
                créatif, facteur de bouleversement, de nouveauté, de trouble enfin. Aquilius le
                perturbateur n’apparaît effectivement qu’à la fin de la pièce, au quatrième
                acte.</p>
              <p>Mais là où l’ironie triomphe encore, c’est qu’elle se bat pour préserver
                l’imperméabilité d’un espace déjà contaminé. Le véritable perturbateur, celui qui
                menace réellement la stabilité de son univers, celui qui est destiné à lui retirer
                sa Couronne s’y trouve depuis deux ans. Il est même son proche le plus dévoué, son
                favori. Qui plus est l’objet de ses feux les plus effrénés. Le ver est dans le
                fruit. L’ironie se double du fait que le danger contre lequel elle se démène est en
                elle dans les deux sens du terme : sous son toit, dans son palais mais encore dans
                son corps, du moins y a-t-il vécu quelque temps. Par son désir incestueux, elle
                aspire inconsciemment à le faire y entrer à nouveau. Tous les actes de Laodice sont
                donc motivé par ce besoin de préserver à l’intérieur ce à quoi elle tient et c’est
                paradoxalement ce qui la perd.</p>
              <p>On se trompe donc toujours énormément dans la pièce, on fait fausse route. Nous
                l’avons vu, c’est là le sujet de la tragédie : une fausse route menant au savoir.
                Subversion encore de la part de notre auteur qui dérange le spectateur dans ses
                croyances. La protection peut très bien changer de visage et se faire agression.
                Rien n’est établi. Les frontières peuvent se brouiller entre ce que l’on croit être
                le bien et ce que l’on croit être le mal. Comme les personnages, le spectateur est
                invité à se tenir sur ses gardes, et à se méfier de ce à quoi il fait confiance, car
                là se trouve le danger.</p>
            </div>
            <div>
              <head>Une féminité primitive</head>
              <p>Une conception organique du monde influence la pièce, qui s’inscrit effectivement
                dans un cycle marqué par un processus d’absorption suivi d’expulsion. Dans la pièce,
                un organisme cherche continuellement à se remplir en vue d’expulser, et ce toujours
                dans la violence, dans l’animalité, dans la sauvagerie. La féminité y est
                appréhendée dans son essence la plus profonde, donc la plus primaire. Le classicisme
                formel de Corneille joue habilement avec la brutalité du sujet. Comme le Peuple qui
                est agi par un besoin irrépressible d’engloutissement, qui, pour se nourrir, absorbe
                ses victimes, les digère en quelque sorte, Laodice est motivée par une soif avide de
                sacrifice humain. Comme ce Peuple, qui est agi par une pulsion de vie déréglée,
                Laodice désire ce qui est sorti de son corps, elle désire de la manière la plus
                organique qui soit, soumise à ce cycle furieux, impérieux de la pièce. Il lui faut
                réabsorber ce fils inconsciemment identifié.</p>
              <p>Nous l’auront compris : le lien fameux entre Eros et Thanatos est plus que jamais à
                l’ordre du jour dans <hi rend="i">Laodice</hi>. Pulsion de vie et pulsion de mort
                sont au centre de la pièce, motivent essentiellement la reine. Si ces pulsions sont
                à l’origine de son désir d’infanticide, elles motivent encore son désir
                inconsciemment incestueux, de même que son suicide final. Nous l’avons vu, en
                désirant être possédée par son propre fils, Laodice se soumet à la tyrannie d’un
                cycle cosmique qui veut que tout principe féminin se remplisse, rejette, se
                remplisse à nouveau. Emplie d’Ariarate lors de sa grossesse, elle lui a donné jour,
                et cherche à nouveau, par ce désir filial, à faire entrer cet organisme en elle. La
                Nature ne lui autorisant pas à assouvir cette pulsion dans la vie, elle l’assouvira
                donc dans la mort, liant en un geste unique les deux pulsions antagonistes. Pulsion
                de vie parce que, par le geste qui lui sera fatal, elle se pénètre d’un objet
                symboliquement phallique, et assouvit par là même son désir coupable. Pulsion de
                mort parce qu’est immédiatement lié à cet acte de plaisir coupable un geste de
                punition. Le plaisir reproduit donne la mort. La mort procure le plaisir
                paroxystique. Tout culmine dans cet acte final. La tragédie s’achève à son faîte.
                Extrême jusqu’au bout, elle remplit brillamment les critères du genre. Son
                efficacité est prouvée.</p>
            </div>
          </div>
        </div>
      </div>
      <div>
        <head>Le texte de la présente édition</head>
        <p>L’édition de <hi rend="i">Laodice</hi> sur laquelle nous avons travaillé à été exécutée
          en 1668 par Claude Barbin :</p>
        <p>In-12°, 3ff. non chiffrés, 74 pages.</p>
        <p>[I] LAODICE / REYNE / DE CAPPADOCE / TRAGEDIE. / Par T. CORNEILLE. / [feuilleton du
          libraire] / A ROUEN, Et se vend / A PARIS, / Chez CLAUDE BARBIN, sur le second / Perron de
          la Sainte Chapelle. / M. DC. LXVIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.</p>
        <p>[II] [verso blanc]</p>
        <p>[III] AU LECTEUR.</p>
        <p>[IV] Extrait du privilege du Roy.</p>
        <p>[V] ACTEURS.</p>
        <p>74 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première
          page.</p>
        <p>Bibliothèque Nationale de France : RES-YF-3911.</p>
        <p>Bibliothèque Richelieu (suivant la copie imprimée à Paris, 1668, In-12°, 62 pages) :
          Z-Rothschild-4087.</p>
        <div>
          <head>Établissement du texte</head>
          <p>En règle générale nous avons conservé l’orthographe de l’édition originale, à quelques
            réserves près :</p>
          <p>- nous avons modernisé les « ∫ » en « s ».</p>
          <p>- nous avons distingué « i » et « u » voyelles de « j » et « v » consonnes,
            conformément à l’usage moderne.</p>
          <p>- nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en un groupe
            voyelle-consonne.</p>
          <p>- nous avons corrigé quelques erreurs manifestes (cf. liste de rectification
            ci-dessous).</p>
          <p>- nous avons respecté la ponctuation d’origine, sauf lorsqu’elle nous paraissait
            évidemment erronée (cf. liste des rectifications )</p>
        </div>
        <div>
          <head>Corrections</head>
          <p>Nous avons apporté les modifications suivantes au texte :</p>
          <p>v. 1375 : about -&gt; à bout</p>
          <p>v. 124, 405, 1289 et 1420 : envain -&gt; en vain</p>
          <p>v. 55, 1145 : dequoy -&gt; de quoy</p>
          <p>v.206 : ordonner -&gt; ordonnez</p>
          <p>v. 595 : pous -&gt; pour</p>
          <p>v. 602 : achever -&gt; achevez</p>
          <p>v. 622 : soûmette -&gt; soûmettre</p>
          <p>v. 630 : croyque -&gt; croy que</p>
          <p>v. 988 : indigne -&gt; indignes</p>
          <p>v. 1619 : dautant -&gt; d’autant</p>
          <p>Nous avons également rectifié la ponctuation dans les vers suivants :</p>
          <p>[ -&gt; , ] – vers 3, 71, 158, 159, 633, 679, 735, 757, 827, 875, 1042, 1047, 1115,
            1143, 1567</p>
          <p>[ , -&gt; . ] – vers 138, 363, 673, 732, 733, 984, 1053, 1103, 1497</p>
          <p>[ . -&gt; , ] – vers 312, 528, 826, 1168</p>
          <p>[  -&gt; . ] – vers 1700</p>
        </div>
        <div>
          <head>Éditions ultérieures</head>
          <p><hi rend="b">1682</hi> : <hi rend="i">Poëmes Dramatiques de Thomas Corneille</hi> par
            Guillaume de Luyne, Libraire Juré, au Palais, en la Galerie des Merciers, sous la montée
            de la Cour des Aydes, à la Justice, à Paris. <hi rend="i">Laodice</hi> se trouve dans la
            quatrième partie (l’édition en comporte cinq.).</p>
          <p>On y remarque un certain nombre de variantes, essentiellement de ponctuation et
            d’orthographe, dont voici la liste :</p>
          <div>
            <head>Modifications de ponctuation</head>
            <p>v. 87, 183, 1530 : [Ø -&gt; ,] </p>
            <p>v.414 : [, -&gt; .]</p>
            <p>v. 536 : [. -&gt; ,]</p>
            <p>v. 1058 : [, -&gt; Ø]</p>
          </div>
          <div>
            <head>Corrections de coquilles</head>
            <p>v.55 : dequoy -&gt; de quoy</p>
            <p>v. 124, 1289, 1420 : envain -&gt; en vain</p>
          </div>
          <div>
            <head>Modifications d’accents</head>
            <p>v. 69 : Diadême -&gt; Diadéme</p>
            <p>v. 70 : suprême -&gt; supréme</p>
            <p>v. 664 : régne -&gt; regne</p>
            <p>v. 511 : prétendre -&gt; pretendre</p>
            <p>v. 945, 1378, 1421, 1489 : cét -&gt; cet</p>
            <p>v. 1148 : prétexte -&gt; pretexte</p>
            <p>v. 1149 : là -&gt; la</p>
            <p>v. 1258 : fâcheux -&gt; facheux</p>
            <p>v. 1493 : céde -&gt; cede</p>
            <p>v. 1139 : haïr -&gt; hair</p>
            <p>v. 1560 : reüssy -&gt; réussy</p>
            <p>v. 134 : soupir -&gt; soûpir</p>
            <p>v. 110 : defaite -&gt; défaite</p>
          </div>
          <div>
            <head>Substitution du [i] au [y]</head>
            <p>v.334, 1462, 1472, 1474, 1531, 1556, 1576, 1578 : hayne -&gt; haine</p>
            <p>v.121, 169 : ainsy -&gt; ainsi</p>
            <p>v. 656, 670, 1505 : Ainsy -&gt; Ainsi</p>
            <p>v. 671, 695 : Aussy -&gt; Aussi</p>
            <p>v. 1438 : saisy -&gt; saisi</p>
          </div>
          <div>
            <head>Suppression de la première consonne dans les groupes de deux consonnes
              différentes</head>
            <p>v. 132 : adveu -&gt; aveu</p>
            <p>v. 15 : Espoux -&gt; Epoux</p>
            <p>v.181 : espargner -&gt; épargner</p>
            <p>v. 1706 : esmeuë -&gt; émeuë</p>
            <p>v. 1729 : lâche -&gt; lasche</p>
            <p>v. 1119, 1567, 1568, 1574, 1641, 1656, 1665, 1670, 1672, 1681 : vôtre -&gt;
              vostre</p>
          </div>
          <div>
            <head>Autres</head>
            <p>AU LECTEUR : livre -&gt; Livre</p>
            <p>v. 47 : sceu -&gt; sçeu</p>
            <p><hi rend="b">1692</hi> : réédition de Guillaume de Luyne des <hi rend="i">Poëmes
                Dramatiques de Thomas Corneille</hi>. Edition identique de Pierre Trabouillet au
              Palais, dans la Gallerie des Prisonniers à l’image S. Hubert, et à la Fortune proche
              le Greffe des Eaux et Forests, à Paris. Aux modifications apportées en 1682 s’ajoutent
              des modifications supplémentaires d’orthographe, de ponctuation mais également de
              vers. Elles sont bien plus nombreuses que dans la précédente édition :</p>
          </div>
          <div>
            <head>Modifications de ponctuation</head>
            <p><hi rend="b">[Ø -&gt; ,] · ( en fin de vers)</hi> : v. 3, ,19, 25, 29, 35, 47, 63,
              79, 83 ( après « audace », « médite » et « produit »), 87, 115, 133, 139, 143, 155,
              157, 159 ( après « Et du moins »), 222, 233, 237, 243, 275, 279, 285, 291, 297, 301
              (après « Rome » et en fin de vers), 804, 319, 353, 429, 433, 501, 514, 515, 522, 555,
              563, 581, 609, 623, 630, 633, 649, 669, 679, 699, 703, 715, 721, 727, 731, 747, 749,
              757, 774, 807, 835, 865, 875, 897, 959, 967, 974 (après « C’est à nous » et « ou
              d’attendre » ), 989,1047, 1049, 1065, 1083, 1099 (après « Ce Fils » et « desseins »),
              1113, 1131, 1143, 1161, 1163, 1169, 1189, 1190, 1203, 1207, 1233, 1247, 1251, 1275,
              1307, 1319, 1335, 1339, 1351, 1362, 1387, 1403, 1413, 1421, 1425, 1436, 1447, 1454,
              1461, 1465, 1510, 1567, 1575, 1623, 1639, 1654, 1675, 1687, 1707, 1710, 1725, 1726,
              1731, 1733</p>
            <p><hi rend="b">· ( à l’hémistiche)</hi> : v. 80, 114, 136, 144, 158, 179, 210, 234,
              257, 258, 299, 311, 344, 394, 599, 641, 646, 717, 931, 937, 1042, 1094, 1109, 1244,
              1261, 1438, 1448, 1476, 1580, 1734</p>
            <p><hi rend="b">· (à l’hémistiche et en fin de vers)</hi> : v. 9, 141, 587, 735, 1441,
              1711</p>
            <p><hi rend="b">[, -&gt; .]</hi> : v. 32, 43, 52, 134, 138, 170, 180, 200, 217, 218,
              235, 238, 240, 250, 254, 259, 270, 272, 304, 321, 322, 324, 326, 328, 338, 363, 366,
              368, 370, 408, 414, 420, 476, 480, 505, 512,</p>
            <p>558, 580, 643,668, 672, 732, 750, 760, 784, 817, 830, 840, 898, 901, 976, 984, 1016,
              1020, 1053, 1062, 1098, 1102, 1111, 1116, 1120, 1124, 1202, 1230, 1241, 1252, 1290,
              1336, 1342, 1354, 1356, 1369, 1370, 1380, 1406, 1420, 1422, 1472, 1480, 1482, 1489,
              1490, 1514, 1528, 1553, 1565, 1576, 1606, 1612, 1628, 1630, 1665, 1674, 1676, 1684,
              1688, 1698, 1712, 1730, 1737, 1738</p>
            <p><hi rend="b">[, -&gt; ;]</hi> : v.165, 188, 211, 228, 264, 279, 336, 377, 588, 658,
              1025, 1062, 1066, 1107, 1180, 1278, 1314, 1410, 1477, 1554, 1593, 1604, 1704</p>
            <p><hi rend="b">[: -&gt; .]</hi> :  v. 17 </p>
            <p><hi rend="b">[, -&gt; Ø]</hi> : v. 68 </p>
            <p><hi rend="b">[, -&gt; :]</hi> : v. 125 </p>
            <p><hi rend="b">[; -&gt; .]</hi> :  v. 140, 252, 740,1082, 1105, 1426 </p>
            <p><hi rend="b">[? -&gt; !]</hi> : v. 192 </p>
            <p><hi rend="b">[. -&gt; Ø]</hi> : v. 234 </p>
            <p><hi rend="b">[, -&gt; ?]</hi> : v. 359, 709 </p>
            <p><hi rend="b">[. -&gt; ,]</hi> : v. 536 </p>
            <p><hi rend="b">[( ) -&gt; Ø]</hi> : v. 787 </p>
            <p><hi rend="b">[. -&gt; ?]</hi> : v. 904 </p>
            <p><hi rend="b">[; -&gt; ,]</hi> : v. 1077 </p>
            <p><hi rend="b">[. -&gt; ;]</hi> : v. 1178 </p>
            <p><hi rend="b">[, -&gt; ?]</hi> : v. 1558 </p>
            <p><hi rend="b">[Ø -&gt; .]</hi> : v. 1577, 1700 </p>
            <p><hi rend="b">[; -&gt; Ø]</hi> : v. 1614, 1620 </p>
          </div>
          <div>
            <head>Modifications systématiques</head>
            <p>Reyne -&gt; Reine</p>
            <p>Espoux -&gt; Epoux </p>
            <p>Estats -&gt; Etats </p>
            <p>cét -&gt; cet </p>
            <p>Hymen -&gt; hymen </p>
            <p>defaut -&gt; défaut </p>
            <p>soeur -&gt; Soeur </p>
            <p>mere -&gt; Mere</p>
          </div>
          <div>
            <head>Modifications sporadiques</head>
            <p>Peuple -&gt; peuple : v. 406, 625, 1089</p>
            <p>peuple -&gt; Peuple : v. 7, 52, 575, 625, 853, 859, 930, 1174, 1246, 1738 </p>
            <p>maistre -&gt; Maistre : v. 12, 53, 626, 634, 640 </p>
            <p>maistre -&gt; Maître : v. 437</p>
            <p>Maistre -&gt; maistre : v. 1662</p>
            <p>adveu -&gt; aveu : v. 65, 811, 906, 1131 </p>
            <p>desadveu -&gt; desaveu : v. 193, 1112 </p>
            <p>advoüer -&gt; avoüer : v.225, 455, 965, 1568  </p>
            <p>avoüer -&gt; avouër : v. 965 </p>
            <p>advoueray -&gt; avoueray : v. 129 </p>
            <p>avoüe -&gt; avouë : v. 741 </p>
            <p>vôtre -&gt; vostre :v. 351, 561, 757, 1234, 1326</p>
            <div>
              <head>Au lecteur</head>
              <p>trente-septiéme -&gt; trente septiéme</p>
              <p>adjousté -&gt; ajousté</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte I, scène 1</head>
              <p>v. 25 : aisné -&gt; Ainé</p>
              <p>v. 36 : Aisné -&gt; Ainé</p>
              <p>v. 47 : sceu -&gt; sçeu</p>
              <p>v. 59 : pour nous -&gt; pournous (coquille) ; quoy -&gt; quoi ; apas -&gt;
                appas</p>
              <p>v. 64 : Sert à croistre souvent -&gt; Augmente quelquefois</p>
              <p>v. 109 : éblouy -&gt; ébloüy</p>
              <p>v.110 : defaite -&gt; défaite</p>
              <p>v. 111 : deferer -&gt; déferer</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 2</head>
              <p>v. 156, 727 : aprés -&gt; après</p>
              <p>v. 181 : suplice -&gt; supplice</p>
              <p>v. 191 : quel que -&gt; quelque</p>
              <p>v. 194 : choisy -&gt; choisi</p>
              <p>v. 201 : extréme -&gt; extrême</p>
              <p>v. 206 : fole -&gt; folle ; ordonner -&gt; ordonnez</p>
              <p>v. 211 : Espargnez -&gt; Epargnez </p>
              <p>v. 217 : gesne -&gt; géne</p>
              <p>v. 221 : sents -&gt; sens</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 252 : partisans -&gt; Partisans </p>
              <p>v. 253 : entraine -&gt; entraîne</p>
              <p>v. 258 : tiltre -&gt; titre</p>
              <p>v. 282 : autheurs -&gt; Auteurs</p>
              <p>v. 285 : gesne -&gt; gêne</p>
              <p>v. 293 : Diadême -&gt; Diadéme</p>
              <p>v. 301 : qu’occupoit lors une pressante  -&gt;  engagée alors dans une rude </p>
              <p>v. 320 : advis -&gt; avis ; améne -&gt; amene</p>
              <p>v. 345 : exprés -&gt; exprès</p>
              <p>v. 349 : Ce sera lors…<space rend="tab"> </space></p>
              <p>PHRADATE.</p>
              <p>Seigneur, j’apperçois Anaxandre.</p>
              <p>ARIARATE.</p>
              <p>Quand par là dans son cœur… Mais je vois Anaxandre. </p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 4</head>
              <p>v. 366 : prétendre -&gt; pretendre</p>
              <p>v. 370 : estroite -&gt; étroite ; alliance -&gt; Alliance</p>
              <p>v. 372 : entre nous -&gt; entre-nous</p>
              <p>v. 383 : Et lors -&gt; Alors</p>
              <p>v. 389 : Augustes -&gt; augustes</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte II, scène 1</head>
              <p>v. 398 : vueillez -&gt; vouliez</p>
              <p>v. 401 : Hymenée -&gt; hymenée</p>
              <p>v. 422 : prévoir -&gt; prevoir</p>
              <p>v. 424 : fille -&gt; Fille</p>
              <p>v. 445 : zéle -&gt; zele</p>
              <p>v. 473 : brûlants -&gt; brûlans</p>
              <p>v. 495 : exprés -&gt; exprès</p>
              <p>v. 505 : Escoute -&gt; Ecoute</p>
              <p>v. 515 : moy -&gt; moi</p>
              <p>v. 577 : veufvage -&gt; veuvage</p>
              <p>v. 601 : Roys -&gt; Rois</p>
              <p>v. 617 : consents -&gt; consens</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 628 : ayder -&gt; aider</p>
              <p>v. 631 : éleve -&gt; élevé</p>
              <p>v. 656 : Ainsy -&gt; Ainsi</p>
              <p>v. 662 : femme -&gt; Femme</p>
              <p>v. 674 : mary -&gt; Mary</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 5</head>
              <p>v. 710 : amene -&gt; améne</p>
              <p>v. 712 : advis -&gt; avis</p>
              <p>v. 713 : imposteur -&gt; Imposteur</p>
              <p>v. 718 : peres -&gt; Peres</p>
              <p>v. 724 : mensonge -&gt; ménsonge</p>
              <p>v. 727 : aprés -&gt; après</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte III, scène 1</head>
              <p>v. 746 : mesme -&gt; même</p>
              <p>v. 771 : moins -&gt; si</p>
              <p>v. 790 : ofre -&gt; offre</p>
              <p>v. 794 : Dont -&gt; Donc (coquille)</p>
              <p>v. 807 : falust -&gt; fallust</p>
              <p>v. 808 : perds -&gt; pers</p>
              <p>v. 822 : regreter -&gt; regretter</p>
              <p>v. 848 : t’écouter -&gt; écouter</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 897 : Sousmis -&gt; Soumis </p>
              <p>v. 913 : connoistre -&gt; connoître</p>
              <p>v. 917, 934 : mystere -&gt; mistere</p>
              <p>v. 949 : mesme -&gt; même</p>
              <p>v. 959 : ennemis -&gt; Ennemis</p>
              <p>v. 963 : conceu -&gt; conçeu</p>
              <p>v. 964, 897 : Tyrans -&gt; Tirans</p>
              <p>v. 977 : Fils -&gt; fils</p>
              <p>v. 985 : accidents -&gt; accidens</p>
              <p>v. 988 : étois -&gt; etois</p>
              <p>v. 1030 : puissance -&gt; pusance (coquille)</p>
              <p>v. 1048 : régner -&gt; regner</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 4</head>
              <p>v. 1058 : Escoutez -&gt; Ecoutez</p>
              <p>v. 1067 : ofre -&gt; offre</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 5</head>
              <p>v. 1146 : achepter -&gt; acheter</p>
              <p>v. 1148, 1163 : hayne -&gt; haine</p>
              <p>v. 1159 : prétieux -&gt; précieux</p>
              <p>v. 1187 : ville -&gt; Ville</p>
              <p>v. 1191 : advancer -&gt; avancer</p>
              <p>v. 1201 : lors -&gt; là</p>
              <p>v. 1209 : party -&gt; parti</p>
              <p>v. 1235, 1256 : rends -&gt; rens</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 4</head>
              <p>v. 1245 : mystere -&gt; mistere</p>
              <p>v. 1255 : noircy -&gt; noirci</p>
              <p>v. 1256 : éclaircy -&gt; éclairci</p>
              <p>v. 1261 : croira-t’on -&gt; croirat-on (coquille)</p>
              <p>v. 1265 : ville -&gt; Ville</p>
              <p>v. 1289 : envain -&gt; en vain</p>
              <p>v. 1292 : vint -&gt; vingt</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 6</head>
              <p>SCENE VI -&gt; SCENE IV (coquille)</p>
              <p>v. 1318 : Céde -&gt; Cede ; égarements -&gt; égaremens</p>
              <p>v. 1321 : infortune -&gt; infortun (coquille)</p>
              <p>v. 1324 : abats -&gt; abat</p>
              <p>v. 1353 : pressants -&gt; pressans</p>
              <p>v. 1363 : réparer -&gt; reparer</p>
              <p>v. 1369 : esgard -&gt; égard</p>
              <p>v. 1375 : about -&gt; à bout</p>
              <p>v. 1427 : soufre -&gt; souffre</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte V, scène 1</head>
              <p>v. 1439 : soufrir -&gt; souffrir</p>
              <p>v. 1445 : esmeu -&gt; émeu</p>
              <p>v. 1455 : arréter -&gt; arrester</p>
              <p>v. 1465 : régle -&gt; regle</p>
              <p>v. 1469 : gênée -&gt; génée</p>
              <p>v. 1472 : abysme -&gt; abîme</p>
              <p>v. 1474 : Estonnons -&gt; Etonnons</p>
              <p>v. 1478 : nature -&gt; Nature</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 2</head>
              <p>v. 1484 : pu -&gt; pû</p>
              <p>v. 1485 : mesme -&gt; même</p>
              <p>v. 1490 : vertus -&gt; vertu</p>
              <p>v. 1491 : serments -&gt; sermens</p>
              <p>v. 1494 : brusle -&gt; brûle</p>
              <p>v. 1504 : auprés -&gt; auprès</p>
              <p>v. 1505 : syncere -&gt; sincere</p>
              <p>v. 1512 : régnast -&gt; règnast</p>
              <p>v. 1522 : révoque -&gt; revoque</p>
              <p>v. 1534 : prétexte -&gt; pretexte</p>
              <p>v. 1550 : Vous pouvoir déguiser -&gt; Que je pusse cacher</p>
              <p>v. 1555 : cru -&gt; crû</p>
              <p>v. 1569 : muete -&gt; muette</p>
              <p>v. 1576: defaut -&gt; défaut</p>
              <p>v. 1586 : defy -&gt; defy</p>
              <p>v. 1588 : coustera -&gt; coûtera</p>
              <p>v. 1591 : résoudre -&gt; resoudre ; advenir -&gt; avenir</p>
              <p>v. 1706 : esmeuë -&gt; émeuë</p>
              <p>v. 1711 : la -&gt; le</p>
              <p>v. 1717 : O -&gt; Ø</p>
              <p>v. 1729: lâche -&gt; lasche</p>
            </div>
          </div>
          <div>
            <head>1692 </head>
            <p><hi rend="i">Le Theatre de Thomas Corneille, Reveu, corrigé, et augmenté de diverses
                pieces nouvelles</hi>. A Paris suivant la copie imprimée. Le nom de l’éditeur est
              absent. Les corrections ne sont pas les mêmes que dans l’édition de Guillaume de Luyne
              et dans celle de Pierre Trabouillet :</p>
            <div>
              <head>Acte I, scène 1</head>
              <p>v. 2 : icy -&gt; ici</p>
              <p>v.5 : estonnez -&gt; étonnez</p>
              <p>v. 6 : Espoux -&gt; Epoux</p>
              <p>v. 11, 45, 213 ( après « C’est beaucoup » ), 363, 446, 453, 710, 743, 888, 1174,
                1289 ( après Oronte ), 1371, 987, 1050, 1534 :  [, -&gt; Ø] </p>
              <p>v. 11 : aujourd’huy -&gt; aujourd’hui</p>
              <p>v. 12 : maistre -&gt; maître </p>
              <p>v. 12, 864, 1060, 1080, 1214, 960, 1159, 1182, 1357 :  [. -&gt; ,]</p>
              <p>v.27 : [Ø -&gt; .]</p>
              <p>v. 30, 42 ( à l’hémistiche), 389 : [Ø -&gt; ,]</p>
              <p>v. 51 : encore -&gt; encor</p>
              <p>v. 56 : peut-estre -&gt; peut estre</p>
              <p>v. 59 : apas -&gt; appas</p>
              <p>v. 80 : retient -&gt; retien</p>
              <p>v. 81 : Ennemis -&gt; ennemis</p>
              <p>v. 84 : aussy- tost -&gt; aussi-tost</p>
              <p>v. 91 : amour -&gt; Amour</p>
              <p>v. 109 : éblouy -&gt; ébloui</p>
              <p>v. 124 : envain -&gt; en vain </p>
              <p>v. 129 : advoueray -&gt; avoûeray</p>
              <p>v. 134 : soupir -&gt; soûpir</p>
              <p>v.124, 177, 188, 211 : [, -&gt; .]</p>
              <p>v. 132, 811, 906, 1235 : adveu -&gt; aveu</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 2</head>
              <p>v. 169 : ainsy -&gt; ainsi</p>
              <p>v. 174 : [? -&gt; .]</p>
              <p>v. 175, 798, 1270, 1271 :[ . -&gt; Ø]</p>
              <p>v. 181 : suplice -&gt; supplice</p>
              <p>v. 191 : vôtre -&gt; vostre</p>
              <p>v. 206 : ordonner -&gt; ordonnez</p>
              <p>v. 216 : là dessus -&gt; là-dessus</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 225, 1568: advoüer -&gt; avoüer</p>
              <p>v. 231 : vœux -&gt; veux</p>
              <p>v. 249, 283, 286, 316, 512, 556, 659, 668, 673, 732, 785, 886, 1272, 1283, 1406,
                1408, 1414, 892, 1124, 1188, 1040, 1042, 1570 : [, -&gt; .]</p>
              <p>v. 279 : fut -&gt; fût</p>
              <p>v. 292 : bien-tost -&gt; bien-tôt</p>
              <p>v. 298 : [, -&gt; ?]</p>
              <p>v. 315 : [, -&gt; ;]</p>
              <p>v. 319 : aujourd’huy -&gt; aujourd’hui ; mesme -&gt; même ; éclaircy -&gt;
                éclairci</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 4</head>
              <p>v. 369 : asseurance -&gt; assurance</p>
              <p>v. 374 : connoistre -&gt; connoître</p>
              <p>v. 376, 635, 772, 797 : excez -&gt; excés</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte II, scène 1</head>
              <p>v. 400 : pu -&gt; pû ; [ . -&gt; ,]</p>
              <p>v. 452 : [: -&gt; ;]</p>
              <p>v. 505 : Escoute -&gt; Ecoute</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 2</head>
              <p>v. 510 : succez -&gt; succés</p>
              <p>v. 514 : [Ø -&gt; ,]</p>
              <p>v. 553 : paroistre -&gt; paroître</p>
              <p>v. 554, 626 : maistre -&gt; maître</p>
              <p>v. 585 : parts -&gt; pars</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 631 : éleve -&gt; élevé</p>
              <p>v. 645 : estre -&gt; être</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 5</head>
              <p>v. 695 : aussy -&gt; aussi</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 6</head>
              <p>v. 712 : advis -&gt; avis</p>
              <p>v. 717 : Fils -&gt; fils</p>
              <p>v. 725 : traistre -&gt; traître</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte III, scène 1</head>
              <p>v. 753 : idée -&gt; idee</p>
              <p>v. 757 : vôtre -&gt; nôtre</p>
              <p>v. 772 : defaut -&gt; défaut</p>
              <p>v. 807 : crois-tu -&gt; crois tu</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 2</head>
              <p>v. 878 : [, -&gt; :]</p>
              <p>v. 880 : [. -&gt; !]</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 885, 998, 1115, 1539 : [Ø -&gt; ,]</p>
              <p>v. 897 : sousmis -&gt; soûmis</p>
              <p>v. 914 : Maistre -&gt; maistre</p>
              <p>v. 920 : Peuple -&gt; peuple</p>
              <p>v. 926 : [, -&gt; ;]</p>
              <p>v. 981 : Aussy -&gt; Aussi</p>
              <p>v. 988 : étois -&gt; etois ; [, -&gt; Ø] ; indigne -&gt; indignes</p>
              <p>v. 997 : là dessus -&gt; là –dessus</p>
              <p>v.1000 : régner -&gt; regner</p>
              <p>v. 1003 : bientost -&gt; bientôt</p>
              <p>v. 1013 : c’est luy -&gt; c’est-luy</p>
              <p>v. 1016 : Accordez moy -&gt; Accordez-moy</p>
              <p>v. 1024 : serments -&gt; sermens</p>
              <p>v. 1037 : Ainsy -&gt; Ainsi</p>
              <p/>
              <p>Fin du troisiéme Acte -&gt; Fin du quatriéme Acte (coquille)</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte IV, scène 1</head>
              <p>v. 1127 : dont -&gt; donc</p>
              <p>v. 1135 : defend -&gt; défend</p>
              <p>v. 1146 : veux -&gt; vœux</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 2</head>
              <p>v. 1160 : [! -&gt; ?]</p>
              <p>v. 1163 : hayne -&gt; haine</p>
              <p>v. 1165 : soüiller -&gt; souiller</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 3</head>
              <p>v. 1173 : naistre -&gt; naître</p>
              <p>v. 1191 : advancer -&gt; avancer</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 5</head>
              <p>v.1291 : reüssy -&gt; reüssi</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 6</head>
              <p>v. 1309 : remerciement -&gt; remercîment</p>
              <p>v. 1344 : [; -&gt; ?]</p>
              <p>v. 1349 : aussy -&gt; aussi</p>
              <p>v. 1375 : about -&gt; à bout</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 8</head>
              <p>v. 1378 : cét -&gt; cet</p>
              <p>v. 1395 : ce -&gt; un</p>
              <p>v. 1405 : [? -&gt; Ø]</p>
              <p>v. 1420 : envain -&gt; en vain</p>
              <p>v. 1428 : régner -&gt; regner</p>
              <p>v. 1432, 1454 : ainsy -&gt; ainsi</p>
            </div>
            <div>
              <head>Acte V, scène 2</head>
              <p>v. 1507 : garand -&gt; gand ; grand -&gt; garrand ( coquille)</p>
              <p>v. 1525 : prétendre -&gt; pretendre</p>
              <p>v. 1556 : hayne -&gt; haine</p>
              <p>v. 1558 : chaisne -&gt; chaîne</p>
              <p>v. 1574 : [; -&gt; ?]</p>
              <p>v. 1576 : defaut -&gt; défaut</p>
              <p>v. 1591 : advenir -&gt; avenir</p>
              <p>v. 1601 : hayne -&gt; haine</p>
              <p>v. 1619 : dautant -&gt; d’autant</p>
              <p>v. 1641 : vôtre -&gt; vostre</p>
              <p>v. 1645 : entraine -&gt; entraîne</p>
              <p>v. 1656 : vôtre -&gt; vostre</p>
            </div>
            <div>
              <head>Scène 4</head>
              <p>v. 1692 : abhorre -&gt; abborre ( coquille)</p>
            </div>
          </div>
          <div>
            <head>1706 </head>
            <p><hi rend="i">Poemes dramatiques de Thomas Corneille, nouvelle édition, revûe,
                corrigée, et augmentée</hi>, Charles Osmont, Paris, rüe S. Jacques, au coin de la
              rüe de la Parcheminerie à l’Ecu de France. <hi rend="i">Laodice</hi> se trouve
              toujours dans la quatrième partie. Il s’agit là d’une version modernisée de la version
              de 1692 éditée par Guillaume de Luyne et Pierre Trabouillet<note place="bottom">Cette
                version conserve toutes les modifications de celle de G. de Luyne, sauf [Diadême
                -&gt; Diadéme] , [suprême -&gt; supréme], [moy -&gt;moi], [Vôtre -&gt; vostre],
                [Dont -&gt; Donc], [Tyrans -&gt; Tirans], [mystere -&gt; mistere], [étois -&gt;
                etois], [gênée -&gt; genée]</note>. Les modifications de cette précédente édition
              sont conservées mais s’y ajoute une modernisation de l’orthographe :</p>
            <p>- La structure [voyelle + s + consonne] est systématiquement modifiée en [voyelle+ ^
              + consonne], sauf quand il s’agit d’un [e] en début de mot ( [e] -&gt; [é])<note
                place="bottom">Sauf « être »</note> et sauf « viste -&gt; vite ». Tous les mots
              comprenant cette structure suivent donc les contractions données dans les exemples qui
              suivent :</p>
            <p>AU LECTEUR : adjousté -&gt; ajoûté</p>
            <p>v. 19 (…): mesme -&gt; même </p>
            <p>v. 56 (…) : estre -&gt; être</p>
            <p>v. 45 ( ...) : prest(e) -&gt; prêt(e) </p>
            <p>v. 61 (…) : vostre -&gt; vôtre</p>
            <p>v. 25 : eust -&gt; eût</p>
            <p>v. 12 (…) : maistre -&gt; Maître</p>
            <p>v. 46 : renaistre -&gt; renaître</p>
            <p>v. 146 : estiez -&gt; étiez</p>
            <p>v. 6 (…) : Espoux -&gt; Epoux</p>
            <p>v. 467 : osast -&gt; osât</p>
            <p>v. 515 : haster -&gt; hâter</p>
            <p>- Dans la structure [d, l + cons.], le [d] ou le [l] disparaissent :</p>
            <p>AU LECTEUR : adjousté -&gt; ajoûté</p>
            <p>v. 129 : advoüeray -&gt; avoüerai</p>
            <p>v. 1066 : tiltre -&gt; titre</p>
            <p>- Le [e] prend un accent . quand il précède une autre voyelle :</p>
            <p>AU LECTEUR : Theatre -&gt; Théatre</p>
            <p>v. 414 : Creature -&gt; Créature<space rend="tab"> </space></p>
            <p>· quand il précède une consonne suivie d’une voyelle :</p>
            <p>AU LECTEUR : caractere -&gt; caractére</p>
            <p>v. 15 : resout -&gt; résout</p>
            <p>v.34 : reserver -&gt; réserver</p>
            <p>v. 44 : Frere -&gt; Frére</p>
            <p>v. 83 : medite -&gt; médite</p>
            <p>v. 334, 418, 522, 558, 582, 727 : mere -&gt; Mére</p>
            <p>· devant [gn] :</p>
            <p>v. 26, 71, 404, 412, 464 : regner -&gt; régner</p>
            <p>- La structure [eu] se contracte en [û] et en [u] quand elle est en fin de mot et
              précède [re]  :</p>
            <p>v. 28, 114, 171 : veu -&gt; vû</p>
            <p>v. 35 : seurement -&gt; sûrement</p>
            <p>v. 47, 480, 514, 544, 546 : sceu -&gt; sçû</p>
            <p>v. 55, 130, 650 : seur -&gt; sûr</p>
            <p>v. 261 : pourveu -&gt; pourvu</p>
            <p>v. 343 : receus -&gt; reçus</p>
            <p>v. 703 : asseure -&gt; assure</p>
            <p>v. 556 : asseurer -&gt; assurer</p>
            <p>v. 547 : seure -&gt; sure</p>
            <p>- Le [y] en fin de mot se modifie en [i], sauf dans le pronom personnel « luy » :</p>
            <p>v. 37, 40, 161, 210 : quoy -&gt; quoi</p>
            <p>v. 77, 101 : sçay -&gt; sçai </p>
            <p>v. 90 : pourquoy -&gt; pourquoi </p>
            <p>v. 95, 187, 248 : vray -&gt; vrai</p>
            <p>v. 109 : éblouy -&gt; ébloüi</p>
            <p>v. 115 : appuy -&gt; appui</p>
            <p>v. 187 : vray -&gt; vrai </p>
            <p>v. 211, 277, 291, 723 : icy -&gt; ici</p>
            <p>v. 271, 319 : aujourd’huy -&gt; aujourd’hui</p>
            <p>v. 319 : éclaircy -&gt; éclairci</p>
            <p>v. 615, 729, 760 : Ouy -&gt; Oüi </p>
            <p>- La ponctuation subit également quelques modifications :</p>
            <p>v. 176, 206, 317, 382, 394, 689, 980, 1296, 1417, 1429, 1585, 1680 : [, -&gt; .]</p>
            <p>v. 213, 360 : [, -&gt; ;]</p>
            <p>v. 670, 1136 : [; -&gt; Ø]</p>
            <p>v. 772, 900 : [? -&gt; Ø]</p>
            <p>v. 29 (après Le Ciel ), 71,107, 111, 147, 459, 772, 947, 961, 1337, 1473, 1475, 1520,
              1521, 1594 ( à l’hémistiche) : [Ø -&gt; ,]</p>
            <p>v. 786, 962 : [,-&gt; ?]</p>
            <p>v. 788 : [ ? -&gt; ;]</p>
            <p>v. 812 : [ ! -&gt; ?]</p>
            <p>v. 969, 1546 : [ ? -&gt; ,]</p>
            <p>v. 1089, 1450 : [, -&gt; Ø]</p>
            <p>v. 1119 : [ ? -&gt; !] (après « Madame »)</p>
            <p>v. 1442 : [. -&gt; ,]</p>
            <p>v. 1544, 1708 : [. -&gt; Ø ]</p>
            <p>v. 1546 : [, -&gt; ?] ; [, -&gt; .]</p>
            <p>- Les accents, aigus, circonflexes, ou trémas sont supprimés ou modifiés dans
              d’autres mots que ceux cités précédemment :</p>
            <p>v. 15, 401 : cét -&gt; cet</p>
            <p>v. 286 : fâcheux -&gt; facheux</p>
            <p>v. 409 : crû -&gt; cru</p>
            <p>v. 484 : soûmettre -&gt; soumettre</p>
            <p>v. 545 : après -&gt; après </p>
            <p>v. 622 : soûmette -&gt; soumettre</p>
            <p>v. 737 : avoüer -&gt; avouer</p>
            <p>v. 765 : paru -&gt; parû </p>
            <p>v. 768 : soûpirs -&gt; soupirs</p>
            <p>v. 1455 : arréter -&gt; arrêter</p>
            <p>- Le [f] devant [r] se double :</p>
            <p>v. 636 : soufrir -&gt; souffrir </p>
            <p>v. 752 : ofre -&gt; offre</p>
            <p>- Les autres modifications sont sporadiques :</p>
            <p>v. 524 : sceptre -&gt; Sceptre</p>
            <p>v. 670 : Hymen -&gt; hymen  </p>
            <p>v. 62 : une -&gt; un (coquille)</p>
            <p>v. 109, 185 : par là -&gt; par-là </p>
            <p>v. 405 : Envain -&gt; En vain</p>
            <p>v. 414 : placeant -&gt; plaçant </p>
            <p>v. 487 : défierois -&gt; défirois </p>
            <p>v. 490 : le -&gt; la</p>
            <p>v. 548 : serments -&gt; sermens</p>
            <p>v. 595 : pous -&gt; pour</p>
            <p>v. 602 : achever -&gt; acheve</p>
            <p>v. 678 : prens -&gt; prend</p>
            <p>v. 684 : milles -&gt; mille</p>
            <p>v. 760 : places -&gt; place</p>
            <p>v. 772 : amour -&gt; Amour</p>
            <p>v. 776 : soûpires -&gt; soûpire</p>
            <p>v. 787 : du -&gt; d’un</p>
            <p>v. 876 : grace -&gt; graces</p>
            <p>v. 896 : esclave -&gt; Esclave</p>
            <p>v. 947 : orage -&gt; Orage</p>
            <p>v. 1002 : parricide -&gt; Parricide</p>
            <p>v. 1019 : Daignez luy -&gt; Daignez-luy</p>
            <p>v. 1088 : suy-moy -&gt; suy moy</p>
            <p>v. 1100 : le conseil -&gt; les conseils</p>
            <p>v. 1134 : Ascendant -&gt; ascendant</p>
            <p>v. 1135 : malgré-moy -&gt; malgré moy</p>
            <p>v. 1143 : si -&gt; seul</p>
            <p>v. 1157 : peuple -&gt; Peuple</p>
            <p>v. 1186 : acquiter -&gt; acquitter</p>
            <p>v. 1302 : défence -&gt; défense</p>
            <p>v. 1311 : bienfaits -&gt; bien-faits</p>
            <p>v. 1329 : suplices -&gt; supplices</p>
            <p>v. 1387 : du -&gt; de</p>
            <p>v. 1411 : bientost -&gt; bien-tôt</p>
            <p>v. 1446 : jusques -&gt; jusque</p>
            <p>v. 1501 : découvririez-vous -&gt; découvririez vous</p>
            <p>v. 1540 : apprens -&gt; apprend</p>
            <p>v. 1584 : vœux -&gt; Foeux</p>
            <p>v. 1609 : à -&gt; en</p>
            <p>v. 1718 : apprenez -&gt; aprenez</p>
          </div>
        </div>
      </div>
    </front>
    <body>
      <head>LAODICE REINE DE CAPPADOCE, TRAGÉDIE</head>
      <div type="dedication">
        <head>AU LECTEUR.</head>
        <p>LE sujet de cette Tragedie est tiré du trente-septiéme livre de Justin. Ceux qui auront
          la curiosité de l’y chercher, connoistront ce que j’ay adjousté à l’Histoire pour
          l’accomoder à nostre Theatre. L’Action principale y est si forte qu’elle m’a contraint
          d’affoiblir les Episodes, et de negliger beaucoup d’ornemens pour laisser à Laodice toute
          l’étenduë de son caractere. La matiere estoit belle pour l’ambition, et je ne doute point
          qu’un autre n’en eust fait voir des peintures plus achevées. Pour moy, j’avoüe que mes
          forces n’ont pû aller plus loin, et que je ne demande l’indulgence dont j’ay besoin pour
          cét Ouvrage, qu’aprés avoir employé tous mes soins pour adoucir les defauts dont je n’ay
          pû entierement le purger.</p>
      </div>
      <div type="appendix">
        <head>Extrait du Privilege du Roy.</head>
        <p>PAr grace et Privilege du Roy donné à S. Germain en Laye le 21 de Février 1668. Signé de
          MALON, il est permis au sieur T. CORNEILLE de faire imprimer, vendre et debiter par tel
          Imprimeur et Libraire qu’il voudra choisir, une piece de Theatre de sa composition,
          intitulée <hi rend="i">Laodice Reyne de Cappadoce</hi>, pendant le temps et espace de cinq
          ans entiers et accomplis, à compter du jour que ladite piece de Theatre sera achevée
          d’imprimer ; et défences sont faites à tous autres de quelque qualité et condition qu’ils
          soient de faire imprimer la dite Piece sur peine de trois mille livres d’amende, et tous
          dépens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites
          lettres.</p>
        <p><hi rend="i">Registré sur le livre de la communauté le cinquième de mars 1668</hi>.</p>
        <p>Signé THIERRY Adjoint.</p>
        <p>Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 8 Mars 1668. à Roüen, par L. MAURRY, aus
          dépens de l’Autheur, lequel a traité la presente impression et du Privilege à l’avenir
          avec CLAUDE BARBIN, et GABRIEL QUINET Marchands Libraires à Paris, pour en joüir suivant
          l’accord fait entr’eux.</p>
        <p rend="center"><hi rend="i">Les Exemplaires ont esté fournis.</hi></p>
      </div>
      <div type="set">
        <head>ACTEURS.</head>
        <castList>
          <castItem>
            <role xml:id="laodice">LAODICE,</role>
            <roleDesc>Reyne de Cappadoce.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="ariarate">ARIARATE,</role>
            <roleDesc>Fils de Laodice, déguisé sous le nom d’Oronte.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="aquilius">AQUILIUS,</role>
            <roleDesc>Ambassadeur de Rome.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="phradate">PHRADATE, </role>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="anaxandre">ANAXANDRE,</role>
            <roleDesc>Princes Sujets de Laodice.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="axiane">AXIANE,</role>
            <roleDesc>Princesse de Cilicie.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="cleone">CLEONE,</role>
            <roleDesc>Confidente de Laodice.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="alcine">ALCINE,</role>
            <roleDesc>Confidente d’Axiane.</roleDesc>
          </castItem>
          <castItem>
            <role xml:id="theodot">THEODOT.</role>
          </castItem>
        </castList>
        <stage>La Scene est dans la Capitale de Cappadoce</stage>
      </div>
      <div type="act">
        <pb n="1 A" xml:id="p1"/>
        <head>ACTE I.</head>
        <div type="scene">
          <head>Scène première.</head>
          <stage>AXIANE, ALCINE.</stage>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1" xml:id="l1">Quoy, le Senat <ref target="#deputer">députe*</ref>, et sans
              daigner attendre</l>
            <l n="2" xml:id="l2">Qu’icy l’Ambassadeur ait le temps de se rendre,</l>
            <l n="3" xml:id="l3">La Reyne sur ce choix ne consultant que soy,</l>
            <l n="4" xml:id="l4">Veut à la Cappadoce enfin donner un Roy ? </l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="5" xml:id="l5">Vous en estonnez-vous quand<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Quand</hi> : juste au moment où. <hi rend="i">Quand</hi>  a ici une nuance
                ironique. Il sous-entend <hi rend="i">comme par hazard</hi>.</note> Rome
                s’interesse<note place="bottom"><hi rend="i">S’interesse à</hi> : prend parti
                politiquement pour, se passionne. En latin, <hi rend="i">interesse</hi> signifie <hi
                  rend="i">intervenir, se mettre de la partie</hi>. On remarque que la plupart des
                mots voient s’affaiblir leur sens à mesure qu’ils vieillissent.</note></l>
            <l n="6" xml:id="l6">A l’Espoux qu’elle doit choisir pour la Princesse ?</l>
            <l n="7" xml:id="l7">Déja depuis long-temps le peuple à haute voix<pb n="2" xml:id="p2"
              /></l>
            <l n="8" xml:id="l8">Afin d’avoir un Roy <ref target="#presser">presse*</ref> pour ce
              grand choix,</l>
            <l n="9" xml:id="l9">Et comme Aquilius que ce projet amene</l>
            <l n="10" xml:id="l10">Arrivant tout à coup peut surprendre la Reyne,</l>
            <l n="11" xml:id="l11">Pour prévenir<note place="bottom"><hi rend="i">prévenir</hi> :
                devancer.</note> son ordre, elle veut aujourd’huy</l>
            <l n="12" xml:id="l12">Nous donner seule un maistre et s’en faire un appuy.</l>
            <l n="13" xml:id="l13">Jalouse de l’éclat dont la Couronne brille</l>
            <l n="14" xml:id="l14">Elle a peine sans doute à la rendre à sa Fille,</l>
            <l n="15" xml:id="l15">Mais au moins cét Espoux que son choix seul resout<note
                place="bottom"><hi rend="i">resout</hi> : désigne.</note>,</l>
            <l n="16" xml:id="l16">Ne tiendra rien de Rome, et va luy devoir tout.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="17" xml:id="l17">Mais Rome se plaindra de ce choix fait sans elle : </l>
            <l n="18" xml:id="l18">Si le feu Roy mourut armé pour sa querelle<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">armé pour sa querelle</hi> : dans un combat pour Rome.</note>,</l>
            <l n="19" xml:id="l19">Du moins dans sa mort mesme il en receut le prix</l>
            <l n="20" xml:id="l20">Lors que Rome aggrandit l’Empire de ses Fils,</l>
            <l n="21" xml:id="l21">Et qu’à la Cappadoce on vit par elle unie</l>
            <l n="22" xml:id="l22">La Cilicie entiere, et la Lycaonie<note place="bottom">Anciennes
                provinces d’Asie Mineure. « La Cappadoce était bornée au nord par le Pont-Euxin, au
                levant par l’Arménie Mineure, et à l’Occident par la Galatie, au midi le Mont Taurus
                la séparait de la Cilicie. » selon le dictionnaire de Trevoux.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="23" xml:id="l23">Que ne sont-ils vivants ces Fils infortunez</l>
            <l n="24" xml:id="l24">Par qui tous ces Estats vous estoient destinez !</l>
            <l n="25" xml:id="l25">L’Hymen qui vous eust jointe à l’aisné de ces Princes</l>
            <l n="26" xml:id="l26">Vous auroit fait regner sur toutes ces Provinces,</l>
            <l n="27" xml:id="l27">Et vos Ciliciens par ce nœud glorieux</l>
            <l n="28" xml:id="l28">Eussent veu leur Princesse au rang de ses Ayeux.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="29" xml:id="l29">Le Ciel dont contre moy les rigueurs éclaterent</l>
            <l n="30" xml:id="l30">M’osta la Cilicie où mes Ayeux regnerent,</l>
            <l n="31" xml:id="l31">Et par l’ordre de Rome envoyée en ces lieux</l>
            <l n="32" xml:id="l32">J’y pouvois esperer un destin glorieux,</l>
            <l n="33" xml:id="l33">Du moins Rome, en donnant mes Estats à la Reyne,</l>
            <l n="34" xml:id="l34">Sembla me <ref target="#reserver">reserver*</ref> au rang de
              Souveraine,</l>
            <l n="35" xml:id="l35">Et pour les voir au siens plus seurement unis</l>
            <l n="36" xml:id="l36">Me destina pour Femme à l’Aisné de ses Fils ;</l>
            <l n="37" xml:id="l37">Mais ils ne vivent plus, et quoy que l’on se flate<note
                place="bottom"><hi rend="i">Se flate</hi> : se donne l’espoir.</note><pb n="3 A ij"
                xml:id="p3"/></l>
            <l n="38" xml:id="l38">Que le Ciel a sauvé<note place="bottom">Aujourd’hui, on dirait
                plûtot <hi rend="i">ait sauvé</hi>, la donnée étant virtuelle.</note> le jeune
              Ariarate,</l>
            <l n="39" xml:id="l39">Arsinoé sa Sœur a droit seule aujourd’huy</l>
            <l n="40" xml:id="l40">De posseder le rang que j’attendois de luy.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="41" xml:id="l41">Aux <ref target="#voeux">vœux*</ref> d’Arsinoé quoy que ce rang
              promette,</l>
            <l n="42" xml:id="l42">Ariarate encor la peut laisser Sujette.</l>
            <l n="43" xml:id="l43">Le plus riant espoir nous trompe assez souvent,</l>
            <l n="44" xml:id="l44">Que sçait-on si ce Frere enfin n’est point vivant ?</l>
            <l n="45" xml:id="l45">Si l’on en croit la Reyne, il est prest à paroistre.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="46" xml:id="l46">Sçais-tu d’où vient le bruit qui le force à renaistre ?</l>
            <l n="47" xml:id="l47">La Reyne que le Trône a toûjours sceu <ref target="#charmer"
                >charmer*</ref></l>
            <l n="48" xml:id="l48">Fait à regret le Roy qu’elle est preste à nommer,</l>
            <l n="49" xml:id="l49">Et des jours de son Fils la frivole asseurance<note
                place="bottom">C’est à dire : la certitude peu fondée de sa vie.</note></l>
            <l n="50" xml:id="l50">Tenoit toûjours l’hymen de sa Fille en balance<note
                place="bottom"><hi rend="i">En balance</hi> : en suspens.</note>,</l>
            <l n="51" xml:id="l51">Qui de son Frere encore attendroit le retour,</l>
            <l n="52" xml:id="l52">Si le Peuple ennuyé<note place="bottom"><hi rend="i"
                >Ennuyé</hi> : agité.</note> ne <ref target="#presser">pressoit*</ref> ce grand
              jour,</l>
            <l n="53" xml:id="l53">Il croit ce Prince mort, et veut avoir un maistre.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="54" xml:id="l54">Ah, s’il estoit vivant, et qu’il se fist connoistre,</l>
            <l n="55" xml:id="l55" part="I">Le Trône seur pour vous…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Il a de quoy toucher,</l>
            <l n="56" xml:id="l56">Mais peut-estre à ce prix il me cousteroit cher.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="57" xml:id="l57">Quoy ? vous refuseriez l’hymen d’Ariarate ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="58" xml:id="l58">Il peut seul m’affranchir d’une fortune ingrate,</l>
            <l n="59" xml:id="l59">Mais pour nous ébloüir quoy qu’un Trône ait d’apas<note
                place="bottom"><hi rend="i"> Apas</hi> : charmes (au sens fort).</note>,</l>
            <l n="60" xml:id="l60">Peut-on estre content quand le cœur ne l’est pas ?</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="61" xml:id="l61">O Dieux ! se pourroit-il que pour toucher le vostre,</l>
            <l n="62" xml:id="l62" part="I">L’Amour…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Il peut sur moy ce qu’il peut sur une autre,<pb n="4" xml:id="p4"/></l>
            <l n="63" xml:id="l63">Et ce qu’on met d’obstacle aux traits<note place="bottom"><hi
                  rend="i">traits</hi> : blessures d’amour.</note> qu’il fait sentir</l>
            <l n="64" xml:id="l64">Sert à croistre souvent ce qu’on pense amortir<note
                place="bottom">C’est à dire : la flamme,l’ardeur qu’on pense diminuer.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="65" xml:id="l65">Cet adveu me surprend, mais à qui puis-je croire</l>
            <l n="66" xml:id="l66">Que l’amour ait voulu destiner tant de <ref target="#gloire"
                >gloire*</ref> ?</l>
            <l n="67" xml:id="l67">Nos Princes qui pourroient aspirer jusqu’à vous</l>
            <l n="68" xml:id="l68">De leur ambition font leurs voeux les plus doux<note
                place="bottom">C’est à dire : leur ambition oriente leurs soins amoureux, leurs
                hommages.</note>,</l>
            <l n="69" xml:id="l69">La main d’Arsinoé donne le Diadême,</l>
            <l n="70" xml:id="l70">Et dans l’avidité de la grandeur suprême,</l>
            <l n="71" xml:id="l71">Chacun pour son Hymen qui les fera regner</l>
            <l n="72" xml:id="l72">Brigue la voix d’Oronte, et tâche à le gagner.</l>
            <l n="73" xml:id="l73">Ce fameux Inconnu peut beaucoup sur la Reyne.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="74" xml:id="l74" part="I">Son merite est bien rare.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l part="F">Il obtient tout sans peine,</l>
            <l n="75" xml:id="l75">Et ce faiste d’honneurs où l’on voit aujourd’huy…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="76" xml:id="l76">Ils sont grands, mais crois-tu qu’on puisse trop pour luy ?</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="77" xml:id="l77">Je sçay bien qu’à l’Estat il est si necessaire</l>
            <l n="78" xml:id="l78">Qu’afin de l’arrester<note place="bottom"><hi rend="i">afin de
                  l’arrêter</hi>  : pour le retenir (pour ne pas qu’il aille se battre
                ailleurs).</note> on ne peut assez faire.</l>
            <l n="79" xml:id="l79">Depuis plus de deux ans que la faveur des Dieux</l>
            <l n="80" xml:id="l80">Nous l’ayant envoyé le retient en ces lieux,</l>
            <l n="81" xml:id="l81">De nos <ref target="#fier">fiers*</ref> Ennemis l’insolence<note
                place="bottom"><hi rend="i">Insolence</hi> : violence, sauvagerie.</note>
              estoufée</l>
            <l n="82" xml:id="l82">A ses moindres exploits a servy de trophée,</l>
            <l n="83" xml:id="l83">Et ce que leur audace ou medite ou produit</l>
            <l n="84" xml:id="l84">Par ses sages conseils est aussy-tost détruit ;</l>
            <l n="85" xml:id="l85">Mais ces rares effets de valeur, de prudence,</l>
            <l n="86" xml:id="l86">Luy donnent de la <ref target="#gloire">gloire*</ref>, et non de
              la naissance,</l>
            <l n="87" xml:id="l87">Et le rang inégal où le Ciel l’a formé<note place="bottom"><hi
                  rend="i">L’a formé</hi> : l’a conçu.</note></l>
            <l n="88" xml:id="l88">Ne l’empesche pas moins d’esperer d’estre aimé.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="89" xml:id="l89">Il se peut qu’en son cœur cét espoir n’ose naistre,<pb
                n="5 A iij" xml:id="p5"/></l>
            <l n="90" xml:id="l90">Mais, Alcine, pourquoy ne pourroit-il pas l’estre ?</l>
            <l n="91" xml:id="l91">L’amour, de la raison est-il toûjours l’effet,</l>
            <l n="92" xml:id="l92">Et n’aime-t-on jamais sans sçavoir ce qu’on fait ?</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="93" xml:id="l93">Je croirois que son rang trop different du vostre…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="94" xml:id="l94">Et n’ay-je pas un cœur et des yeux comme une autre,</l>
            <l n="95" xml:id="l95">Et quand d’ un vray merite on fait briller l’appas<note
                place="bottom"><hi rend="i">L’appas</hi> : les charmes.</note>,</l>
            <l n="96" xml:id="l96">Est-il en mon pouvoir de ne l’estimer pas ?</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="97" xml:id="l97">L’estime est innocente, et fut toûjours permise,</l>
            <l n="98" xml:id="l98" part="I">Mais l’ amour…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Songe-t’on que l’amour se déguise,</l>
            <l n="99" xml:id="l99">Et dans la liberté de voir et d’estimer,</l>
            <l n="100" xml:id="l100">Lors qu’on aime en effet, s’apperçoit-on d’aimer ?</l>
            <l n="101" xml:id="l101">D’un doux je ne sçay quoi la plus flateuse <ref
                target="#amorce">amorce*</ref></l>
            <l n="102" xml:id="l102">N’est d’abord qu’un tribut<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Tribut</hi> : Hommage.</note>
              <ref target="#ou">où*</ref> la vertu nous force.</l>
            <l n="103" xml:id="l103">L’éclat dont elle brille aux yeux de cent témoins</l>
            <l n="104" xml:id="l104">D’un cœur qui la connoist ne peut attendre moins.</l>
            <l n="105" xml:id="l105">L’ame a beau s’en trouver inquiete, interdite,</l>
            <l n="106" xml:id="l106">La raison y consent, c’est l’effet du merite,</l>
            <l n="107" xml:id="l107">Et l’on ne veut pas voir que malgré son secours</l>
            <l n="108" xml:id="l108">Ce merite plaist tant qu’on y pense toûjours.</l>
            <l n="109" xml:id="l109">C’est par là qu’éblouy d’une vertu parfaite</l>
            <l n="110" xml:id="l110">Mon cœur en succombant s’est caché sa defaite,</l>
            <l n="111" xml:id="l111">Et qu’à mes sens surpris osant trop deferer</l>
            <l n="112" xml:id="l112">Il a pris de l’amour, et n’a crû qu’admirer.</l>
            <l n="113" xml:id="l113">Tout ce que des Heros l’Histoire nous raconte,</l>
            <l n="114" xml:id="l114">Tout ce qu’ils ont de grand je l’ay veu dans Oronte.</l>
            <l n="115" xml:id="l115">L’Estat qui chanceloit sans l’appuy de son bras</l>
            <l n="116" xml:id="l116">Doit son entier triomphe à ses derniers combats,</l>
            <l n="117" xml:id="l117">Au Trône par luy seul la Reyne est affermie,<note
                place="bottom">C’est à dire : lui seul a permis à La Reine d’asseoir son pouvoir
                .</note><pb n="6" xml:id="p6"/></l>
            <l n="118" xml:id="l118">Et s’il eut en naissant la fortune ennemie,</l>
            <l n="119" xml:id="l119">Quoy qu’on vueille par là ravaler ses exploits,</l>
            <l n="120" xml:id="l120">C’est estre plus que Roy que maintenir les Rois.</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l n="121" xml:id="l121">Je le veux croire ainsy. Mais Oronte, Madame,</l>
            <l n="122" xml:id="l122">Est-il assez heureux pour lire dans vostre ame ?</l>
            <l n="123" xml:id="l123" part="I">En sçait-il le secret ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Je tâche à<note place="bottom">Le verbe se construit aujourd’ hui avec la
                préposition <hi rend="i">de .</hi></note> luy cacher</l>
            <l n="124" xml:id="l124">Ce qu’en vain de mon cœur je voudrois arracher,</l>
            <l n="125" xml:id="l125">Je m’observe<note place="bottom"><hi rend="i">je
                m’observe</hi> : je me condamne.</note> sans cesse en tout ce qu’il m’inspire,</l>
            <l n="126" xml:id="l126">Mais l’amour dit beaucoup lors qu’il croit ne rien dire,</l>
            <l n="127" xml:id="l127">Et quelque soin qu’on prenne à bien dissimuler,</l>
            <l n="128" xml:id="l128">Si la bouche se taist, les yeux sçavent parler.</l>
            <l n="129" xml:id="l129">Aussi je l’advouëray ; cét heureux temeraire</l>
            <l n="130" xml:id="l130">Semble se tenir seur de ne me point déplaire.</l>
            <l n="131" xml:id="l131">Je le voy quelquefois d’un regard tout mourant</l>
            <l n="132" xml:id="l132">Solliciter l’adveu des devoirs qu’il me rend<note
                place="bottom"><hi rend="i">Solliciter l’adveu des devoirs qu’il me
                rend</hi> :solliciter l’autorisation de ses hommages, le fait qu’elle accepte
                officiellement de recevoir ses devoirs d’amoureux.</note>.</l>
            <l n="133" xml:id="l133">Son amour que fait taire un respect tyrannique</l>
            <l n="134" xml:id="l134">Emprunte le secours d’un soupir qui l’explique,</l>
            <l n="135" xml:id="l135">Et j’ay connu souvent qu’il s’estoit répondu</l>
            <l n="136" xml:id="l136">Que s’il m’avoit parlé je l’avois entendu.<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Et j’ay connu souvent qu’il s’estoit répondu / Que s’il m’avoit
                  parlé je l’avois entendu</hi> : Le sens de ces deux vers est obscur. De deux
                choses l’une : il semble possible qu’une virgule ait été omise en fin de vers, après
                  <hi rend="i">répondu ;</hi> dans ce cas, comprenons :  « Je me suis souvent
                aperçue qu’il assumait pour moi la charge de cet amour, mais que s’il s’était
                déclaré, mon oreille n’aurait pas refusé de l’écouter. » La virgule permet de
                considérer le deuxième vers comme une complétive juxtaposée à la première et
                rétablit la cohérence de l’ensemble. À moins que le texte originel ne contienne une
                erreur de frappe, et que le plus que parfait <hi rend="i">avois entendu</hi> n’ait
                été substitué au conditionnel passé <hi rend="i">aurois entendu.</hi> Dans ce cas,
                nous pouvons comprendre : « J’ai cru remarquer souvent qu’il s’était dit en lui même
                que s’il m’avait parlé, je lui aurais prêté oreille. »</note></l>
            <l n="137" xml:id="l137" part="I">Juge, Alcine …</l>
          </sp>
          <sp who="alcine">
            <speaker>ALCINE.</speaker>
            <l part="F">Voyez que l’amour vous l’amene.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène II.</head>
          <stage>ARIARATE sous le nom d’Oronte, AXIANE, ALCINE.</stage>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="138" xml:id="l138">Madame, vous sçavez le dessein de la Reyne.<pb n="7"
                xml:id="p7"/></l>
            <l n="139" xml:id="l139">Des vœux de ses Sujets se faisant une loy<note place="bottom"
                  ><hi rend="i"> loy</hi> :impératif</note></l>
            <l n="140" xml:id="l140">On la voit qui s’appreste à nous donner un Roy ;</l>
            <l n="141" xml:id="l141">Au defaut de son Fils dont on plaint la <ref target="#disgrace"
                >disgrace*</ref></l>
            <l n="142" xml:id="l142">Sa fille Arsinoé prend aujourd’huy sa place,</l>
            <l n="143" xml:id="l143">Et l’Espoux que pour elle a resolu<note place="bottom"><hi
                  rend="i">A resolu</hi> : a décidé.</note> son choix</l>
            <l n="144" xml:id="l144">Montant par elle au Trône y va donner des loix.</l>
            <l n="145" xml:id="l145">Quelle <ref target="#douceur">douceur*</ref> pour moy si dans
              cette journée</l>
            <l n="146" xml:id="l146">Au lieu d’Arsinoé vous estiez couronnée !</l>
            <l n="147" xml:id="l147">Quand Rome disposa de vos Estats conquis</l>
            <l n="148" xml:id="l148">La Reyne pour Espoux vous destina son Fils,</l>
            <l n="149" xml:id="l149">Et dans la Cappadoce on vous vit élevée</l>
            <l n="150" xml:id="l150">Pour la <ref target="#gloire">gloire*</ref>
              <ref target="#ou">où*</ref> ce choix vous avoit <ref target="#reserver"
                >reservée*</ref>.</l>
            <l n="151" xml:id="l151">Plust au Ciel qu’il parust ce Fils, et qu’il fust prest...</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="152" xml:id="l152">0ronte en mon destin prend toûjours interest<note
                place="bottom"><hi rend="i">Prends interêt</hi> : se passionne, prend part au sens
                fort.</note>,</l>
            <l n="153" xml:id="l153">Et ne peut sans douleur voir ma gloire<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Gloire</hi> : honneur.</note> obsurcie</l>
            <l n="154" xml:id="l154">Par le sort qui m’a fait perdre la Cilicie.</l>
            <l n="155" xml:id="l155">Comme elle est le partage où regnoient mes Ayeux</l>
            <l n="156" xml:id="l156">J’aurois voulu sans doute y regner aprés eux,</l>
            <l n="157" xml:id="l157">Mais puisqu’enfin le Ciel autrement en dispose</l>
            <l n="158" xml:id="l158">M’ostant la Cappadoce, il m’oste peu de chose,</l>
            <l n="159" xml:id="l159">Et du moins ne devant ny mon cœur ny ma foy<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Foy</hi> est à prendre au sens de « donner  sa foi » pour le
                mariage : puisqu’elle ne se marie pas, elle ne doit rien à personne.</note>,</l>
            <l n="160" xml:id="l160">Si je vis sans éclat, je puis vivre pour moy.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="161" xml:id="l161">Quoy, donner vostre cœur au Prince Ariarate<pb n="8"
                xml:id="p8"/></l>
            <l n="162" xml:id="l162" part="I">Seroit un sort<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Sort</hi> : destin.</note> pour vous…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">La liberté me flate<note place="bottom"><hi rend="i">Me flate</hi> : me
                charme, me séduit.</note>,</l>
            <l n="163" xml:id="l163">Et ce cœur trop altier appelle un attentat</l>
            <l n="164" xml:id="l164">Tout ce qui le soûmet à des raisons d’Estat.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="165" xml:id="l165">J’admire à ces raisons la fierté qu’il oppose,</l>
            <l n="166" xml:id="l166">Mais si j’osois, Madame, en penetrer la cause.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="167" xml:id="l167" part="I">Et que me diriez-vous ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Ce qu’il nous tient caché,</l>
            <l n="168" xml:id="l168">Que sans doute en secret quelque autre l’a touché<note
                place="bottom"><hi rend="i">L’a touché</hi> : l’a atteint, l’a ému.</note>,</l>
            <l n="169" xml:id="l169" part="I">Et qu’ainsy…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Ce soupçon va trop loin pour ma <ref target="#gloire">gloire*</ref></l>
            <l n="170" xml:id="l170">Mais enfin quel sujet<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Sujet</hi> : raison.</note> auriez-vous de le croire ?</l>
            <l n="171" xml:id="l171">D’aucuns <ref target="#voeux">vœux*</ref>, d’aucuns<note
                place="bottom"><hi rend="i">Aucuns</hi> : Quelques. Il pouvait s’employer au
                pluriel.</note>
              <ref target="#soins">soins*</ref> m’a-t’on veu faire cas ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="172" xml:id="l172">Madame, au nom des Dieux ne me le cachez pas.</l>
            <l n="173" xml:id="l173">Un si fort interest me presse de l’apprendre…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="174" xml:id="l174">Vous ? Et Quel interest auriez-vous lieu d’y prendre ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="175" xml:id="l175" part="I">Madame…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Expliquez-vous, je vous ay tout permis.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="176" xml:id="l176">Vous sçavez le credit où la faveur m’a mis,</l>
            <l n="177" xml:id="l177">Je puis ce que je veux sur l’esprit de la Reyne,</l>
            <l n="178" xml:id="l178">Et quand le choix d’un Roy luy tient l’ame incertaine,</l>
            <l n="179" xml:id="l179">Nommant qui vous aimez vous n’auriez point l’ennuy<note
                place="bottom"><hi rend="i">Ennuy</hi> : violent désagrément.</note><pb n="9"
                xml:id="p9"/></l>
            <l n="180" xml:id="l180">De craindre que ce choix pust s’arrester sur luy,<note
                place="bottom">C’est à dire : si vous me révélez l’identité de celui que vous aimez,
                je pourrai faire en sorte qu’il ne soit pas nommé roi.</note></l>
            <l n="181" xml:id="l181">J’en sçaurois à vos <ref target="#voeux">vœux*</ref> espargner
              le suplice.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="182" xml:id="l182">Je luy ferois peut-estre un peu moins d’injustice,</l>
            <l n="183" xml:id="l183">Et croirois que ma <ref target="#gloire">gloire*</ref> auroit à
              s’indigner</l>
            <l n="184" xml:id="l184">Si mon cœur luy coustoit la <ref target="#douceur"
                >douceur*</ref> de regner.</l>
            <l n="185" xml:id="l185">Mais ma crainte par là trouve peu de matiere,</l>
            <l n="186" xml:id="l186">Et pour vous en donner la marque toute entiere,</l>
            <l n="187" xml:id="l187">Si quelque vray merite avoit à me charmer,</l>
            <l n="188" xml:id="l188">Ce seroit par vos yeux que je voudrois aimer,</l>
            <l n="189" xml:id="l189">Ce que vous choisiriez auroit droit de me plaire.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="190" xml:id="l190">Et vous pourriez, Madame, en croire un temeraire,</l>
            <l n="191" xml:id="l191">Qui pour faire un heureux, quel que soit vôtre rang,</l>
            <l n="192" xml:id="l192">Chercheroit plus l’amour que la splendeur du sang ?</l>
            <l n="193" xml:id="l193">A quel prompt desadveu vous verrois-je reduite ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="194" xml:id="l194">Ayant choisy par vous j’en craindrois peu la suite,</l>
            <l n="195" xml:id="l195">Et qui pour la vertu s’est toûjours expliqué…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="196" xml:id="l196">Que sert cét avantage où le reste a manqué ?</l>
            <l n="197" xml:id="l197">Si je vous proposois quelqu’un dont la naissance</l>
            <l n="198" xml:id="l198">Avec le sang des Rois eust trop de difference,</l>
            <l n="199" xml:id="l199">Quelqu’un dont ce malheur ternist les qualitez ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="200" xml:id="l200">Ces defauts au Destin doivent estre imputez,</l>
            <l n="201" xml:id="l201">Un Heros n’est garand que d’un merite extréme,</l>
            <l n="202" xml:id="l202" part="I">Que d’un…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Et si j’osois vous parler pour moy-mesme,</l>
            <l n="203" xml:id="l203">Vous jurer que jamais une si vive ardeur</l>
            <l n="204" xml:id="l204">Avec tant de respect ne s’empara d’un cœur,</l>
            <l n="205" xml:id="l205">Que le mien tout à vous par un pur sacrifice…<pb n="10"
                xml:id="p10"/></l>
            <l n="206" xml:id="l206">Mais de ma fole audace ordonnez le supplice,</l>
            <l n="207" xml:id="l207">Dans son emportement je m’égare et me pers.</l>
            <l n="208" xml:id="l208">Est-ce à moy de porter de si glorieux fers<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">fers</hi> : langage galant. Etat de l’amoureux soumis à sa
                maîtresse.</note> ?</l>
            <l n="209" xml:id="l209">Est-ce à moy de prétendre où mon orgueil aspire<note
                place="bottom">comprendre : ai-je droit de convoiter ce à quoi j’ose aspirer (votre
                amour) ?</note> ?</l>
            <l n="210" xml:id="l210" part="I">Parlez, Madame,</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="M">Adieu.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Quoy, sans me vouloir dire…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="211" xml:id="l211">Espargnez ce qu’icy je me dois de fierté.</l>
            <l n="212" xml:id="l212">C’est vous avoir trop dit que d’avoir écouté.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="213" xml:id="l213">C’est beaucoup, il est vray, mais si ce pur hommage…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="214" xml:id="l214">A quoy bon me presser d’en dire davantage ?</l>
            <l n="215" xml:id="l215">Les devoirs d’un beau sang vous sont assez connus,</l>
            <l n="216" xml:id="l216">Vous sçavez qui je suis, jugez vous là dessus.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="217" xml:id="l217">Ce que vous m’opposez n’est pas ce qui me gesne<note
                place="bottom"><hi rend="i">Me gesne</hi> : me tourmente. Le sens est aujourd’hui
                affaibli. Au XVII<hi rend="sup">e</hi>, on entendait par <hi rend="i">gêne</hi>,
                instrument de torture ou le supplice lui même.</note>,</l>
            <l n="218" xml:id="l218">Soûtenez ce beau sang, je le verray sans peine,</l>
            <l n="219" xml:id="l219">Dites-moy seulement si mon feu vous déplaist,</l>
            <l n="220" xml:id="l220" part="I">Si vôtre cœur touché…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Je ne sçay ce qu’il est,</l>
            <l n="221" xml:id="l221">Mais je sents qu’il se trouble à vouloir vous entendre,</l>
            <l n="222" xml:id="l222">Et que quoy que l’amour vous forçast d’entreprendre</l>
            <l n="223" xml:id="l223">Vous pourriez esperer le succez le plus doux,</l>
            <l n="224" xml:id="l224">Si l’orgueil de mon rang n’estoit pas contre vous.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène III.</head>
          <stage>ARIARATE, PHRADATE.</stage>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="225" xml:id="l225">Voudrez-vous l’advouër ? La Princesse Axiane<pb n="11"
                xml:id="p11"/></l>
            <l n="226" xml:id="l226">Cherche à rompre par vous un choix qu’elle condamne,</l>
            <l n="227" xml:id="l227">L’Hymen d’Arsinoé la doit inquieter.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="228" xml:id="l228">L’espoir d’une Couronne est fâcheux à quitter,</l>
            <l n="229" xml:id="l229">Mais Axiane est ferme<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Ferme</hi> : résolue.</note>, et loin de luy voir craindre …</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="230" xml:id="l230">Que je la trouve heureuse, et que je suis à plaindre !</l>
            <l n="231" xml:id="l231">Quoy que d’Arsinoé tous les <ref target="#voeux">vœux*</ref>
              soient pour moy,</l>
            <l n="232" xml:id="l232">J’ay des Rivaux, Oronte, et j’en tremble d’effroy,</l>
            <l n="233" xml:id="l233">Car vous ne doutez point que leur jalouse envie<note
                place="bottom"><hi rend="i">Jalouse envie</hi> : Il s’agit d’un pléonasme puisque
                  <hi rend="i">envie</hi> vient de <hi rend="i">invidere, jalouser</hi> en
                latin.</note></l>
            <l n="234" xml:id="l234">M’ostant Arsinoé ne me couste la vie.</l>
            <l n="235" xml:id="l235">Vous pouvez seul contre eux soûtenir mon espoir,</l>
            <l n="236" xml:id="l236">Vous avez sur la Reyne un absolu pouvoir,</l>
            <l n="237" xml:id="l237">Et cent fois, quant le trouble est entré dans mon ame</l>
            <l n="238" xml:id="l238">Vous m’avez répondu du succez de ma flame,</l>
            <l n="239" xml:id="l239">Enfin, mon cher Oronte, il est temps de parler.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="240" xml:id="l240">Je vous dois trop, Seigneur, pour vouloir reculer,</l>
            <l n="241" xml:id="l241">Ce service est le moindre où l’honneur me convie,</l>
            <l n="242" xml:id="l242">Sans vous dans un combat j’aurois perdu la vie,</l>
            <l n="243" xml:id="l243">Et cent fois vos bontez s’interessant pour moy<note
                place="bottom">Comprendre : ayant cent fois pris parti pour moi.</note></l>
            <l n="244" xml:id="l244">Ont daigné m’affermir au rang où je me voy.</l>
            <l n="245" xml:id="l245">Ainsi pour vôtre amour ne soyez point en peine,</l>
            <l n="246" xml:id="l246">Aimez Arsinoé, je respons de la Reyne,</l>
            <l n="247" xml:id="l247">Et vous pouvez vous croire au comble de vos <ref
                target="#voeux">vœux*</ref>,<pb n="12" xml:id="p12"/></l>
            <l n="248" xml:id="l248">S’il est vray que sa main vous puisse rendre heureux.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="249" xml:id="l249">A l’honneur de ce choix beaucoup osent prétendre,</l>
            <l n="250" xml:id="l250">Mais mon amour sur tout me fait craindre Anaxandre,</l>
            <l n="251" xml:id="l251">Cét orgueilleux Rival ne manque point d’appuy,</l>
            <l n="252" xml:id="l252" part="I">Et de ses partisans…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Ne craignez rien de luy;</l>
            <l n="253" xml:id="l253">L’aveugle ambition dont la fierté l’entraine</l>
            <l n="254" xml:id="l254">Luy laisse peu de part aux bontez de la Reyne,</l>
            <l n="255" xml:id="l255">Elle cherche un esprit souple, docile, accort,</l>
            <l n="256" xml:id="l256">Qui pour regner toûjours luy serve de support,</l>
            <l n="257" xml:id="l257">Et qui du rang pompeux dont on la voit arbitre,</l>
            <l n="258" xml:id="l258">Luy laissant le pouvoir se contente du tiltre.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="259" xml:id="l259">Je l’abandonne entier à l’ardeur de ses vœux,</l>
            <l n="260" xml:id="l260">Le cœur d’Arsinoé, c’est tout ce que je veux,</l>
            <l n="261" xml:id="l261" part="I">Et pourveu que sa main …</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Quoy, Seigneur, sa personne</l>
            <l n="262" xml:id="l262">A des charmes pour vous plus forts que sa Couronne ?</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="263" xml:id="l263">Ouy, j’atteste les Dieux que sans ambition</l>
            <l n="264" xml:id="l264">Elle seule a causé toute ma passion,</l>
            <l n="265" xml:id="l265">Que sans Trône à mes yeux également aimable …</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="266" xml:id="l266">Toûjours d’un pur amour je vous ay crû capable,</l>
            <l n="267" xml:id="l267">Vous en aviez besoin, et pour m’expliquer mieux,</l>
            <l n="268" xml:id="l268">Ariarate est prest de paroistre en ces lieux.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="269" xml:id="l269" part="I">Ariarate !</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Et quoy ? son retour vous fait peine<note place="bottom"><hi rend="i">Vous
                  fait peine</hi> : vous donne du chagrin.</note> ?</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="270" xml:id="l270">Non, mais je conçois mal le dessein de la Reyne,<pb n="13 B"
                xml:id="p13"/></l>
            <l n="271" xml:id="l271">Pourquoi feindre aujourd’huy le choix d’un autre Roy ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="272" xml:id="l272">Le secret de son Fils n’est connu que de moy,</l>
            <l n="273" xml:id="l273">Elle-mesme l’ignore, et pour ne vous rien taire</l>
            <l n="274" xml:id="l274">A vous qui m’honorez d’une amitié sincere,</l>
            <l n="275" xml:id="l275">Aquilius qu’exprès Rome envoye en ces lieux</l>
            <l n="276" xml:id="l276">Vient rétablir ce Prince au rang de ses Ayeux.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="277" xml:id="l277">Aucun n’ignore icy que dés son plus bas âge</l>
            <l n="278" xml:id="l278">Du vivant du feu Roy Rome l’eut en ostage,</l>
            <l n="279" xml:id="l279">Mais à peine du jour le Roy fut-il privé</l>
            <l n="280" xml:id="l280">Que Rome se plaignit qu’il luy fut enlevé,</l>
            <l n="281" xml:id="l281">Et si nous en croyons ce qu’elle fit paroistre,</l>
            <l n="282" xml:id="l282">Ce crime eut des autheurs que l’on ne put conoistre.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="283" xml:id="l283">Helas ! ils n’ont enfin esté que trop connus.</l>
            <l n="284" xml:id="l284">Dispensez-moy, Seigneur, de parler là-dessus,</l>
            <l n="285" xml:id="l285">Et pour finir plûtost un discours qui me gesne</l>
            <l n="286" xml:id="l286">Songez aux bruits fâcheux qu’on sema de la Reyne<note
                place="bottom">C’est à dire : songez aux rumeurs facheuses qui courront sur la
                Reyne.</note>. </l>
            <l n="287" xml:id="l287">De cinq fils, tous enfans, restez en son pouvoir,</l>
            <l n="288" xml:id="l288">La mort soüilla son nom du crime le plus noir,</l>
            <l n="289" xml:id="l289">Le poison l’en défit, au moins contre sa <ref target="#gloire"
                >gloire*</ref></l>
            <l n="290" xml:id="l290">Chacun le publia<note place="bottom"><hi rend="i"> Chacun le
                  publia</hi> : On le rendit publique.</note> comme on le voulut croire ;</l>
            <l n="291" xml:id="l291">Mais si l’on eut icy des soupçons incertains</l>
            <l n="292" xml:id="l292">Le crime fut bien-tost évident aux Romains.</l>
            <l n="293" xml:id="l293">Comme la peur de rendre un jour le Diadême</l>
            <l n="294" xml:id="l294">En elle avoit armé le sang contre soy-mesme<note place="bottom"
                >C’est à dire : Elle s’est armée contre son propre sang, celui du Diadême, du Roi,
                donc de ses Fils.</note>,</l>
            <l n="295" xml:id="l295">Le jeune Ariarate en ostage chez eux</l>
            <l n="296" xml:id="l296">Mettoit un dur obstacle au succez de ses vœux.</l>
            <l n="297" xml:id="l297">Pour l’enlever de Rome elle choisit Orcame</l>
            <l n="298" xml:id="l298">Qui surpris de sa rage, et plein d’horreur dans l’ame,</l>
            <l n="299" xml:id="l299">Feignant de la servir vient apprendre au Senat <pb n="14"
                xml:id="p14"/></l>
            <l n="300" xml:id="l300">L’ordre de ce funeste et dernier attentat<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Attentat</hi> : Outrage ou violence qu’on tâche de faire à
                quelqu’un. (Furetière)</note>.</l>
            <l n="301" xml:id="l301">Rome qu’occupoit lors une pressante<note place="bottom"><hi
                  rend="i">pressante</hi> : imperieuse.</note> guerre</l>
            <l n="302" xml:id="l302">Suspend pour quelque temps l’éclat de son tonnerre,</l>
            <l n="303" xml:id="l303">Et croit qu’un seul témoin ne l’autorise pas</l>
            <l n="304" xml:id="l304">A détruire une Reyne, et prendre ses Estats,</l>
            <l n="305" xml:id="l305">Mais pour n’exposer plus le Prince à tant de rage,</l>
            <l n="306" xml:id="l306">Elle feint qu’on luy vient d’enlever son Ostage,</l>
            <l n="307" xml:id="l307">Tandis que l’élevant ailleurs sous un faux nom,</l>
            <l n="308" xml:id="l308">Du sort qui le conserve<note place="bottom"><hi rend="i">Le
                  conserve</hi> : le sauve.</note> elle oste le soupçon.</l>
            <l n="309" xml:id="l309">Orcame cependant vient retrouver la Reyne,</l>
            <l n="310" xml:id="l310">De ce Fils malheureux luy fait la mort certaine,</l>
            <l n="311" xml:id="l311">Et la sienne qui suit la laisse en liberté</l>
            <l n="312" xml:id="l312">De joüir de son crime avec impunité.</l>
            <l n="313" xml:id="l313">Pour regner toûjours seule en dépit de l’envie<note
                place="bottom"><hi rend="i">De l’envie</hi> : des jalousies.</note>,</l>
            <l n="314" xml:id="l314">Du Prince Ariarate elle opposoit la vie,</l>
            <l n="315" xml:id="l315">Et feignant de douter de la mort de ce Fils,</l>
            <l n="316" xml:id="l316">De son doute affecté le Trône estoit le prix.</l>
            <l n="317" xml:id="l317">Mais enfin il est temps de rompre le silence,</l>
            <l n="318" xml:id="l318">L’Ambassadeur de Rome est plus prés qu’on ne pense,</l>
            <l n="319" xml:id="l319">Et dés aujourd’huy mesme on doit rendre éclaircy</l>
            <l n="320" xml:id="l320">Par un premier advis<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Advis</hi> : nouvelle.</note> ce qui l’amene icy.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="321" xml:id="l321">Ah, souffrez que pour moy tout le secret éclate,</l>
            <l n="322" xml:id="l322">Ce que vous m’apprenez me montre Ariarate,</l>
            <l n="323" xml:id="l323">Puisque sous un faux nom il nous abuse tous,</l>
            <l n="324" xml:id="l324">A vos rares vertus je le dois croire en vous,</l>
            <l n="325" xml:id="l325">Sur ma fidelité prenez toute asseurance.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="326" xml:id="l326">Ouy, Prince, il faut vous faire entiere confidence;</l>
            <l n="327" xml:id="l327" part="I">Fils d’une indigne Mere …</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l part="M">Ah, Seigneur !</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Ces respects<note place="bottom">Cette réplique révèle que Phradate s’est
                mis à genoux au v.325</note>,<pb n="15 B ij" xml:id="p15"/></l>
            <l n="328" xml:id="l328">Si l’on nous observoit, pourroient estre suspects,</l>
            <l n="329" xml:id="l329">Il est bon qu’aujourd’huy ce zele<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Ce zele</hi> : cette ardeur, cet empressement.</note> se surmonte,</l>
            <l n="330" xml:id="l330">Attendant le Romain traitez-moy comme Oronte,</l>
            <l n="331" xml:id="l331">Luy seul de mon secret a droit de disposer.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="332" xml:id="l332">Mais Quoy ? depuis deux ans Seigneur, vous déguiser ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="333" xml:id="l333">Rome a donné ce temps à ma juste priere</l>
            <l n="334" xml:id="l334">Pour me laisser fléchir la hayne de ma mere,</l>
            <l n="335" xml:id="l335">Et voir si je pourrois luy faire concevoir</l>
            <l n="336" xml:id="l336">Qu’en vain d’un Fils au Trône elle a craint le pouvoir.</l>
            <l n="337" xml:id="l337">Que bien loin qu’à ce rang l’ambition m’appelle,</l>
            <l n="338" xml:id="l338">Mesme en donnant des loix, je veux en prendre d’elle,</l>
            <l n="339" xml:id="l339">J’ay reüssi, ce semble, elle m’aime, ou du moins</l>
            <l n="340" xml:id="l340">Pour l’appuy de son Sceptre elle estime mes <ref
                target="#soins">soins*</ref>.</l>
            <l n="341" xml:id="l341">J’ay <ref target="#d-ailleurs">d’ailleurs*</ref> la <ref
                target="#douceur">douceur*</ref> d’avoir pû sans Couronne</l>
            <l n="342" xml:id="l342">Attacher Axiane à ma seule personne,</l>
            <l n="343" xml:id="l343">En voir mes <ref target="#voeux">vœux*</ref> receus sans qu’un
              feu si discret</l>
            <l n="344" xml:id="l344">Pour les faire agréer ait trahy mon secret.</l>
            <l n="345" xml:id="l345">J’aime à le taire exprés jusqu’à ce qu’elle apprenne</l>
            <l n="346" xml:id="l346">Qu’Ariarate vit, et vient la faire Reyne,</l>
            <l n="347" xml:id="l347">Et que j’aye éprouvé<note place="bottom"><hi rend="i">J’ai
                  éprouvé</hi> : j’ai appris par expèrience.</note> si dans ce doux appas<note
                place="bottom"><hi rend="i">Apas</hi> est ici à prendre au sens actuel
                d’appater.</note></l>
            <l n="348" xml:id="l348">Oronte abandonné ne la touchera pas.<note place="bottom">Il
                tait la vérité jusqu’au moment où il aura la preuve qu’Oronte seul éveille des
                sentiments en elle.</note></l>
            <l n="349" xml:id="l349" part="I">Ce sera lors…</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l part="F">Seigneur, j’apperçois Anaxandre.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="350" xml:id="l350">Laissez-moi penetrer ce qu’il ose prétendre,</l>
            <l n="351" xml:id="l351">Ses projets n’ont plus lieu d’alarmer vôtre amour.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène IV.</head>
          <stage>ARIARATE, ANAXANDRE.</stage>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="352" xml:id="l352">Phradate prend grand soin de<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Prend grand soin de</hi> : met beaucoup d’efforts à.</note> vous faire sa
                Cour<note place="bottom"><hi rend="i">Vous faire sa Cour</hi> : vous flatter par ses
                assiduités, témoigner son respect.</note>,<pb n="16" xml:id="p16"/></l>
            <l n="353" xml:id="l353">Et je ne doute point qu’il n’ait quelque avantage</l>
            <l n="354" xml:id="l354">Sur quiconque voudra briguer vôtre suffrage.</l>
            <l n="355" xml:id="l355">La secrete amitié qu’on remarque entre vous…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE</speaker>
            <l n="356" xml:id="l356" part="I">Seigneur, cette amitié…</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l part="F">Je n’en suis point jaloux,</l>
            <l n="357" xml:id="l357">Parlez-moy seulement avec pleine franchise.</l>
            <l n="358" xml:id="l358">Vous sçavez mon espoir, la place est-elle prise ?</l>
            <l n="359" xml:id="l359">Proposez-vous Phradate, en faites-vous un Roy ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="360" xml:id="l360">Je ne sçay si ce choix peut dépendre de moy,</l>
            <l n="361" xml:id="l361">Mais si l’espoir du Trône est un bien qui vous flate,</l>
            <l n="362" xml:id="l362">Soyez seur que jamais vous n’y verrez Phradate.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="363" xml:id="l363">Si vous me dites vray, je puis tout esperer.</l>
            <l n="364" xml:id="l364">Chacun en ma faveur aime à se declarer,</l>
            <l n="365" xml:id="l365">Et quoy qu’à mes Rivaux nous voyions entreprendre,</l>
            <l n="366" xml:id="l366">Si vous n’estes pour eux, ils n’ont rien à prétendre,</l>
            <l n="367" xml:id="l367">Mais comme c’est par vous que je veux estre Roy,</l>
            <l n="368" xml:id="l368">Le Trône, si j’y monte, est plus à vous qu’à moy,</l>
            <l n="369" xml:id="l369">Prenez-en ma parole, et pour plus d’asseurance<note
                place="bottom"><hi rend="i">Asseurance</hi> : Sureté.</note></l>
            <l n="370" xml:id="l370">J’y joins déja les noeuds d’une estroite alliance,</l>
            <l n="371" xml:id="l371" part="I">De l’Hymen de ma sœur...</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Ah, Seigneur, voyez-vous</l>
            <l n="372" xml:id="l372">Ce que le Ciel a mis de distance entre nous ?</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="373" xml:id="l373">Si d’un sang plus obscur le Ciel vous a fait naistre, <pb
                n="17 B iij" xml:id="p17"/></l>
            <l n="374" xml:id="l374">Ce n’est pas un defaut pour qui sçait vous connoistre,</l>
            <l n="375" xml:id="l375">L’éclat de cét Hymen n’est que le moindre prix…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="376" xml:id="l376">D’un tel excez d’honneur je me trouve surpris,</l>
            <l n="377" xml:id="l377">Comme vous en secret l’ambition me flate<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">me flate</hi> : me séduit.</note>,</l>
            <l n="378" xml:id="l378">Mais qu’opposerez-vous au Prince Ariarate ?</l>
            <l n="379" xml:id="l379">Il est vivant, dit-on, et vient de ses Ayeux…</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="380" xml:id="l380">Montons au Trône, Oronte, et laissons faire aux Dieux.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="381" xml:id="l381">Quoy ? vous refuseriez de rendre la Couronne ?</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="382" xml:id="l382">Nous en sçaurons les droits si l’hymen me la donne,</l>
            <l n="383" xml:id="l383">Et lors comme de tout le temps sçait decider,</l>
            <l n="384" xml:id="l384">Nous verrons s’il faudra la rendre, ou la garder.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="385" xml:id="l385">Du sang d’Ariarate on cherit la memoire,</l>
            <l n="386" xml:id="l386">Et pour luy contre vous je crains qu’on ne fist gloire…</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="387" xml:id="l387">Eust-il icy l’appuy d’un million de bras,</l>
            <l n="388" xml:id="l388">Avec le Sceptre en main je ne le craindrois pas.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="389" xml:id="l389">Mais s’il vous opposoit les plus Augustes marques</l>
            <l n="390" xml:id="l390">Que mit jamais le Ciel sur le front des Monarques,</l>
            <l n="391" xml:id="l391">Pourriez-vous sans remords sur son Trône usurpé…</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="392" xml:id="l392">Du foudre<note place="bottom"><hi rend="i">foudre</hi> :
                désigne au masculin le faisceau de dards de feu, en zigzags, qui était l’attribut de
                Jupiter.</note> sans remords je m’y verrois frapé.</l>
            <l n="393" xml:id="l393">Fust-il tout prest à cheoir, il est beau<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Il est beau</hi> : il est vain.</note> de l’attendre ;</l>
            <l n="394" xml:id="l394">Mais c’est perdre du temps et l’on peut nous entendre,</l>
            <l n="395" xml:id="l395">Allez trouver la Reyne, et recevez ma foy<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Foy</hi> : parole.</note></l>
            <l n="396" xml:id="l396">Que le Trône est à vous si son choix est pour moy.</l>
            <p rend="center">Fin du premier acte.</p>
          </sp>
        </div>
      </div>
      <div type="act">
        <head>ACTE II.</head>
        <div type="scene">
          <head>Scène première.</head>
          <stage>LAODICE, CLEONE.</stage>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="397" xml:id="l397">Madame, on est surpris que dés aujourd’huy mesme<pb n="18"
                xml:id="p18"/></l>
            <l n="398" xml:id="l398">Vous vueilliez partager la puissance supréme,</l>
            <l n="399" xml:id="l399">Et pour Arsinoé faire choix d’un Espoux</l>
            <l n="400" xml:id="l400">Avant que Rome ait pu conferer avec vous.</l>
            <l n="401" xml:id="l401">Aquilius ne vient que pour cét Hymenée.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="402" xml:id="l402">Et Cleone elle-mesme en peut estre estonnée,</l>
            <l n="403" xml:id="l403">Elle à qui ma conduite a deu trop enseigner</l>
            <l n="404" xml:id="l404">Qu’il n’est pour moy qu’un choix, ou perir, ou regner ?</l>
            <l n="405" xml:id="l405">En vain j’ay fait long-temps revivre Ariarate,</l>
            <l n="406" xml:id="l406">D’un peuple audacieux l’impatience éclate,</l>
            <l n="407" xml:id="l407">Et l’hymen de ma Fille offrant un doux espoir,</l>
            <l n="408" xml:id="l408">Nos Princes ont de Rome employé le pouvoir,</l>
            <l n="409" xml:id="l409">C’est par elle à choisir qu’ils ont crû me contraindre<note
                place="bottom">C’est par Rome (le pouvoir de Rome) qu’ils ont cru pouvoir me
                contraindre à faire un choix.</note>;</l>
            <l n="410" xml:id="l410">Mais je n’attendray pas ce que j’aurois à craindre,<note
                place="bottom">comprendre : mais je n’attendrai pas de voir arriver ce que je
                devrais craindre si…</note></l>
            <l n="411" xml:id="l411">Si par Aquilius l’un d’eux devenu Roy</l>
            <l n="412" xml:id="l412">Se pouvoit voir en droit de regner malgré moy.</l>
            <l n="413" xml:id="l413">Si je fais part<note place="bottom"><hi rend="i">Si je fais
                  part</hi> : si je partage.</note> du Trône, au moins je seray seure<pb n="19"
                xml:id="p19"/></l>
            <l n="414" xml:id="l414">En y placeant un Roy d’y voir ma Creature<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Ma Creature</hi> :ma chose, ma propre création, mon
              produit.</note>,</l>
            <l n="415" xml:id="l415">Et de rester toûjours pour qui veut m’asservir</l>
            <l n="416" xml:id="l416">Maistresse du pouvoir qu’on cherche à me ravir.</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="417" xml:id="l417">Ce Roy nommé par vous doit n’aimer qu’à vous plaire<note
                place="bottom">Si aujourd’hui cela n’est plus le cas, <hi rend="i">aimer</hi>
                pouvait se construire avec <hi rend="i">de</hi> ou <hi rend="i">à</hi> et
                l’infinitif au XVII<hi rend="sup">e</hi>.</note>,</l>
            <l n="418" xml:id="l418">Mais pour gagner la Fille, il oubliera la Mere,</l>
            <l n="419" xml:id="l419">Et quand Arsinoé l’aura pris pour Espoux,</l>
            <l n="420" xml:id="l420">Je doute qui pourra le plus d’elle ou de vous,</l>
            <l n="421" xml:id="l421">Il n’est rien qu’à l’amour le temps ne sacrifie.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="422" xml:id="l422">Et pouvant le prévoir tu crois que je m’y fie,</l>
            <l n="423" xml:id="l423">Et soufre qu’aujourd’huy par le don de sa main</l>
            <l n="424" xml:id="l424">Ma fille ait la <ref target="#douceur">douceur*</ref> de faire
              un Souverain ?</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="425" xml:id="l425">Pour qui donc cét Espoux qui doit monter au Trône ?</l>
            <l n="426" xml:id="l426" part="I">Vous promettez ce choix.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE</speaker>
            <l part="F">Pour qui ? pour moy, Cleone.</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="427" xml:id="l427">Pour vous, Madame ! Et Rome y voudra consentir ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="428" xml:id="l428">Quoy donc, à son orgueil il faut m’assujetir,</l>
            <l n="429" xml:id="l429">Et quand<note place="bottom"><hi rend="i">Quand</hi> : tandis
                que. Valeur temporelle à nuance concessive.</note> des droits du Trône on me doit
              voir instruite</l>
            <l n="430" xml:id="l430">Cette Reyne des Rois<note place="bottom"><hi rend="i">Cette
                  Reyne des Rois</hi> : Rome qui commande aux rois.</note> reglera ma conduite ?</l>
            <l n="431" xml:id="l431">Qu’elle en murmure ou non, je sçauray faire un Roy</l>
            <l n="432" xml:id="l432">Qui dédaignant ses loix n’en prenne que de moy,</l>
            <l n="433" xml:id="l433">Et content de l’éclat dont un si grand nom brille</l>
            <l n="434" xml:id="l434">Me sauve de l’affront d’obeïr à ma Fille.</l>
            <l n="435" xml:id="l435">Le pretexte est plausible, on croit mon Fils vivant,</l>
            <l n="436" xml:id="l436">Et sur<note place="bottom"><hi rend="i">Sur</hi> : en se
                fondant sur.</note> l’heureuse erreur de ce bruit decevant<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Decevant</hi> : trompeur, illusoire.</note></l>
            <l n="437" xml:id="l437">Je feindray<note place="bottom"><hi rend="i">Je feindray</hi>
                 : je dirai faussement .</note> que ma main ne<note place="bottom">Il s’agit d’un ne
                expletif. Le seuil de la négation est à peine franchi. Le sens de la phrase ne
                change pas si on le supprime.</note> donne au Peuple un maistre</l>
            <l n="438" xml:id="l438">Qu’attendant qu’en ces lieux ce Fils daigne paroistre,</l>
            <l n="439" xml:id="l439">Et vienne enfin de moy reprendre les Estats<pb n="20"
                xml:id="p20"/></l>
            <l n="440" xml:id="l440">Que l’Espoux de sa Sœur ne luy remettroit pas<note
                place="bottom">Le sens de ces vers est incompréhensible.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="441" xml:id="l441">Quoy qu’attende Phradate, ou qu’Anaxandre espere,</l>
            <l n="442" xml:id="l442">Je ne demande plus quel choix vous allez faire.</l>
            <l n="443" xml:id="l443">Tant d’honneurs sur Oronte à pleines mains versez</l>
            <l n="444" xml:id="l444">Sans vous l’oüir nommer me l’apprennent assez,</l>
            <l n="445" xml:id="l445">Son <ref target="#zele">zéle*</ref> exact<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">exact</hi> : fidèle, consciencieux.</note> et pur, sa valeur, sa
              prudence…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="446" xml:id="l446">Dy qu’il est Estranger, sans appuy de naissance,</l>
            <l n="447" xml:id="l447">Et que par Politique il me faut faire un Roy</l>
            <l n="448" xml:id="l448">Dont le sort au besoin dépende tout<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Tout</hi> : entièrement ; tout à fait. </note> de moy,</l>
            <l n="449" xml:id="l449">Que je puisse à mon choix conserver ou détruire,</l>
            <l n="450" xml:id="l450">Perdre<note place="bottom"><hi rend="i">Perdre</hi> : faire
                périr.</note> au moindre projet qu’il feroit pour me nuire,</l>
            <l n="451" xml:id="l451">Qui soit soumis, qui craigne, et reste sans secours</l>
            <l n="452" xml:id="l452">Si jamais il me plaist ordonner de<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Ordonner de</hi> : décider de.</note> ses jours :</l>
            <l n="453" xml:id="l453">Mais aprés cét orgueil<note place="bottom">Comprendre : la
                manifestation de cet orgueil.</note>, aprés ce que t’explique<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">T’explique</hi> : te révèle, te fait connaître.</note></l>
            <l n="454" xml:id="l454">De<note place="bottom"><hi rend="i"> De</hi> : sens latin. au
                sujet de.</note> mon ambition la <ref target="#fier">fiere*</ref><note
                place="bottom"><hi rend="i">Fiere</hi> : terrible, cruelle.</note> Politique<note
                place="bottom"><hi rend="i">Politique</hi> :méthode, calcul intéressé.</note>,</l>
            <l n="455" xml:id="l455">T’oseray-je, à ma honte, advoüer<note place="bottom">Nous
                dirions : « oserais-je t’avouer ».</note> que l’Amour</l>
            <l n="456" xml:id="l456">Dispose<note place="bottom"><hi rend="i">dispose</hi> :
                règle.</note> presque seul du choix de ce grand jour ?</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="457" xml:id="l457" part="I">Vous, de l’amour, Madame ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Estonne-t’en, Cléone,</l>
            <l n="458" xml:id="l458">Toy qui sçais que jamais je n’aimay que le Trône,</l>
            <l n="459" xml:id="l459">Et qu’une insatiable et vaste ambition</l>
            <l n="460" xml:id="l460">Me faisoit dédaigner toute autre passion.</l>
            <l n="461" xml:id="l461">Pour en remplir l’ardeur, je traitay de foiblesse</l>
            <l n="462" xml:id="l462">Ce que peut la <ref target="#nature">Nature*</ref> inspirer de
              tendresse,</l>
            <l n="463" xml:id="l463">Et quoy qu’elle en gemist, dans la mort de cinq Fils</l>
            <l n="464" xml:id="l464">Le charme<note place="bottom"><hi rend="i"> charme</hi> :
                enchantement qui tient du sortilège.</note> de regner fut tout ce que je vis.</l>
            <l n="465" xml:id="l465">Le sixiéme qu’à Rome on gardoit en ostage</l>
            <l n="466" xml:id="l466">A mes jaloux desirs faisoit encor ombrage.</l>
            <l n="467" xml:id="l467">De peur qu’un jour du Trône il osast me priver, <pb n="21"
                xml:id="p21"/></l>
            <l n="468" xml:id="l468">Sans pitié, sans remords, je le fis enlever,</l>
            <l n="469" xml:id="l469">Et voulus que sa mort parust estre incertaine</l>
            <l n="470" xml:id="l470">Pour suspendre les droits qui font ma Fille Reyne,</l>
            <l n="471" xml:id="l471">Et contre son Hymen me laisser tout permis</l>
            <l n="472" xml:id="l472">Sous couleur de garder la Couronne à ce Fils.</l>
            <l n="473" xml:id="l473">Dans les brûlants transports dont l’inquiete<note
                place="bottom"><hi rend="i">inquiete</hi> : agitée, remuante, fiévreuse.
                Contrairement à aujourd’hui, l’adjectif se rapproche davantage du sens originel
                latin de ce qui va à l’encontre du repos, de la quiétude.</note> flame</l>
            <l n="474" xml:id="l474">Vers le Trône toûjours pousse toute mon ame,</l>
            <l n="475" xml:id="l475">J’ay peine à concevoir par quel abaissement</l>
            <l n="476" xml:id="l476">Dans un Roy que je fais j’aime à voir un Amant,</l>
            <l n="477" xml:id="l477">J’y trouve de la honte, et ma fierté s’en fâche,</l>
            <l n="478" xml:id="l478">Je me traite en secret et de foible et de lâche,</l>
            <l n="479" xml:id="l479">Et cependant mon cœur ne se peut arracher</l>
            <l n="480" xml:id="l480">Aux flateuses douceurs<note place="bottom"><hi rend="i">Aux
                  flatteuses douceurs</hi> : aux plaisirs illusoires.</note> qui l’ont trop sceu
                toucher<note place="bottom"><hi rend="i">Toucher</hi> : lui inspirer de
                l’amour.</note>,</l>
            <l n="481" xml:id="l481">Je voy sans cesse Oronte actif, ardent, fidelle,</l>
            <l n="482" xml:id="l482">Par cent <ref target="#soins">soins*</ref><note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Soins</hi> : attentions.</note> empressez me signaler son <ref
                target="#zele">zéle*</ref>,</l>
            <l n="483" xml:id="l483">Au seul bien de me plaire attacher tous ses vœux,</l>
            <l n="484" xml:id="l484">Se soûmettre en aveugle à tout ce que je veux,</l>
            <l n="485" xml:id="l485">Je m’en sens attendrie, et par sa déference</l>
            <l n="486" xml:id="l486">De mon coeur avec luy telle est l’intelligence<note
                place="bottom"><hi rend="i">Intelligence</hi> : accord, entente.</note>,</l>
            <l n="487" xml:id="l487">Que je me défierois de moy-mesme aujourd’huy</l>
            <l n="488" xml:id="l488">S’il me falloit choisir entre le Trône et luy.</l>
            <l n="489" xml:id="l489">Ce sentiment est lâche, indigne, bas, infame,</l>
            <l n="490" xml:id="l490">Je m’en hay, mais j’ay beau le bannir de mon ame,</l>
            <l n="491" xml:id="l491">Il semble que des Dieux la dure volonté</l>
            <l n="492" xml:id="l492">M’en ait fait pour ma honte une necessité,</l>
            <l n="493" xml:id="l493">Que l’amour qui m’embrase indigne d’une Reyne</l>
            <l n="494" xml:id="l494">Soit de mon trop d’orgueil l’inévitable peine,</l>
            <l n="495" xml:id="l495">Et qu’exprés leur couroux ait voulu m’enflamer</l>
            <l n="496" xml:id="l496">A l’âge où quoy qu’on puisse on doit rougir d’aimer.</l>
            <l n="497" xml:id="l497">Des pretextes d’Estat en couvriront la honte,</l>
            <l n="498" xml:id="l498">Je sçauray la cacher aux yeux mesme d’Oronte,</l>
            <l n="499" xml:id="l499">Mais il faut qu’avec toy je soulage mon cœur</l>
            <l n="500" xml:id="l500">Du poids trop accablant d’une si vive ardeur;</l>
            <l n="501" xml:id="l501">Que toute ma fierté t’ayant esté connuë<pb n="22" xml:id="p22"
              /></l>
            <l n="502" xml:id="l502">Tu m’aides à chercher ce qu’elle est devenuë,</l>
            <l n="503" xml:id="l503" part="I">Et me plaignes du moins…</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l part="M">Madame.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE</speaker>
            <l part="F">Escoute-moy,</l>
            <l n="504" xml:id="l504">Et voy si je répons à ce que je me doy.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène II.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="505" xml:id="l505">Il faut faire un grand choix, Oronte, et mon adresse</l>
            <l n="506" xml:id="l506">A rompre pour ma Fille un hymen que l’on presse,</l>
            <l n="507" xml:id="l507">Ne sçait plus qu’opposer aux superbes<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Superbes</hi> : orgueilleux.</note> projets</l>
            <l n="508" xml:id="l508">Que forment contre moy des Princes mes Sujets.</l>
            <l n="509" xml:id="l509">L’espoir de la Couronne à la naissance acquise</l>
            <l n="510" xml:id="l510">D’un succez éclatant flate leur entreprise<note place="bottom"
                >C’est à dire : caresse leur entreprise d’un espoir de succès</note>,</l>
            <l n="511" xml:id="l511">Et tous pouvant prétendre à l’honneur de mon choix,</l>
            <l n="512" xml:id="l512">Tous de Rome en secret ont fait briguer la voix,</l>
            <l n="513" xml:id="l513">Aquilius entr’eux vient resoudre<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Resoudre</hi> : décider.</note> d’un Maistre,</l>
            <l n="514" xml:id="l514">Et l’on voit quelle honte<note place="bottom">Construction
                latine. Le verbe <hi rend="i">être</hi> est sous entendu dans la srtucture profonde
                de la complétive comme souvent pour les infinitives latines.</note> au rang où j’ai
              sceu naistre</l>
            <l n="515" xml:id="l515">Si pour moy dans ce choix qu’exprés je veux haster</l>
            <l n="516" xml:id="l516">Les ordres du Senat estoient à respecter.</l>
            <l n="517" xml:id="l517">Mais quoy qu’il ne soit pas indigne d’une Reyne</l>
            <l n="518" xml:id="l518">De refuser le joug de la grandeur Romaine,</l>
            <l n="519" xml:id="l519">Les Dieux me sont témoins qu’un interest<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Un interest</hi> : une question qui me touche intimement.</note>
              plus cher</l>
            <l n="520" xml:id="l520">Fait naistre icy l’orgueil qu’on me peut reprocher,</l>
            <l n="521" xml:id="l521">Et que dans cét orgueil à mon rang necessaire<pb n="23"
                xml:id="p23"/></l>
            <l n="522" xml:id="l522">Tout ce que je regarde<note place="bottom"><hi rend="i">Tout ce
                  que je regarde</hi> : tout ce dont je me préoccupe.</note> est un devoir de
              mere</l>
            <l n="523" xml:id="l523">Qui toujoûrs pour mon Fils m’engage à conserver</l>
            <l n="524" xml:id="l524">Un sceptre dont je vois qu’on cherche à le priver.</l>
            <l n="525" xml:id="l525">C’est ce que je veux faire avec cette tendresse<note
                place="bottom"><hi rend="i">Tendresse</hi> : inclination, tendance.</note></l>
            <l n="526" xml:id="l526">Que demande le sang, que la Nature presse,</l>
            <l n="527" xml:id="l527">Et comme de son Trône on voit en vous l’appuy</l>
            <l n="528" xml:id="l528">C’est de vous jusqu’au bout que j’attens<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Que j’attends</hi> : que je retarde.</note> tout pour luy.</l>
            <l n="529" xml:id="l529">Il est vivant sans doute, et le Ciel qui m’inspire</l>
            <l n="530" xml:id="l530">Me promet la <ref target="#douceur">douceur*</ref> de luy
              rendre l’Empire,</l>
            <l n="531" xml:id="l531">Si toûjours d’un vray <ref target="#zele">zéle*</ref> Oronte
                prévenu<note place="bottom"><hi rend="i">Prévenu</hi> : habité.</note></l>
            <l n="532" xml:id="l532">Veut demeurer pour moy ce que<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Ce que</hi> : ainsi que , comme. Cette construction est aujourd’hui inusitée. La
                proposition n’aurait plus même nature : il ne s’agirait plus d’une relative mais
                d’une circonstancielle comparative.</note> je l’ay connu.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE</speaker>
            <l n="533" xml:id="l533">Madame, pardonnez si mon chagrin s’exprime</l>
            <l n="534" xml:id="l534">Quand je vous voy douter du <ref target="#zele">zéle*</ref> qui
              m’anime.</l>
            <l n="535" xml:id="l535">Mes plus doux vœux sans doute auront esté remplis<note
                place="bottom"><hi rend="i">Remplis</hi> : satisfaits.</note></l>
            <l n="536" xml:id="l536">Si je puis voir régner le Prince vostre Fils.</l>
            <l n="537" xml:id="l537">Mais pour vos interests tel est ce zéle extréme</l>
            <l n="538" xml:id="l538">Que malgré le respect qu’on doit au Diadême,</l>
            <l n="539" xml:id="l539">Si ce Fils sur le Trône oubliant son devoir</l>
            <l n="540" xml:id="l540">Abusoit contre vous du souverain pouvoir,</l>
            <l n="541" xml:id="l541">S’il ne vous laissoit pas tous les droits que vous donne</l>
            <l n="542" xml:id="l542">Le privilege heureux de porter la Couronne,</l>
            <l n="543" xml:id="l543">Il me verroit moy-mesme armé pour le chasser</l>
            <l n="544" xml:id="l544">De ce Trône où vous seule auriez sceu le placer.</l>
            <l n="545" xml:id="l545">Jugez aprés cela si je veux toûjours estre</l>
            <l n="546" xml:id="l546">Ce que jusques icy vous m’avez sceu connoistre<note
                place="bottom">Tel que jusqu’ici vous avez appris à me connaître.</note>,</l>
            <l n="547" xml:id="l547">Et si j’ay merité que peu seure de moy</l>
            <l n="548" xml:id="l548">A de nouveaux serments vous obligiez<note place="bottom">que
                vous <hi rend="i">obligiez</hi> : que vous excitiez, que vous attiriez.</note> ma
                <ref target="#foy">foy*</ref>.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="549" xml:id="l549">Je n’attendois pas moins de ce noble courage</l>
            <l n="550" xml:id="l550">Qu’à soustenir l’Estat mon interest engage,</l>
            <l n="551" xml:id="l551">Aussi quand il me faut sur des droits incertains</l>
            <l n="552" xml:id="l552">Mettre en dépost le Trône en de fidelles mains,</l>
            <l n="553" xml:id="l553">Voyant combien d’orgueil nos Princes font paroistre, <pb n="24"
                xml:id="p24"/></l>
            <l n="554" xml:id="l554">Je crains tout si par moy l’un d’eux en devient maistre,</l>
            <l n="555" xml:id="l555">Et dans l’ambition qui les aveuglent tous</l>
            <l n="556" xml:id="l556">Je n’ose pour ce choix m’asseurer que sur vous<note
                place="bottom">Comprendre : ne me fier qu’à vous, ne me reposer que sur
              vous.</note>,</l>
            <l n="557" xml:id="l557">Ce n’est pas que ma Fille à mes ordres défere</l>
            <l n="558" xml:id="l558">Jusqu’à vouloir en sœur ce que je cherche en mere,</l>
            <l n="559" xml:id="l559">De l’éclat de son sang la jalouse fierté,</l>
            <l n="560" xml:id="l560">Contre moy, contre vous, tient son cœur revolté,</l>
            <l n="561" xml:id="l561">Vôtre hymen luy fait honte, et dés que je la presse<note
                place="bottom"><hi rend="i">Je la presse</hi> : je tente de la
              contraindre.</note>…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="562" xml:id="l562">Vouloir jusques à moy qu’Arsinoé s’abaisse !</l>
            <l n="563" xml:id="l563">Non, non, quelques dédains qu’elle fasse éclater</l>
            <l n="564" xml:id="l564">Mon sort trop inégal me les fait meriter,</l>
            <l n="565" xml:id="l565">Elle se rend justice, et si la faisant Reyne</l>
            <l n="566" xml:id="l566">Par l’interest<note place="bottom"><hi rend="i">Par
                  l’interest</hi> : à cause de ce qui concerne.</note> d’un Fils sa grandeur vous
              fait peine<note place="bottom"><hi rend="i">Vous fait peine</hi> : vous
                chagrine.</note>,</l>
            <l n="567" xml:id="l567">Il est d’autres moyens de ne point hazarder</l>
            <l n="568" xml:id="l568">Le Trône qu’à ce Fils il vous plaist de garder.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="569" xml:id="l569">Il en est, et j’en sçay sans que je la contraigne,</l>
            <l n="570" xml:id="l570">Qui sçauront empescher qu’un jour je ne la craigne,</l>
            <l n="571" xml:id="l571">Et vous affranchiront de la necessité</l>
            <l n="572" xml:id="l572">D’estre jamais en bute à son trop de fierté.</l>
            <l n="573" xml:id="l573">Vous sçavez quel éclat<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Eclat</hi> : bruit.</note> les Princes ont fait naistre,</l>
            <l n="574" xml:id="l574">Le Peuple agit par eux, il me demande un Maistre,</l>
            <l n="575" xml:id="l575">Et le Peuple obtiendra ce qu’il attend de moy,</l>
            <l n="576" xml:id="l576">Si ma main vous acquiert la qualité de Roy.</l>
            <l n="577" xml:id="l577">Ce dessein vous surprend, et quinze ans de veufvage,</l>
            <l n="578" xml:id="l578">M’éloignant des soupçons d’un second mariage,</l>
            <l n="579" xml:id="l579">Il paroistra nouveau qu’au rang où je me vois<note
                place="bottom"><hi rend="i">Où je me vois</hi> : où je me trouve.</note></l>
            <l n="580" xml:id="l580">D’un Epoux tout à coup une Reyne ait fait choix,</l>
            <l n="581" xml:id="l581">Mais fust-ce en démentir l’orgueilleux caractere</l>
            <l n="582" xml:id="l582">Ma principale gloire<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Gloire</hi> : mérite.</note> est d’estre bonne mere,</l>
            <l n="583" xml:id="l583">Et j’en croiray l’éclat au plus haut point monté</l>
            <l n="584" xml:id="l584">Si je mets pour mon Fils le Trône en seureté.</l>
            <l n="585" xml:id="l585">Comme de toutes parts l’ambition menace, <pb n="25 C"
                xml:id="p25"/></l>
            <l n="586" xml:id="l586">C’est l’assurer pour luy que vous y donner place,</l>
            <l n="587" xml:id="l587">Et luy choisir en vous sous ce grand nom de Roy</l>
            <l n="588" xml:id="l588">Un Tuteur qui pour luy va s’unir avec moy,</l>
            <l n="589" xml:id="l589">Qui plein du mesme esprit qui me pousse et m’inspire</l>
            <l n="590" xml:id="l590">Aura le mesme zele<note place="bottom"><hi rend="i">Zele</hi> :
                ardeur. </note> à gouverner l’Empire,</l>
            <l n="591" xml:id="l591">Et sera comme moy toûjours prest à ceder</l>
            <l n="592" xml:id="l592">Ce que sans doute un autre essayeroit de garder.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="593" xml:id="l593">Ah, pour tant de bontez c’est trop peu qu’une vie</l>
            <l n="594" xml:id="l594">Qu’aujourd’huy de nouveau ma <ref target="#foy">foy*</ref> vous
              sacrifie,</l>
            <l n="595" xml:id="l595">Et tout mon sang pour vous répandu mille fois</l>
            <l n="596" xml:id="l596">Ne pourroit m’acquitter de ce que je vous dois.</l>
            <l n="597" xml:id="l597">Aprés m’avoir déja par un effort d’estime</l>
            <l n="598" xml:id="l598">Eslevé dans un rang glorieux et sublime,</l>
            <l n="599" xml:id="l599">Quoy qu’oppose le Peuple ou pense le Senat,</l>
            <l n="600" xml:id="l600">Du Trône à mon destin vouloir joindre l’éclat,</l>
            <l n="601" xml:id="l601">Et par tout ce qu’aux Roys il donne d’avantage,</l>
            <l n="602" xml:id="l602">Dans vôtre Creature achevez vôtre ouvrage.</l>
            <l n="603" xml:id="l603">Madame, s’il se peut, penetrez dans mon cœur</l>
            <l n="604" xml:id="l604">Ce qu’un <ref target="#zele">zele*</ref> soûmis y renferme
              d’ardeur.</l>
            <l n="605" xml:id="l605">Voyez-y ce qu’il faut enfin que vous explique<note
                place="bottom"><hi rend="i">vous explique</hi> : vous découvre.</note>…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="606" xml:id="l606">Le mien prend quelque part à cette Politique,</l>
            <l n="607" xml:id="l607">Et j’aime les raisons qui semblent me forcer</l>
            <l n="608" xml:id="l608">A l’Hymen où pour vous je me veux abaisser.</l>
            <l n="609" xml:id="l609">Le Peuple qui par vous depuis long-temps respire</l>
            <l n="610" xml:id="l610">Vous verra sans regret possesseur de l’Empire,</l>
            <l n="611" xml:id="l611">Et si Rome s’en plaint, il luy sera permis</l>
            <l n="612" xml:id="l612">D’attaquer un Heros protecteur de mon Fils.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker> ARIARATE.</speaker>
            <l n="613" xml:id="l613">Ah, puisque de ce Fils l’interest seul vous presse<note
                place="bottom">C’est à dire : puisque le parti de votre fils est le seul qui vous
                passionne.</note></l>
            <l n="614" xml:id="l614">De ne pas confier le Trône à la Princesse,</l>
            <l n="615" xml:id="l615" part="I">Il ne faut plus cacher…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Ouy, ce seroit en vain<pb n="26" xml:id="p26"/></l>
            <l n="616" xml:id="l616">Que je voudrois encor déguiser mon dessein,</l>
            <l n="617" xml:id="l617">Comme il est resolu je consents qu’il éclate.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scéne III.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE, ANAXANDRE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE <hi rend="i">à Anaxandre.</hi></speaker>
            <l n="618" xml:id="l618">Prince, j’entens toûjours parler d’Ariarate,</l>
            <l n="619" xml:id="l619">On dit qu’il va paroistre, et ce bruit est trop fort<note
                place="bottom"><hi rend="i">Fort</hi> : important, considérable.</note></l>
            <l n="620" xml:id="l620">Pour me croire permis de régler vostre sort<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Votre sort</hi> : votre situation.</note>.</l>
            <l n="621" xml:id="l621">Entre de grands Rivaux qu’un doux espoir engage</l>
            <l n="622" xml:id="l622">A soûmettre à ma Fille un noble et pur hommage,</l>
            <l n="623" xml:id="l623">Ce Fils que les Destins vous reservent pour Roy</l>
            <l n="624" xml:id="l624">Le Diadême au front choisira mieux que moy.</l>
            <l n="625" xml:id="l625">Le Peuple cependant chaque jour fait connoistre<note
                place="bottom"><hi rend="i">connoistre</hi> : savoir.</note></l>
            <l n="626" xml:id="l626">Qu’attendant qu’il se montre il veut un second maistre</l>
            <l n="627" xml:id="l627">Qui commande, execute, et puisse avec éclat</l>
            <l n="628" xml:id="l628">M’ayder à soûtenir le grand poids de l’Estat.</l>
            <l n="629" xml:id="l629">Aux dépens de ma main il faut le satisfaire,</l>
            <l n="630" xml:id="l630">Et je croy que mon choix aura droit<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Aura droit</hi> : aura raison.</note> de luy plaire</l>
            <l n="631" xml:id="l631">Quand il sçaura qu’Oronte élevé jusqu’à moy…</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="632" xml:id="l632">Quoy, c’est par vostre hymen que nous aurons un Roy,</l>
            <l n="633" xml:id="l633">Madame, et sur un bruit qu’exprés on a fait naistre,</l>
            <l n="634" xml:id="l634">Il nous faut recevoir un Inconnu pour maistre ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE</speaker>
            <l n="635" xml:id="l635">Prince, n’abusez point d’un excez de bonté</l>
            <l n="636" xml:id="l636">Qui m’oblige à soufrir<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Souffrir</hi> : supporter.</note> vostre témerité<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Votre témerité</hi> : votre insolence.</note>,</l>
            <l n="637" xml:id="l637">Je sçay ce que je dois à<note place="bottom"><hi rend="i">Ce
                  que je dois</hi> : quelles obligations j’ai envers.</note> l’Estat, à ma
                gloire<note place="bottom"><hi rend="i">A ma gloire</hi> : à mon amour
                propre.</note>.<pb n="27 C ij" xml:id="p27"/></l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="638" xml:id="l638">Oronte ! Et le Senat voudra-t’il vous en croire<note
                place="bottom"><hi rend="i">Vous en croire</hi> : suivre votre
              impulsion.</note>,</l>
            <l n="639" xml:id="l639">Luy qui pour vos Sujets dont il soûtient les vœux,</l>
            <l n="640" xml:id="l640">Demande un digne Maistre, et non pas un heureux<note
                place="bottom"><hi rend="i">Un heureux</hi> : un chanceux.</note> ?</l>
            <l n="641" xml:id="l641">Soufrira-t’il qu’un Trône où depuis tant d’années</l>
            <l n="642" xml:id="l642">La naissance est l’appuy<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >L’appuy</hi> : le soutien.</note> des testes couronnées,</l>
            <l n="643" xml:id="l643" part="I">Où la splendeur du sang…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F"> C’est trop, n’achevez pas,</l>
            <l n="644" xml:id="l644">Oronte est inconnu, son sang peut estre bas,</l>
            <l n="645" xml:id="l645">Je le sçay comme vous, mais quoy qu’il en puisse estre,</l>
            <l n="646" xml:id="l646">Malgré vous, malgré Rome il sera vostre Maistre,</l>
            <l n="647" xml:id="l647">Et si quelque insolent murmure de<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Murmure</hi> : proteste secrètement contre.</note> mon choix,</l>
            <l n="648" xml:id="l648">Je suis Reyne, et le Sceptre est la foudre des Rois.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène IV.</head>
          <stage>ARIARATE, ANAXANDRE.</stage>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="649" xml:id="l649">Dans l’espoir dont je voy que la Reyne vous flate<note
                place="bottom"><hi rend="i">Vous flate</hi> : vous entretient.</note></l>
            <l n="650" xml:id="l650">Vous pouviez estre seur du destin de Phradate,</l>
            <l n="651" xml:id="l651">Et m’oster tout sujet de rien craindre de luy</l>
            <l n="652" xml:id="l652">Quand j’ay crû pour régner qu’il auroit vostre appuy.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="653" xml:id="l653">L’honneur qu’elle me fait passe<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Passe</hi> : dépasse, va au delà de.</note> le sort d’Oronte,</l>
            <l n="654" xml:id="l654">Il va jusqu’à l’excez, mais j’en rendray bon compte,</l>
            <l n="655" xml:id="l655">Ses desseins par ce choix ne seront point trahis.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="656" xml:id="l656">Ainsy vous garderez la Couronne à son Fils ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="657" xml:id="l657">J’y feray mes efforts, et peut-estre en ma place<pb n="28"
                xml:id="p28"/></l>
            <l n="658" xml:id="l658">Quelque autre la rendroit de plus mauvaise grace,</l>
            <l n="659" xml:id="l659">Mais enfin comme en tout j’aime à garder ma foy<note
                place="bottom"><hi rend="i">Foy</hi> : loyauté.</note>,</l>
            <l n="660" xml:id="l660">Qu’on montre Ariarate, Oronte n’est plus Roy.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="661" xml:id="l661">Vous pensez déja l’estre, et devorant dans l’ame</l>
            <l n="662" xml:id="l662">Les restes prétieux du régne d’une femme,</l>
            <l n="663" xml:id="l663">Vous consentez sans peine au genereux effort</l>
            <l n="664" xml:id="l664">De rétablir ce Fils dont vous sçavez la mort.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="665" xml:id="l665">Si le ciel pour regner de quelques droits me flate<note
                place="bottom"><hi rend="i">me flate</hi> : m’entretient dans l’espérance trompeuse
                de.</note>,</l>
            <l n="666" xml:id="l666">Je n’entreprendray<note place="bottom"><hi rend="i">je
                  n’entreprendray pas sur</hi> : je n’empiéterai pas sur.</note> point sur ceux
              d’Ariarate,</l>
            <l n="667" xml:id="l667">Le temps éclaircira<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Eclaircira</hi> : nous informera.</note> s’il est vivant ou non.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="668" xml:id="l668">C’est ainsy qu’un Heros doit se faire un grand nom,</l>
            <l n="669" xml:id="l669">Aussy bien de quelque œil que le Senat vous voye</l>
            <l n="670" xml:id="l670">Vostre Hymen <ref target="#prevenir">préviendra*</ref> les
              ordres qu’il envoye,</l>
            <l n="671" xml:id="l671">Et je le croy trop juste, après de si beaux nœuds,</l>
            <l n="672" xml:id="l672">Pour ne pas consentir à vous laisser heureux,</l>
            <l n="673" xml:id="l673">Sans trouble de sa part votre gloire est certaine.</l>
            <l n="674" xml:id="l674">Mais enfin vous serez le mary de la Reyne</l>
            <l n="675" xml:id="l675">Tandis qu’à l’un de nous daignant donner sa foy<note
                place="bottom"><hi rend="i">Sa foy</hi> : sa main.</note></l>
            <l n="676" xml:id="l676">Sa Fille Arsinoé sçaura choisir un Roy.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="677" xml:id="l677">Je sçay combien pour vous son Hymen a de <ref target="#charmer"
                >charmes*</ref>,</l>
            <l n="678" xml:id="l678">Il vous promet beaucoup, mais j’en prens peu d’alarmes<note
                place="bottom">J<hi rend="i">’en prends peu d’alarmes</hi> : je m’alarme
              peu.</note>,</l>
            <l n="679" xml:id="l679">Et vous plains si du Trône y croyant voir les droits,</l>
            <l n="680" xml:id="l680">Vous n’avez rien pour vous de plus fort que son choix<note
                place="bottom">C’est à dire : je vous plains si le choix du Trône est ce qui importe
                avant tout à vos yeux.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="681" xml:id="l681">Quoy, déjà Souverain jusqu’à disposer d’elle ?</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène V.</head>
          <stage>ARIARATE, ANAXANDRE, THEODOT.</stage>
          <sp who="theodot">
            <speaker> THEODOT.</speaker>
            <l n="682" xml:id="l682">Ah, Seigneur, sçavez-vous une grande nouvelle ? <pb
                n="29 C iij" xml:id="p29"/></l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="683" xml:id="l683" part="I">Dy viste.</l>
          </sp>
          <sp who="theodot">
            <speaker>THEODOT.</speaker>
            <l part="F">Aquilius est tout prest d’arriver.</l>
            <l n="684" xml:id="l684">A trois milles d’icy chacun le va trouver,</l>
            <l n="685" xml:id="l685">Et le Peuple montrant sa joye et sa surprise…</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="686" xml:id="l686">Vous croyez-vous encor Arsinoé soumise,</l>
            <l n="687" xml:id="l687">Seigneur, et le Senat sera-t’il sans pouvoir ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="688" xml:id="l688">Aquilius arrive, il faut le recevoir.</l>
          </sp>
          <sp who="theodot">
            <speaker>THEODOT.</speaker>
            <l n="689" xml:id="l689">Ce n’est pas pour luy seul que tant de joye éclate,</l>
            <l n="690" xml:id="l690">Il vient accompagné du Prince Ariarate,</l>
            <l n="691" xml:id="l691" part="I">Il l’amene avec luy.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l part="F">Quoy ? ce Prince est vivant ?</l>
          </sp>
          <sp who="theodot">
            <speaker>THEODOT.</speaker>
            <l n="692" xml:id="l692">On ne prend plus ce bruit pour un bruit decevant<note
                place="bottom"><hi rend="i">Décevant</hi> : trompeur, illusoire.</note>,</l>
            <l n="693" xml:id="l693">On l’approche, on luy parle, et luy-mesme il ordonne…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="694" xml:id="l694">C’est par luy seul<note place="bottom"><hi rend="i">C’est par
                  lui seul</hi> : c’est grâce à lui seul.</note> enfin qu’Arsinoé se donne,</l>
            <l n="695" xml:id="l695" part="I">Obtenez-la, Seigneur.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l part="F">Et c’est aussy par luy <pb n="30" xml:id="p30"/></l>
            <l n="696" xml:id="l696">Qu’on voit un temeraire estre enfin sans appuy.</l>
            <l n="697" xml:id="l697">Allez remplir<note place="bottom"><hi rend="i">Remplir</hi> :
                occuper.</note> ce Trône où vous attend la Reyne.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="698" xml:id="l698">Je ne sçay qui de nous s’en met le plus en peine<note
                place="bottom"><hi rend="i">Qui de nous s’en met le plus en peine</hi> : qui de nous
                en est le plus chagriné</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="699" xml:id="l699">Avant que vous connoistre<note place="bottom"><hi rend="i">vous
                  connoistre</hi> : vous savoir.</note> un amy lâche et feint</l>
            <l n="700" xml:id="l700">De quelque ambition j’avois le cœur atteint,</l>
            <l n="701" xml:id="l701">Du Prince avec chagrin j’eusse receu<note place="bottom"><hi
                  rend="i">J’eusse receu</hi> : j’eusse accepté.</note> l’obstacle,</l>
            <l n="702" xml:id="l702">Mais vostre orgueil puny m’est un si doux spectacle,</l>
            <l n="703" xml:id="l703">Il m’asseure un plaisir si charmant à gouster</l>
            <l n="704" xml:id="l704">Que qui peut en joüir n’a rien à regreter.</l>
            <l n="705" xml:id="l705">Flatez-vous<note place="bottom"><hi rend="i">Flatez-vous</hi> :
                imaginez jouir.</note> des douceurs que promet la Couronne,</l>
            <l n="706" xml:id="l706">Vostre sort sera beau, quoy que le Ciel ordonne,</l>
            <l n="707" xml:id="l707">Et du moins un moment, Phradate que je voy</l>
            <l n="708" xml:id="l708">Peut adorer en vous le Fantosme d’un Roy.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène VI.</head>
          <stage>ARIARATE, PHRADATE.</stage>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="709" xml:id="l709">Seigneur, d’où naist ce bruit qui tout à coup éclate,</l>
            <l n="710" xml:id="l710">Aquilius, dit-on, amene Ariarate,</l>
            <l n="711" xml:id="l711" part="I">Il se montre, on le voit.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">N’en soyez point surpris,</l>
            <l n="712" xml:id="l712">Par un advis secret j’aye déja tout appris.</l>
            <l n="713" xml:id="l713">Un Imposteur qu’anime<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Qu’anime</hi> : que pousse.</note> une coupable audace</l>
            <l n="714" xml:id="l714">De ma premiere enfance ayant sceu la <ref target="#disgrace"
                >disgrace*</ref>,</l>
            <l n="715" xml:id="l715">Et n’oyant<note place="bottom"><hi rend="i">N’oyant</hi> :
                n’entendant.</note> plus parler de mon enlevement</l>
            <l n="716" xml:id="l716">A pris enfin mon nom, et l’a pris hautement<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Hautement</hi> : orgueilleusement.</note>.</l>
            <l n="717" xml:id="l717">Comme Fils du feu Roy que de longues miseres<note
                place="bottom"><hi rend="i">Miseres</hi> :malheurs.</note><pb n="31" xml:id="p31"
              /></l>
            <l n="718" xml:id="l718">Firent vivre incertain du vray rang de ses peres,</l>
            <l n="719" xml:id="l719">Pour trouver les moyens d’en terminer le cours,</l>
            <l n="720" xml:id="l720">Il est venu de Rome implorer le secours.</l>
            <l n="721" xml:id="l721">Rome qui de mon sort eut toûjours connoissance</l>
            <l n="722" xml:id="l722">A feint de s’abuser sur sa fausse naissance,</l>
            <l n="723" xml:id="l723">Et ne l’envoye icy qu’afin de l’y punir</l>
            <l n="724" xml:id="l724">Du mensonge insolent<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Insolent</hi> : téméraire.</note> qu’il ose soûtenir.</l>
            <l n="725" xml:id="l725">J’en tire au moins ce fruit, que s’il est quelque traistre,</l>
            <l n="726" xml:id="l726">Aux perils de ce Fourbe<note place="bottom">C’est à dire : au
                risque de perdre ce Fourbe. Nous dirions aujourd’hui <hi rend="i">au
                peril</hi>.</note> il se fera connoistre,</l>
            <l n="727" xml:id="l727">Quoy qu’après les bontez que ma Mere a pour moy</l>
            <l n="728" xml:id="l728">Mes secrets Ennemis me causent peu d’effroy.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="729" xml:id="l729" part="I">Vous la croyez vaincuë ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Ouy, la <ref target="#nature">Nature*</ref><note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Nature</hi> : Cf.v. 462.</note> est forte,</l>
            <l n="730" xml:id="l730">Et telle est pour son Fils la chaleur qui l’emporte</l>
            <l n="731" xml:id="l731">Que de peur que du Sceptre on n’osast abuser</l>
            <l n="732" xml:id="l732">Elle se contraignoit à vouloir m’épouser<note place="bottom"
                >C’est donc ce qu’il a cru. Explique son silence pendant la scène.</note>.</l>
            <l n="733" xml:id="l733">Jugez me connoissant ce que j’en dois attendre.</l>
            <l n="734" xml:id="l734">Cependant ayez soin d’observer<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >D’observer</hi> : de surveiller.</note> Anaxandre,</l>
            <l n="735" xml:id="l735">Et j’iray découvrir quand il s’agit d’un Roy,</l>
            <l n="736" xml:id="l736">Quels secrets sentimens Axiane a pour moy</l>
            <p rend="center">Fin du second Acte.</p>
          </sp>
        </div>
      </div>
      <div type="act">
        <head>ACTE III.</head>
        <div type="scene">
          <head>Scène première.</head>
          <stage>AXIANE, ARIARATE.</stage>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="737" xml:id="l737">Je veux bien l’avouër, que malgré vôtre flame<pb n="32"
                xml:id="p32"/></l>
            <l n="738" xml:id="l738">Je m’étois attenduë à cette grandeur d’ame,</l>
            <l n="739" xml:id="l739">Et n’avois point douté qu’un si dur changement</l>
            <l n="740" xml:id="l740">Ne laissast triompher le Heros de l’Amant;</l>
            <l n="741" xml:id="l741">Mais je l’avouë aussi, ce que le Ciel m’envoye</l>
            <l n="742" xml:id="l742">N’obligeoit pas Oronte à montrer tant de joye,</l>
            <l n="743" xml:id="l743">Et perdant ce qu’il aime, un cœur bien amoureux</l>
            <l n="744" xml:id="l744">Eust pû se dispenser d’estre si genereux<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">genereux</hi> : noble.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="745" xml:id="l745">Dans les bras d’un Rival voir passer ce qu’on aime</l>
            <l n="746" xml:id="l746">Est sans doute un malheur plus grand que la mort mesme,</l>
            <l n="747" xml:id="l747">Je le sçay, mais malgré ce desespoir jaloux</l>
            <l n="748" xml:id="l748">En vous osant aimer je ne puis voir que vous.</l>
            <l n="749" xml:id="l749">Ainsi quand ma princesse acquiert le nom de Reyne</l>
            <l n="750" xml:id="l750">Je n’examine point si ma perte est certaine,</l>
            <l n="751" xml:id="l751">Ce haut rang où l’éleve un destin éclatant</l>
            <l n="752" xml:id="l752">M’ofre tout ce qu’il faut pour me rendre content,</l>
            <l n="753" xml:id="l753">Cét objet seul me frape<note place="bottom"><hi rend="i">me
                  frape</hi> : me touche.</note>, et dans la chere idée <pb n="33" xml:id="p33"
              /></l>
            <l n="754" xml:id="l754">Dont par vôtre heureux sort j’ay l’ame possedée,</l>
            <l n="755" xml:id="l755">Un aimable transport me fait imaginer</l>
            <l n="756" xml:id="l756">Que c’est moy, c’est ma main qui va vous couronner,</l>
            <l n="757" xml:id="l757">Que si vôtre malheur par le Trône s’efface,</l>
            <l n="758" xml:id="l758">Malgré mes Envieux c’est moy qui vous y place.</l>
            <l n="759" xml:id="l759">Condamnez-vous ma joye, et dans ce doux appas<note
                place="bottom"><hi rend="i">ce doux appas</hi> : ce charme extrême.</note>…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="760" xml:id="l760">Ouy, cruel, puis qu’enfin tu ne m’y places pas,</l>
            <l n="761" xml:id="l761">Je ne t’en ay déja que trop dit pour ma gloire<note
                place="bottom"><hi rend="i">Ma gloire</hi> : mon honneur.</note>,</l>
            <l n="762" xml:id="l762">Acheve de joüir de toute ta victoire,</l>
            <l n="763" xml:id="l763">Et vois une Princesse aux dépens de sa foy<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Sa foy</hi> : ses engagements.</note></l>
            <l n="764" xml:id="l764">Murmurer<note place="bottom"><hi rend="i">Murmurer</hi> :
                contester, désapprouver.</note> d’un bonheur qui ne vient pas de toy.</l>
            <l n="765" xml:id="l765">Lors qu’à te couronner la Reyne a paru preste,</l>
            <l n="766" xml:id="l766">Qu’il falloit me resoudre<note place="bottom"><hi rend="i">Me
                  resoudre</hi> : me décider.</note> à te voir sa conqueste,</l>
            <l n="767" xml:id="l767">J’ay voulu, j’ay tâché de vaincre mes desirs,</l>
            <l n="768" xml:id="l768">Mais ce n’a pas esté sans pousser des soûpirs.</l>
            <l n="769" xml:id="l769">Contre tes interests mon cœur pressoit<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Pressoit</hi> : poussait impèrieusement.</note> ma flame,</l>
            <l n="770" xml:id="l770">Je souhaitois ta gloire, et j’en tremblois dans l’ame.</l>
            <l n="771" xml:id="l771">Qui te rend dans mon sort le cœur moins abatu ?</l>
            <l n="772" xml:id="l772">Est-ce defaut d’amour ? est-ce excez de vertu ?</l>
            <l n="773" xml:id="l773">L’un et l’autre de toy m’est un pareil outrage,</l>
            <l n="774" xml:id="l774">Et si d’un pur amour tu m’a offert l’hommage</l>
            <l n="775" xml:id="l775">Devrois-tu me reduire à soûpirer tout bas</l>
            <l n="776" xml:id="l776">De voir qu’en me perdant tu ne soûpires pas ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="777" xml:id="l777">Ah, si ce pur amour qu’en moy vous fistes naistre</l>
            <l n="778" xml:id="l778">N’a pû jusques icy se faire assez connoistre,</l>
            <l n="779" xml:id="l779">Par où pourrois-je mieux vous en prouver l’ardeur</l>
            <l n="780" xml:id="l780">Que par la pleine joye où nage tout mon cœur ?</l>
            <l n="781" xml:id="l781">Vous regnez, et mon sort s’attachant tout au vôtre,</l>
            <l n="782" xml:id="l782">Ce triomphe pour moy l’emporte sur tout autre.</l>
            <l n="783" xml:id="l783">Pour en joüir sans trouble et dans sa pureté,</l>
            <l n="784" xml:id="l784">Tournez ainsi que moy les yeux de ce costé,</l>
            <l n="785" xml:id="l785">Ne voyez que la gloire où le Ciel vous appelle, <pb n="34"
                xml:id="p34"/></l>
            <l n="786" xml:id="l786" part="I">Ne voyez que ce Trône…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Et le puis-je, infidelle,</l>
            <l n="787" xml:id="l787">(Car qui du Trône seul veut qu’un cœur soit <ref
                target="#charmer">charmé*</ref>,</l>
            <l n="788" xml:id="l788">Ou trahit ce qu’il aime, ou n’a jamais aimé ?)</l>
            <l n="789" xml:id="l789">Ah, que je m’abusois quand j’ay crû que la Reyne</l>
            <l n="790" xml:id="l790">Par l’ofre de sa main te causoit quelque peine !</l>
            <l n="791" xml:id="l791">Tu regnois, et l’éclat d’un sort si glorieux</l>
            <l n="792" xml:id="l792">Pour<note place="bottom"><hi rend="i">Pour les tourner</hi> :
                parcequ’il les tournait. Suivi de l’infinitif présent, <hi rend="i">pour</hi> avait
                une valeur causale.</note> les tourner vers moy ne te laissoit plus d’yeux.</l>
            <l n="793" xml:id="l793">Tu te livrois entier aux charmes<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Charmes</hi> : sorte d’enchantement, influence mysterieuse.</note> d’un
              Empire</l>
            <l n="794" xml:id="l794" part="I">Dont ton amour vaincu…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Que vous entens-je dire ?</l>
            <l n="795" xml:id="l795">Moy, j’eusse consenty sous<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Sous</hi> : par.</note> l’espoir de regner</l>
            <l n="796" xml:id="l796" part="I">A perdre…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Et quel motif te l’eust fait dédaigner ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="797" xml:id="l797">L’amour, ce pur amour dont tout l’excez éclate</l>
            <l n="798" xml:id="l798">Lors qu’Oronte vous cede aux <ref target="#voeux">vœux*</ref>
              d’Ariarate.</l>
            <l n="799" xml:id="l799">Peut-il vous arracher à l’Hymen d’un grand Roy ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="800" xml:id="l800">Non, ce n’est point par là<note place="bottom"><hi rend="i">par
                  là</hi> : à cause de cela.</note> que je me plains de toy.</l>
            <l n="801" xml:id="l801">Je te l’ay déja dit, il est beau que ton ame</l>
            <l n="802" xml:id="l802">Immole à ma grandeur tout l’espoir de ta flame,</l>
            <l n="803" xml:id="l803">Mais seroit-ce une honte indigne d’un grand cœur</l>
            <l n="804" xml:id="l804">D’en laisser échaper du moins quelque douleur ?</l>
            <l n="805" xml:id="l805">Ne sçaurois-tu <ref target="#souffrir">souffrir*</ref>, ingrat,
              qu’une Princesse</l>
            <l n="806" xml:id="l806">Pour prix de son amour te couste une foiblesse,</l>
            <l n="807" xml:id="l807">Ou crois-tu qu’à rougir il falust t’apprester</l>
            <l n="808" xml:id="l808">Si quand tu perds mon cœur tu l’osois regretter<note
                place="bottom">C’est à dire : crois -tu devoir rougir de regretter de perdre mon
                coeur ?</note> ?</l>
            <l n="809" xml:id="l809">Ah, contre ton amour, contre son arrogance</l>
            <l n="810" xml:id="l810">Que n’ay-je fait agir l’orgueil de ma naissance,</l>
            <l n="811" xml:id="l811">Et pourquoy me laissois-je arracher un adveu<pb n="35"
                xml:id="p35"/></l>
            <l n="812" xml:id="l812">Qui m’a fait tant de peine, et te touche si peu !</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="813" xml:id="l813">Il fait tout mon bonheur, il fait toute ma joye,</l>
            <l n="814" xml:id="l814">Mais quand du Ciel sur vous la faveur se déploye,</l>
            <l n="815" xml:id="l815">Seroit-ce vous aimer que mesler mes regrets</l>
            <l n="816" xml:id="l816">Aux pompes d’un destin qui remplit vos souhaits ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="817" xml:id="l817" part="I">Qui remplit mes souhaits ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">C’est dequoy je me flate<note place="bottom">C’est à dire : ce que je me
                plait à penser.</note>,</l>
            <l n="818" xml:id="l818">Avant que d’en douter voyez Ariarate,</l>
            <l n="819" xml:id="l819">Et si le connoissant vous avez quelque ennuy,</l>
            <l n="820" xml:id="l820">Que<note place="bottom"><hi rend="i">Que</hi> : Du fait
                que.</note> Rome vous engage à regner avec luy,</l>
            <l n="821" xml:id="l821">Si luy donnant la main ma Princesse est capable</l>
            <l n="822" xml:id="l822">De regreter ailleurs quelque chose d’aimable,</l>
            <l n="823" xml:id="l823">L’excez de ma douleur alors luy fera voir</l>
            <l n="824" xml:id="l824">Jusqu’où peut ce dégoust<note place="bottom"><hi rend="i">Ce
                  dégoust</hi> : celui d’Axiane envers Ariarate.</note> porter mon desespoir.</l>
            <l n="825" xml:id="l825">Alors ce desespoir luy montrera sans cesse</l>
            <l n="826" xml:id="l826">Si je crains que son cœur me couste une foiblesse,</l>
            <l n="827" xml:id="l827">Et si de son bonheur j’ay pû me réjoüir,</l>
            <l n="828" xml:id="l828">Qu’asseuré qu’elle-mesme aimeroit d’en joüir.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="829" xml:id="l829">Va, tu seras content, et puisque c’est te plaire,</l>
            <l n="830" xml:id="l830">Sans regret, sans murmure<note place="bottom"><hi rend="i">Sans
                  murmure</hi> : sans protestation.</note>, il faut te satisfaire,</l>
            <l n="831" xml:id="l831">Je m’abandonne au Trône, et ne vois plus en toy</l>
            <l n="832" xml:id="l832">Que ce qui te pouvoit rendre indigne de moy.</l>
            <l n="833" xml:id="l833">Croy déja que regnant avec Ariarate</l>
            <l n="834" xml:id="l834">Il n’est plus rien ailleurs qui m’attire ou me flate<note
                place="bottom"><hi rend="i">Me flate</hi> : me séduise.</note>,</l>
            <l n="835" xml:id="l835">Et que sa main m’asseure un bonheur si parfait</l>
            <l n="836" xml:id="l836">Que j’aurois fait ce choix si Rome ne l’eust fait.</l>
            <l n="837" xml:id="l837">Aussy bien quand j’aurois à soûpirer sans cesse,</l>
            <l n="838" xml:id="l838">Il suffit qu’une fois j’ay fait une bassesse,</l>
            <l n="839" xml:id="l839">Je t’empescherois bien d’esperer la <ref target="#douceur"
                >douceur*</ref><note place="bottom"><hi rend="i">Douceur</hi> : cf.v.145.</note></l>
            <l n="840" xml:id="l840">De t’applaudir jamais des peines de mon cœur,</l>
            <l n="841" xml:id="l841">Tu me verrois égale, et tranquile et constante <pb n="36"
                xml:id="p36"/></l>
            <l n="842" xml:id="l842">Montrer dans mes ennuis l’ame la plus contente,</l>
            <l n="843" xml:id="l843">En dementir l’atteinte, et ne rien témoigner</l>
            <l n="844" xml:id="l844">Qui parust m’affoiblir la douceur de regner.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="845" xml:id="l845">S’il m’est permis de croire à ce que j’en présume</l>
            <l n="846" xml:id="l846">Cette douceur toûjours sera sans amertume,</l>
            <l n="847" xml:id="l847">Et pour ne taire plus ce qui doit éclater</l>
            <l n="848" xml:id="l848" part="I">Sçachez…</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">La Reyne vient, et c’est trop t’écouter.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène II.</head>
          <stage>LAODICE, AXIANE, ARIARATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="849" xml:id="l849">Princesse, enfin le Ciel par d’éclatantes<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Eclatantes</hi> : indéniables, remarquables.</note> marques</l>
            <l n="850" xml:id="l850">Nous fait voir que toûjours il prend soin<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Il prend soin</hi> : il veille sur .</note> des Monarques ;</l>
            <l n="851" xml:id="l851">Ce Fils si souhaité, ce Fils dont mon amour</l>
            <l n="852" xml:id="l852">Par un secret instinct asseuroit le retour,</l>
            <l n="853" xml:id="l853">Il paroist, et comblant tous nos peuples de joye,</l>
            <l n="854" xml:id="l854">Sa main vous ouvre au Trône une brillante voye.</l>
            <l n="855" xml:id="l855">Pour vous le conserver que n’ay-je pris de soins ?</l>
            <l n="856" xml:id="l856">Vos yeux depuis long-temps m’en sont d’heureux témoins,</l>
            <l n="857" xml:id="l857">A l’hymen de ma Fille ils m’ont veu mettre obstacle</l>
            <l n="858" xml:id="l858">Pour attendre toûjours le temps de ce miracle,</l>
            <l n="859" xml:id="l859">Et quand aux vœux du peuple il me falloit ceder</l>
            <l n="860" xml:id="l860">Les Dieux à mon espoir ont daigné l’accorder.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="861" xml:id="l861">Si ce miracle est grand, il étoit dû sans doute<pb n="37 D"
                xml:id="p37"/></l>
            <l n="862" xml:id="l862">Aux soins que jusqu’icy ce doux espoir vous couste<note
                place="bottom">C’est à dire : A tout ce que ce doux espoir vous a fait mettre en
                œuvre jusqu’ici.</note>,</l>
            <l n="863" xml:id="l863">Madame, et je dois trop à vos rares bontez</l>
            <l n="864" xml:id="l864">Pour ne partager pas tout ce que vous sentez.</l>
            <l n="865" xml:id="l865">Dans le retour d’un Fils que le Ciel vous renvoye</l>
            <l n="866" xml:id="l866">Par vos seuls interests j’aurois eu pleine joye,</l>
            <l n="867" xml:id="l867">Et pour remplir mon cœur des transports les plus doux</l>
            <l n="868" xml:id="l868">Vous me soufrez<note place="bottom"><hi rend="i">vous me
                  souffrez</hi> : vous me permettez.</note> en luy d’esperer un Espoux.</l>
            <l n="869" xml:id="l869">Tant de gloire est un bien dont le Ciel m’autorise</l>
            <l n="870" xml:id="l870">A me montrer charmée aussi bien que surprise,</l>
            <l n="871" xml:id="l871">Heureuse si pour dot ma main rendoit soûmis</l>
            <l n="872" xml:id="l872">Le reste de la terre à cét illustre Fils.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="873" xml:id="l873">Vos vœux ont pû le rendre à ma juste tendresse,</l>
            <l n="874" xml:id="l874">Ils se sont joints aux miens, et c’est assez, Princesse ;</l>
            <l n="875" xml:id="l875">D’un retour qui fait seul le bonheur de ces lieux,</l>
            <l n="876" xml:id="l876">Ne songeons aujourd’huy qu’à rendre grace aux Dieux.</l>
            <l n="877" xml:id="l877">On vous attend au Temple, où par des sacrifices</l>
            <l n="878" xml:id="l878">Vous vous acquiterez vers ces Dieux si propices,</l>
            <l n="879" xml:id="l879">Tandis que j’auray soin que<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >J’aurai soin que</hi> : je veillerai à ce que.</note> pour marquer sa foy<note
                place="bottom"><hi rend="i">Sa foy</hi> : son devouement.</note></l>
            <l n="880" xml:id="l880">Chacun sorte avec pompe au devant de son Roy.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="881" xml:id="l881">Madame, j’obeïs, et mon obeïssance</l>
            <l n="882" xml:id="l882">Parlera<note place="bottom"><hi rend="i">Parlera de</hi> : dira
                ce que.</note> mieux que moy de tout ce que je pense,</l>
            <l n="883" xml:id="l883">Je vous la jure entiere, et vous l’éprouverez.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="884" xml:id="l884">Qu’on me laisse icy seule; Oronte, demeurez.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène III.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE.</stage>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="885" xml:id="l885">Madame, j’attendois à vous faire paroistre<note place="bottom"
                >C’est à dire : j’attendais pour vous révéler.</note><note place="bottom">Sobriété
                après les transports lyriques de la précédente tirade. Résignation.</note>
              <pb n="38" xml:id="p38"/></l>
            <l n="886" xml:id="l886">Quelle joye en mon cœur la vôtre avoit fait naistre,</l>
            <l n="887" xml:id="l887">Apprenant que le Ciel propice à vos souhaits…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="888" xml:id="l888">Plus ils semblent remplis, moins ils sont satisfaits,</l>
            <l n="889" xml:id="l889">Oronte, et puisqu’enfin il faut ne vous rien taire,</l>
            <l n="890" xml:id="l890">J’ay souhaité mon Fils, mon Fils me desespere,</l>
            <l n="891" xml:id="l891">Par son fatal retour tous mes soins<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Soins</hi> : efforts.</note> sont trahis<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Trahis</hi> : vains.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="892" xml:id="l892">Quoy, vous en plaindre, vous qui n’aimiez que ce Fils,</l>
            <l n="893" xml:id="l893">Qui luy gardiez le Sceptre, et qui du nom de Mere…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="894" xml:id="l894">Ouy, mere pour un Fils à qui je serois chere,</l>
            <l n="895" xml:id="l895">Qui viendroit sans secours le prendre de mes mains,</l>
            <l n="896" xml:id="l896">Mais je ne puis soufrir<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Soufrir</hi> : tolérer.</note> l’esclave des Romains.</l>
            <l n="897" xml:id="l897">Sousmis à ces Tyrans que bravoient nos Ancestres</l>
            <l n="898" xml:id="l898">Il vient nous asservir sous l’orgueil de ses Maistres,</l>
            <l n="899" xml:id="l899">Nous faire part des fers<note place="bottom"><hi rend="i">Nous
                  faire part des fers</hi> : nous tenir dans les fers.</note> qu’il s’abaisse à
              traîner,</l>
            <l n="900" xml:id="l900">Et j’aurois quelque joye à le voir couronner ?</l>
            <l n="901" xml:id="l901">Non, non, l’espoir du Trône en vain l’a pû surprendre,</l>
            <l n="902" xml:id="l902">Point d’ordre du Senat s’il y vouloit prétendre,</l>
            <l n="903" xml:id="l903">Point de force étrangere à me faire obeïr.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="904" xml:id="l904">Le sang dans vôtre cœur se laisse donc trahir.</l>
            <l n="905" xml:id="l905">Si le Senat <ref target="#deputer">depute*</ref>, est-ce
              l’avoir pour Maistre<pb n="39 Dij" xml:id="p39"/></l>
            <l n="906" xml:id="l906">Que prendre son adveu<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >aveu</hi> : approbation.</note> pour se faire connoistre<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Connoistre</hi> : reconnaître.</note> ?</l>
            <l n="907" xml:id="l907">Sans luy, sans les Romains qui l’ont nourry chez eux,</l>
            <l n="908" xml:id="l908">Le destin de ce Fils seroit-il pas douteux<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Douteux</hi> : incertain.</note> ?</l>
            <l n="909" xml:id="l909">Pourriez-vous sur sa foy<note place="bottom"><hi rend="i">Sa
                  foy</hi> : sa parole.</note> le croire Ariarate ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="910" xml:id="l910">Je sçay qu’il faut par eux que sa naissance éclate,</l>
            <l n="911" xml:id="l911">Mais enfin avec luy si Rome estoit d’accord,</l>
            <l n="912" xml:id="l912">A quoy bon si long-temps m’avoir caché son sort<note
                place="bottom"><hi rend="i">Son sort</hi> : son existence .</note> ?</l>
            <l n="913" xml:id="l913">Quand deputant vers moy<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >deputant vers moi</hi> : m’envoyant un représentant.</note> l’on m’a tant fait
                connoistre<note place="bottom"><hi rend="i">connoistre</hi> : savoir.</note></l>
            <l n="914" xml:id="l914">Qu’elle vouloit m’aider à faire choix d’un Maistre,</l>
            <l n="915" xml:id="l915">Par quel rare motif<note place="bottom"><hi rend="i">Par quel
                  rare motif</hi> : pour quelle étrange raison.</note> ne m’a-t’on pas appris</l>
            <l n="916" xml:id="l916">Que son Ambassadeur me ramenoit mon Fils ?</l>
            <l n="917" xml:id="l917">Avec tant de mystere Aquilius s’avance</l>
            <l n="918" xml:id="l918">Qu’on le voit arriver mesme avant qu’on y pense<note
                place="bottom"><hi rend="i">C’est à dire</hi> : Aquilius va plus vite que prévu. Cf
                le v. 318.</note>,</l>
            <l n="919" xml:id="l919">Comme si tout à coup surpris de voir son Roy</l>
            <l n="920" xml:id="l920">Le Peuple devoit mieux s’animer<note place="bottom"><hi
                  rend="i">S’animer</hi> : s’irriter.</note> contre moy.</l>
            <l n="921" xml:id="l921">C’est là, c’est là que tend toute leur Politique,</l>
            <l n="922" xml:id="l922">Dans ces précautions je la<note place="bottom">Leur
                Politique.</note> voy qui s’explique<note place="bottom"><hi rend="i">Qui
                  s’explique</hi> : qui se découvre, qui se met à jour.</note>,</l>
            <l n="923" xml:id="l923">Et cherche à m’arracher par des moyens si<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Si</hi> : aussi.</note> bas</l>
            <l n="924" xml:id="l924">Ce qu’ils ont présumé que je ne rendrois pas.</l>
            <l n="925" xml:id="l925">Par l’Hymen de ma Fille <ref target="#ou">où*</ref> l’on me
              crut forcée<note place="bottom"><hi rend="i">forcée</hi> : obligée.</note>,</l>
            <l n="926" xml:id="l926">Ils ont voulu d’abord penetrer ma pensée,</l>
            <l n="927" xml:id="l927">Et le choix que de vous ils sçauront que j’ay fait</l>
            <l n="928" xml:id="l928">A leurs jaloux soupçons tiendra lieu de forfait,</l>
            <l n="929" xml:id="l929">Ils voudront vous punir d’en avoir esté digne ;</l>
            <l n="930" xml:id="l930">Mais que le Peuple s’arme<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >S’arme</hi> : prenne les armes.</note>, ou que Rome s’indigne,</l>
            <l n="931" xml:id="l931">Pour vous perdre à son choix ou me faire la loy<note
                place="bottom">C’est à dire : pour vous faire périr, ou selon ce qu’il (ce fils)
                décidera de faire, me faire la loi…</note>,</l>
            <l n="932" xml:id="l932">Ce Fils n’est pas encor asseuré d’estre Roy.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="933" xml:id="l933">Je veux bien avec vous blâmer la Politique</l>
            <l n="934" xml:id="l934">Dont par trop de secret le mystere vous pique,</l>
            <l n="935" xml:id="l935">Ariarate a dû faire un plus prompt éclat, <pb n="40"
                xml:id="p40"/></l>
            <l n="936" xml:id="l936">Mais songez ce que c’est qu’irriter<note place="bottom"><hi
                  rend="i">irriter</hi> : faire outrage, provoquer.</note> le Senat.</l>
            <l n="937" xml:id="l937">Vous l’ayant renvoyé pensez-vous qu’il endure<note
                place="bottom"><hi rend="i">qu’il endure</hi> : qu’il accepte.</note></l>
            <l n="938" xml:id="l938">Qu’au destin de ce Fils vous osiez faire injure ?</l>
            <l n="939" xml:id="l939">Il armera<note place="bottom"><hi rend="i">Il armera</hi> : il
                préparera les armes.</note> sans doute, et tout autre que vous</l>
            <l n="940" xml:id="l940">Craindroit un grand pouvoir dans un juste couroux.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="941" xml:id="l941">Si l’Estat veut un Roy, s’il a besoin d’un homme,</l>
            <l n="942" xml:id="l942">Vous faisant<note place="bottom"><hi rend="i">Vous
                faisant</hi> : vous nommant.</note> mon Espoux que craindray-je de Rome ?</l>
            <l n="943" xml:id="l943">Armé de ce grand tître et d’Espoux et de Roy</l>
            <l n="944" xml:id="l944">Manquerez-vous de cœur à combatre pour moy ?</l>
            <l n="945" xml:id="l945">Vous trouveray-je<note place="bottom"><hi rend="i">Vous
                  trouveray-je</hi> : vous estimerai-je.</note> moins cét invincible Oronte</l>
            <l n="946" xml:id="l946">Que nos plus <ref target="#fier">fiers*</ref> Voisins n’ont
              connu qu’à leur honte,</l>
            <l n="947" xml:id="l947">Et l’orage que veut éviter vostre soin<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Vostre soin</hi> : vos scrupules.</note></l>
            <l n="948" xml:id="l948">Est-il plus dangereux pour venir de plus loin<note
                place="bottom">C’est à dire : parce qu’il vient de plus loin.</note> ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="949" xml:id="l949">J’auray le mesme cœur, mais à quoy qu’il m’anime,</l>
            <l n="950" xml:id="l950">Que peut-on esperer contre un Roy legitime,</l>
            <l n="951" xml:id="l951">Qui sçaura malgré vous, malgré tous nos projets,</l>
            <l n="952" xml:id="l952">Gagner en se montrant le cœur de ses Sujets ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker> LAODICE.</speaker>
            <l n="953" xml:id="l953">Et bien, si vous craignez qu’à sa veuë on ne cede,</l>
            <l n="954" xml:id="l954">C’est un mal <ref target="#ou">où*</ref> peut-estre il est
              quelque remede.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker> ARIARATE.</speaker>
            <l n="955" xml:id="l955">En est-il quand déja son nom seul en ces lieux…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker> LAODICE.</speaker>
            <l n="956" xml:id="l956">Vous ne m’<ref target="#entendre">entendez*</ref> pas il faut
              m’expliquer mieux.</l>
            <l n="957" xml:id="l957">La rigueur me fait peine<note place="bottom"><hi rend="i">Me
                  fait peine</hi> : me chagrine.</note>, et depuis que je regne</l>
            <l n="958" xml:id="l958">Si pour ma seureté<note place="bottom"><hi rend="i">Ma
                  seureté</hi> : ma sécurité.</note> je soufre<note place="bottom"><hi rend="i">Je
                  souffre</hi> : je supporte.</note> qu’on me craigne,</l>
            <l n="959" xml:id="l959">Contre mille ennemis de ma grandeur jaloux</l>
            <l n="960" xml:id="l960">J’ay toûjours essayé les moyens les plus doux.</l>
            <l n="961" xml:id="l961">Aussi lente à punir que prompte à faire grace</l>
            <l n="962" xml:id="l962">Il m’a suffy cent fois d’en desarmer l’audace,</l>
            <l n="963" xml:id="l963">Tant j’ay conceu d’horreur dés mes plus jeunes ans<pb
                n="41 D iij" xml:id="p41"/></l>
            <l n="964" xml:id="l964">Pour la severité qu’exercent les Tyrans.</l>
            <l n="965" xml:id="l965">Mais il faut l’avoüer, s’agissant de l’Empire,</l>
            <l n="966" xml:id="l966">Comme c’est à luy seul que tout mon cœur aspire<note
                place="bottom">C’est à dire : vers lequel toutes mes pensées intimes sont
                portées.</note>,</l>
            <l n="967" xml:id="l967">Si pour le conserver il faut armer mon bras</l>
            <l n="968" xml:id="l968">Un peu de sang versé ne m’épouvante pas.</l>
            <l n="969" xml:id="l969">Quoy ? vous feroit-il peur ? vous pâlissez, ce semble ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="970" xml:id="l970">Ouy, Madame, il est vray, je pâlis, et je tremble,</l>
            <l n="971" xml:id="l971">Et quand<note place="bottom"><hi rend="i">Et quand</hi> : et
                si. Valeur hypothétique.</note> le sang d’un Fils est l’unique moyen…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="972" xml:id="l972">Il faut donc voir répandre et le vostre et le mien ?</l>
            <l n="973" xml:id="l973">Ce choix seul est à faire, il s’agit de resoudre<note
                place="bottom"><hi rend="i">de resoudre</hi> : de décider. Au XVII<hi rend="sup"
                  >e</hi> siècle, le verbe s’emploie absolument.</note>,</l>
            <l n="974" xml:id="l974">C’est à nous ou d’attendre ou de lancer la foudre,</l>
            <l n="975" xml:id="l975">Elle est inévitable à quiconque de nous</l>
            <l n="976" xml:id="l976">N’osera par scrupule en prévenir les coups,</l>
            <l n="977" xml:id="l977">Si mon Fils ne périt, notre perte est certaine.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="978" xml:id="l978">Vous suivez les transports<note place="bottom">C’est à dire :
                Vous vous laissée allée à vos égarements, vous sous laissée posséder par la violence
                de vos émotions.</note> où le soupçon vous mene,</l>
            <l n="979" xml:id="l979">Mais dequoy ne peut pas le sang venir à bout ?</l>
            <l n="980" xml:id="l980" part="I">Croyez-vous que ce Fils…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Il faut vous dire tout,</l>
            <l n="981" xml:id="l981">Aussy bien<note place="bottom"><hi rend="i">Aussy bien</hi> :
                il est vrai que.</note> avec vous dont l’ame<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >L’ame</hi> : le cœur.</note> est un peu tendre<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >tendre</hi> : délicate.</note></l>
            <l n="982" xml:id="l982">Qui s’explique à demy ne se fait pas <ref target="#entendre"
                >entendre*</ref>,</l>
            <l n="983" xml:id="l983">Sçachant mes interests vous jugerez de moy<note place="bottom"
                >C’est à dire : vous me jugerez une fois que vous connaîtrez mes motivations
                profondes.</note>.</l>
            <l n="984" xml:id="l984">J’eus six fils qu’en mourant me laissa le feu Roy.</l>
            <l n="985" xml:id="l985">Par divers accidents des six les cinq moururent,</l>
            <l n="986" xml:id="l986">Peut-estre avez-vous sceu quels fâcheux bruits coururent,</l>
            <l n="987" xml:id="l987">J’en dédaignay l’outrage, et crus de tels malheurs,</l>
            <l n="988" xml:id="l988">Puisque j’étois au Trône, indignes de mes pleurs.</l>
            <l n="989" xml:id="l989">Dans le <ref target="#charmer">charme*</ref> secret d’un si
              brillant partage</l>
            <l n="990" xml:id="l990">Pour me l’asseurer mieux je mis tout en usage;</l>
            <l n="991" xml:id="l991">Ariarate à Rome en ostage élevé</l>
            <l n="992" xml:id="l992">Pouvoit me le ravir s’il n’estoit enlevé,</l>
            <l n="993" xml:id="l993">J’en donnay l’ordre exprés, sa mort fut résoluë,</l>
            <l n="994" xml:id="l994">Mais je voy que les Dieux ne l’avoient pas concluë<note
                place="bottom"><hi rend="i">Concluë</hi> : décidée.</note>,</l>
            <l n="995" xml:id="l995">Qu’un lâche m’a trahie, et que de mon projet<pb n="42"
                xml:id="p42"/></l>
            <l n="996" xml:id="l996">Ariarate et Rome ont sceu tout le secret.</l>
            <l n="997" xml:id="l997">C’est à vous là dessus à voir ce que peut faire</l>
            <l n="998" xml:id="l998">Un Fils trop convaincu de l’orgueil de sa Mere.</l>
            <l n="999" xml:id="l999">Si j’immolay sa vie à l’ardeur de régner,</l>
            <l n="1000" xml:id="l1000">Pour régner à son tour voudra-t’il m’épargner ?</l>
            <l n="1001" xml:id="l1001">C’est mon sang, et ce sang du Trône est trop avide</l>
            <l n="1002" xml:id="l1002">Pour trembler à l’aspect<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Aspect</hi> : vue.</note> d’un simple <ref target="#parricide"
              >parricide*</ref>,</l>
            <l n="1003" xml:id="l1003">Et bientost, si par moy ce Fils n’estoit détruit,</l>
            <l n="1004" xml:id="l1004">Sur mes propres leçons on l’y verroit instruit.</l>
            <l n="1005" xml:id="l1005">Il faut, il faut le perdre, et je m’y voy reduite,</l>
            <l n="1006" xml:id="l1006">Avec Aquilius on dit qu’il est sans suite,</l>
            <l n="1007" xml:id="l1007">Vous ne pouvez avoir d’ennemis<note place="bottom">vous ne
                pouvez avoir d’autres ennemis.</note> que les miens,</l>
            <l n="1008" xml:id="l1008">Et qui veut s’en défaire en trouve les moyens.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1009" xml:id="l1009">Ah, pour rompre un projet à ses jours si funeste,</l>
            <l n="1010" xml:id="l1010">Soufrez<note place="bottom"><hi rend="i">Soufrez</hi> :
                acceptez.</note> qu’il s’abandonne à l’espoir qui luy reste,</l>
            <l n="1011" xml:id="l1011">Et que pour vous fléchir, ce Prince infortuné</l>
            <l n="1012" xml:id="l1012">Vous oppose par moy le sang dont il est né.</l>
            <l n="1013" xml:id="l1013">Croyez en m’écoutant que c’est luy qui vous prie,</l>
            <l n="1014" xml:id="l1014">Qu’en regardant sa Mere il la cherche attendrie,</l>
            <l n="1015" xml:id="l1015">Et qu’enfin à vos pieds il vous dit par ma voix,</l>
            <l n="1016" xml:id="l1016"><hi rend="i">Accordez moy la vie une seconde fois</hi>,</l>
            <l n="1017" xml:id="l1017"><hi rend="i">Je vous suis odieux, mais quoy qui vous
                anime</hi><note place="bottom">Quelle que soit votre motivation, quel que soit ce
                qui vous pousse à agir ainsi.</note>,</l>
            <l n="1018" xml:id="l1018">
              <hi rend="i">Estre né vostre Fils n’est pas un si grand crime.</hi>
            </l>
            <l n="1019" xml:id="l1019">
              <hi rend="i">Daignez luy faire grace en faveur</hi>
              <note place="bottom">
                <p><hi rend="i">En faveur de</hi> : en profitant de.</p>
              </note>
              <hi rend="i"> d’un respect</hi>
            </l>
            <l n="1020" xml:id="l1020"><hi rend="i">Que jamais rien de moy ne vous rendra
                suspect</hi>,</l>
            <l n="1021" xml:id="l1021">
              <hi rend="i">Prenez-en pour garand la <ref target="#foy">foy*</ref> sincere et
                pure</hi>
            </l>
            <l n="1022" xml:id="l1022"><hi rend="i">Qu’à la face du Ciel</hi><note place="bottom"
                  ><hi rend="i">A la face du Ciel</hi> : devant les yeux du Ciel.</note><hi rend="i"
                > ma tendresse vous jure</hi>,</l>
            <l n="1023" xml:id="l1023">
              <hi rend="i">Cette foy que jamais les plus durs changemens…</hi>
            </l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1024" xml:id="l1024">Lors qu’il s’agit du Trône on se fie aux serments ? <pb
                n="43" xml:id="p43"/></l>
            <l n="1025" xml:id="l1025">Ne vous y trompez point, quand<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Quand</hi> : même si.</note> il se pourroit faire</l>
            <l n="1026" xml:id="l1026">Qu’à ce Fils comme à vous le crime pust déplaire,</l>
            <l n="1027" xml:id="l1027">Qu’une vertu pareille eust pour luy mesme appas,</l>
            <l n="1028" xml:id="l1028">Dans ce qu’il sçait de moy, je ne m’y fierois pas<note
                place="bottom">Vu ce qu’il sait de moi, je ne pourrai pas lui faire
                confiance.</note>.</l>
            <l n="1029" xml:id="l1029">Je dis plus, quand j’aurois une entiere asseurance<note
                place="bottom">C’est à dire : même si j’étais totalement certaine.</note></l>
            <l n="1030" xml:id="l1030">Qu’il deust laisser toûjours le Trône en ma puissance<note
                place="bottom"><hi rend="i">En ma puissance</hi> : sous ma domination.</note>,</l>
            <l n="1031" xml:id="l1031">Toûjours comme Sujet me soûmettre son sort<note
                place="bottom">Son sort : son destin.</note>,</l>
            <l n="1032" xml:id="l1032">J’aurois la mesme ardeur à poursuivre<note place="bottom"><hi
                  rend="i">à poursuivre</hi> : à chercher à provoquer.</note> sa mort.</l>
            <l n="1033" xml:id="l1033">Pour en tenir l’arrest<note place="bottom">Pour ne plus le
                vouloir.</note> et juste et legitime,</l>
            <l n="1034" xml:id="l1034">Il suffiroit de voir qu’il fist grace à mon crime,</l>
            <l n="1035" xml:id="l1035">Et que je périrois si par un noble effroy</l>
            <l n="1036" xml:id="l1036">Il ne refusoit d’estre aussi méchant que moy.</l>
            <l n="1037" xml:id="l1037">Ainsy je ne puis voir cette mort assez prompte</l>
            <l n="1038" xml:id="l1038">Ne fust-ce que pour perdre un témoin de ma honte.</l>
            <l n="1039" xml:id="l1039">C’est par là que son sort est toûjours combatu,</l>
            <l n="1040" xml:id="l1040">Je dois craindre son crime, ou haïr sa vertu,</l>
            <l n="1041" xml:id="l1041">Et chercher dans son sang la seureté du nostre</l>
            <l n="1042" xml:id="l1042">Pour me sauver de l’un, ou le punir de l’autre.</l>
            <l n="1043" xml:id="l1043">Enfin, plus de replique, il faut vous declarer,</l>
            <l n="1044" xml:id="l1044">Et choisir qui des deux vous voulez préferer<note
                place="bottom">Quel camps vous choisissez.</note>.</l>
            <l n="1045" xml:id="l1045">Si du sang à verser vous <ref target="#emeu">esmeut*</ref>,
              vous fait peine<note place="bottom"><hi rend="i">Vous fait peine</hi> : vous
                chagrine.</note>,</l>
            <l n="1046" xml:id="l1046">J’en sçay qui sans scrupule en croiront une Reyne,</l>
            <l n="1047" xml:id="l1047">Et qui pour un seul crime exigé de leur foy,</l>
            <l n="1048" xml:id="l1048">Ne dédaigneront pas de régner avec moy.</l>
            <l n="1049" xml:id="l1049">Mais avant qu’emprunter d’autre bras que le vostre</l>
            <l n="1050" xml:id="l1050">Songez bien que souvent un crime en presse<note
                place="bottom"><hi rend="i">En presse un autre</hi> : amène fatalement à un
                autre.</note> un autre,</l>
            <l n="1051" xml:id="l1051">Et que vous ayant dit à quoy je me resous<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">A quoi je me resous</hi> : ce que j’ai décidé.</note>,</l>
            <l n="1052" xml:id="l1052">Le Trône seul peut estre un azyle pour vous.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1053" xml:id="l1053">Et bien, prenez ma vie, elle est à vous, Madame.</l>
            <l n="1054" xml:id="l1054">Toûjours la vertu seule a regné sur mon ame,</l>
            <l n="1055" xml:id="l1055">Et s’il me faut mourir, je mourray satisfait<pb n="44"
                xml:id="p44"/></l>
            <l n="1056" xml:id="l1056">D’avoir donné mon sang au refus d’un forfait<note
                place="bottom">Sobriété après les transports lyriques de la précédente tirade.
                Résignation.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1057" xml:id="l1057">C’est trop, n’en parlons plus, tant de vertu me lasse.</l>
            <l n="1058" xml:id="l1058" part="I">A moy, quelqu’un.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène IV.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l part="M">Madame.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="M">Escoutez.</l>
            <stage>Cleone sort après que la Reyne luy a parlé bas.</stage>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Eh, de grace,</l>
            <l n="1059" xml:id="l1059">Par ce zéle pour vous tant de fois employé<note
                place="bottom">Au nom de ce dévouement pour vous tant de fois mis en
              œuvre.</note>…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1060" xml:id="l1060">Je l’avouë, il fut grand, mais je l’ay bien payé.</l>
            <l n="1061" xml:id="l1061">Quoy qu’ait pû m’opposer une envie importune,</l>
            <l n="1062" xml:id="l1062">Par moy<note place="bottom"><hi rend="i">Par moy</hi> : grâce
                à moi.</note> vostre destin a bravé la fortune,</l>
            <l n="1063" xml:id="l1063">Eslevé tout à coup vous possedez un rang</l>
            <l n="1064" xml:id="l1064">Qu’on n’accorda jamais qu’au plus illustre sang.</l>
            <l n="1065" xml:id="l1065">Du suprême pouvoir depuis deux ans arbitre<note
                place="bottom"><hi rend="i">Arbitre</hi> : maître.</note></l>
            <l n="1066" xml:id="l1066">On ne vous voit de Roy manquer que le seul tiltre ;</l>
            <l n="1067" xml:id="l1067">Je vous l’ofre, et pour prix, ingrat, de mes bienfaits</l>
            <l n="1068" xml:id="l1068">Vous voulez m’arracher du Trône où je vous mets,</l>
            <l n="1069" xml:id="l1069">Vous voulez qu’aux Romains je serve de victime ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1070" xml:id="l1070">Moy ? dites que je veux vous épargner un crime, <pb n="45"
                xml:id="p45"/></l>
            <l n="1071" xml:id="l1071">En voir le noir projet par le sang combatu.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1072" xml:id="l1072">Allez, dans le besoin<note place="bottom"><hi rend="i">Dans
                  le besoin</hi> : dans une occasion critique, quand la chose est le plus
                nécessaire.</note> gardez vostre vertu,</l>
            <l n="1073" xml:id="l1073">Je recompenseray de mesme qu’on m’oblige.</l>
            <l n="1074" xml:id="l1074" part="I">Et bien ?</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l part="M">L’ordre est donné.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="M">Madame…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Allez, vous dis je,</l>
            <l n="1075" xml:id="l1075">Je connois vostre cœur, vous le mien, il suffit.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène V.</head>
          <stage>LAODICE, CLEONE.</stage>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="1076" xml:id="l1076">Quel nouveau trouble encor agite vostre esprit ?</l>
            <l n="1077" xml:id="l1077">Madame ; si j’osois parler sans vous déplaire…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1078" xml:id="l1078">Ah, Cleone, ce Fils dont j’ay crû me défaire,</l>
            <l n="1079" xml:id="l1079">Ce Fils dont je feignois d’attendre le retour…</l>
            <l n="1080" xml:id="l1080" part="I">Dieux !</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l part="F">Un si prompt revers change bien ce grand jour.</l>
            <l n="1081" xml:id="l1081">Mais il semble <ref target="#d-ailleurs">d’ailleurs*</ref>
              que quelque autre <ref target="#disgrace">disgrace*</ref></l>
            <l n="1082" xml:id="l1082">Se joigne à la rigueur du sort qui vous menace ;</l>
            <l n="1083" xml:id="l1083">Dans le moment qu’Oronte est sorty d’avec vous<note
                place="bottom">Au moment où Oronte est sorti avec vous.</note></l>
            <l n="1084" xml:id="l1084">J’ay crû vous voir contraindre<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Contraindre</hi> : réprimer.</note> un violent couroux.</l>
            <l n="1085" xml:id="l1085">Avant qu’il vous quittast vous m’avez fait entendre<pb n="46"
                xml:id="p46"/></l>
            <l n="1086" xml:id="l1086">Qu’il faloit que sur l’heure on trouvast Anaxandre,</l>
            <l n="1087" xml:id="l1087">Comme si pouvant seul adoucir vostre ennuy<note
                place="bottom"><hi rend="i">Vostre ennuy</hi> : votre souffrance,
              agitation.</note>…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1088" xml:id="l1088">Viens, suy-moy, tu sçaura ce que je veux de luy.</l>
            <p rend="center">Fin du troisième acte.</p>
          </sp>
        </div>
      </div>
      <div type="act">
        <head>ACTE IV.</head>
        <div type="scene">
          <head>Scène première.</head>
          <stage>LAODICE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1089" xml:id="l1089">En vain tu me fais voir que le peuple est à craindre. <pb
                n="47" xml:id="p47"/></l>
            <l n="1090" xml:id="l1090">Le projet est hardy, mais j’ay dû m’y contraindre,</l>
            <l n="1091" xml:id="l1091">Etoufer la Nature, et ne balancer pas</l>
            <l n="1092" xml:id="l1092">A couronner par là mes premiers attentats.</l>
            <l n="1093" xml:id="l1093">Qui s’est pû dans le Trône affermir<note place="bottom">qui
                s’est pû renforcer au Trône par le crime.</note> par le crime,</l>
            <l n="1094" xml:id="l1094">S’il tremble à l’achever merite qu’on l’opprime<note
                place="bottom"><hi rend="i">Qu’on l’opprime</hi> : qu’on le renverse.</note>,</l>
            <l n="1095" xml:id="l1095">Et quand<note place="bottom"><hi rend="i">Et quand</hi> : et
                même si.</note> mille forfaits le rendroient odieux,</l>
            <l n="1096" xml:id="l1096">Le dernier qui l’absout est toûjours glorieux,</l>
            <l n="1097" xml:id="l1097">Si je ne veux perir sa mort est necessaire.</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="1098" xml:id="l1098">Pour vôtre seureté je voy ce qu’il faut faire,</l>
            <l n="1099" xml:id="l1099">Ce Fils dés son jeune âge instruit de vos desseins</l>
            <l n="1100" xml:id="l1100">Suivra pour s’en sauver le conseil des Romains,</l>
            <l n="1101" xml:id="l1101">Et dans ce qu’ils auront de juste défiance<note
                place="bottom">Ils : les Romains. Autant qu’ils auront de soupçons
              justifiés.</note></l>
            <l n="1102" xml:id="l1102">Vos jours seuls immolez feront son asseurance<note
                place="bottom">Seul le sacrifice de vos jours lui assurera sa sécurité.</note>,</l>
            <l n="1103" xml:id="l1103">C’est ce que vous avez sans doute à <ref target="#prevenir"
                >prévenir*</ref>.</l>
            <l n="1104" xml:id="l1104">Anaxandre promet, mais pourra-t’il tenir ?</l>
            <l n="1105" xml:id="l1105">En jurant cette mort voyez ce qu’il hazarde ; <pb n="48 Ic"
                xml:id="p48"/></l>
            <l n="1106" xml:id="l1106">Le Prince autour de luy doit avoir quelque Garde,</l>
            <l n="1107" xml:id="l1107">C’est un foible secours que vous ne craignez pas,</l>
            <l n="1108" xml:id="l1108">Mais verra-t’on le coup sans connoistre le bras ?</l>
            <l n="1109" xml:id="l1109">Un complice arresté que devient Anaxandre ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1110" xml:id="l1110">Ay-je dans son destin quelque interest à prendre ?</l>
            <l n="1111" xml:id="l1111">Le coup fait, qu’il perisse, il m’importe fort peu,</l>
            <l n="1112" xml:id="l1112">Je feray de son crime un entier desadveu,</l>
            <l n="1113" xml:id="l1113">Et croiray n’avoir plus à craindre un sort contraire</l>
            <l n="1114" xml:id="l1114">Si d’un Ambitieux Rome veut me défaire.</l>
            <l n="1115" xml:id="l1115">Ce n’est pas qu’il n’ait pris toutes ses seuretez,</l>
            <l n="1116" xml:id="l1116">Si ceux dont il se sert se voyoient arrestez,</l>
            <l n="1117" xml:id="l1117">Il m’a fait consentir qu’ils nommassent Oronte.</l>
          </sp>
          <sp who="cleone">
            <speaker>CLEONE.</speaker>
            <l n="1118" xml:id="l1118">Quoy, pour ce malheureux une hayne si prompte,</l>
            <l n="1119" xml:id="l1119">Madame? Et vôtre amour a pû si tost ceder ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1120" xml:id="l1120">A qui nous preste un crime on doit tout accorder,</l>
            <l n="1121" xml:id="l1121">Anaxandre le hait, et m’auroit mal servie</l>
            <l n="1122" xml:id="l1122">Si je n’avois pas feint d’abandonner sa vie,</l>
            <l n="1123" xml:id="l1123">Et de vouloir sur luy rejetter l’attentat</l>
            <l n="1124" xml:id="l1124">Qui malgré son refus<note place="bottom">Le refus
                d’Oronte.</note> est prest de faire éclat<note place="bottom"><hi rend="i">faire
                  éclat</hi> : faire scandale.</note>,</l>
            <l n="1125" xml:id="l1125">Mais enfin quoy qu’Oronte ait merité ma hayne,</l>
            <l n="1126" xml:id="l1126">Contre luy dans mon cœur elle est foible, elle est
              vaine ;</l>
            <l n="1127" xml:id="l1127">Ce refus d’un forfait dont il me sçait le prix<note
                place="bottom">Dont il sait le prix qu’il a pour moi.</note>,</l>
            <l n="1128" xml:id="l1128">Après ce qu’il me doit joint l’injure au mépris,</l>
            <l n="1129" xml:id="l1129">Et par un sentiment qu’en vain je desavouë,</l>
            <l n="1130" xml:id="l1130">Contre mes interests<note place="bottom">Comprendre : A
                l’encontre de ce pour quoi je me bats.</note> moy-mesme je l’en louë.</l>
            <l n="1131" xml:id="l1131">Estrange adveu d’un cœur sous le crime abatu</l>
            <l n="1132" xml:id="l1132">De se sentir contraint d’estimer la vertu !</l>
            <l n="1133" xml:id="l1133">Ouy, telle que je suis, aux forfaits enchaînée</l>
            <l n="1134" xml:id="l1134">Par le dur<note place="bottom"><hi rend="i">Dur</hi> :
                douloureux.</note> Ascendant que prend la Destinée,</l>
            <l n="1135" xml:id="l1135">Je me voy malgré-moy forcée à<note place="bottom">Au XVII<hi
                  rend="sup">e</hi> siècle, forcer se construisait avec <hi rend="i">à</hi>.</note>
                respecter<pb n="49E" xml:id="p49"/></l>
            <l n="1136" xml:id="l1136">Ce qu’un fatal penchant me defend d’imiter ;</l>
            <l n="1137" xml:id="l1137">Plus Oronte du crime a rejetté l’amorce<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">L’amorce</hi> : la séduction.</note>,</l>
            <l n="1138" xml:id="l1138">Plus mon amour pour luy semble avoir pris de force,</l>
            <l n="1139" xml:id="l1139">Son refus m’a trahie, et loin de l’en haïr</l>
            <l n="1140" xml:id="l1140">Je l’aurois moins aimé s’il eust pû m’obeïr.</l>
            <l n="1141" xml:id="l1141">Ma flame s’est accreuë à voir croistre sa <ref
                target="#gloire">gloire*</ref>,</l>
            <l n="1142" xml:id="l1142">Et s’il n’a pû tantost me reduire à le croire,</l>
            <l n="1143" xml:id="l1143">Si j’embrasse<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >J’embrasse</hi> : je me charge de.</note> un forfait par luy si combatu,</l>
            <l n="1144" xml:id="l1144">C’est afin qu’il me serve à payer sa vertu.</l>
            <l n="1145" xml:id="l1145">J’en fais le prix du Trône, où de quoy qu’on m’accuse</l>
            <l n="1146" xml:id="l1146">Je luy veux achepter la place qu’il refuse,</l>
            <l n="1147" xml:id="l1147">Y voir briller sa gloire, et faire en ce grand jour</l>
            <l n="1148" xml:id="l1148">Servir l’ambition de prétexte à l’amour.</l>
            <l n="1149" xml:id="l1149">C’est par là seulement que ma honte s’efface.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène II.</head>
          <stage>LAODICE, AXIANE, CLEONE.</stage>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1150" xml:id="l1150">Ah, Madame, apprenez une étrange <ref target="#disgrace"
                >disgrace*</ref>,</l>
            <l n="1151" xml:id="l1151">On ne la sçait encor que sur un bruit confus<note
                place="bottom"><hi rend="i">Confus</hi> : incertain.</note>,</l>
            <l n="1152" xml:id="l1152">Mais si l’on m’a dit vray, le Prince ne vit plus.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1153" xml:id="l1153">Quoy, mon Fils ! Tout va bien, Cleone. Helas, Princesse!</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1154" xml:id="l1154">Ce bruit change en soûpirs<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Soûpirs</hi> : plaintes.</note> la commune allegresse.</l>
            <l n="1155" xml:id="l1155">Chacun de ce malheur également surpris</l>
            <l n="1156" xml:id="l1156">Fait par tout jusqu’à nous retentir de longs cris,</l>
            <l n="1157" xml:id="l1157">On gémit, on se plaint, et le peuple en furie<pb n="50"
                xml:id="p50"/></l>
            <l n="1158" xml:id="l1158">Demande au Ciel raison de cette barbarie,</l>
            <l n="1159" xml:id="l1159">Il jure de vanger un sang si pretieux.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1160" xml:id="l1160">O trop sensible effet du vif couroux des Dieux !</l>
            <l n="1161" xml:id="l1161">Aprés un si long regne et d’ennuys<note place="bottom"><hi
                  rend="i">D’ennuys</hi> : de tourments.</note> et d’alarmes<note place="bottom"><hi
                  rend="i">D’alarme</hi> : de dangers.</note></l>
            <l n="1162" xml:id="l1162">Est-ce là ce bonheur dont ils m’ofroient les charmes ?</l>
            <l n="1163" xml:id="l1163">Ce fils sur qui leur hayne a voulu s’assouvir</l>
            <l n="1164" xml:id="l1164">Ne me l’ont-ils rendu que pour me le ravir ?</l>
            <l n="1165" xml:id="l1165">Mais enfin s’il est mort, connoit-on le perfide</l>
            <l n="1166" xml:id="l1166">Qui s’est osé soüiller d’un si noir <ref target="#parricide"
                >parricide*</ref> ?</l>
            <l n="1167" xml:id="l1167">Comme il luy faut du sang les pleurs sont superflus.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1168" xml:id="l1168">Ariarate est mort, on ne dit rien de plus,</l>
            <l n="1169" xml:id="l1169">On parle seulement de desordre, d’insulte</l>
            <l n="1170" xml:id="l1170">Qu’a causé pour les rangs<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Les rangs</hi> : les escadrons. Cf le v. 1192.</note> un impréveu tumulte,</l>
            <l n="1171" xml:id="l1171">Mais sans que rien s’explique, et si l’on peut douter…</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène III.</head>
          <stage>LAODICE, AXIANE, PHRADATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1172" xml:id="l1172">Que m’apprend-on, Phradate, et qu’ay-je à redouter ?</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="1173" xml:id="l1173">L’aveugle emportement que semble avoir fait naistre</l>
            <l n="1174" xml:id="l1174">Dans un grand peuple <ref target="#emeu">émeu*</ref> la perte
              de son Maistre,</l>
            <l n="1175" xml:id="l1175">Son desespoir éclate, et dans ses cris confus<note
                place="bottom"><hi rend="i">Confus</hi> : multiples, désordonnés.</note>…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1176" xml:id="l1176">Helas ! il est donc vray que mon Fils ne vit plus,</l>
            <l n="1177" xml:id="l1177">Et qu’à mes vœux le Ciel n’a paru favorable<pb n="51 Eij"
                xml:id="p51"/></l>
            <l n="1178" xml:id="l1178">Que pour mieux redoubler le malheur qui m’accable.</l>
            <l n="1179" xml:id="l1179">J’avois eu trop de joye, et tous mes sens saisis</l>
            <l n="1180" xml:id="l1180">Goustoient trop le triomphe où j’attendois ce Fils,</l>
            <l n="1181" xml:id="l1181">Il faut que de sa mort sa gloire soit suivie.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="1182" xml:id="l1182">C’est ce triomphe seul qui luy couste la vie.</l>
            <l n="1183" xml:id="l1183">Par vôtre ordre, Madame, on a fait son pouvoir<note
                place="bottom"><hi rend="i"> On a fait son pouvoir</hi> : on a fait son
                possible.</note></l>
            <l n="1184" xml:id="l1184">Pour se mettre en estat de<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Se mettre en estat de</hi> : se disposer à.</note> l’aller recevoir.</l>
            <l n="1185" xml:id="l1185">Le Peuple sous<note place="bottom"><hi rend="i">Sous</hi> :
                faisant suite, accompagnant.</note> ses Chefs en superbe équipage<note
                place="bottom">Vêtus de leurs plus beaux atours. Fastueusement vêtus.</note></l>
            <l n="1186" xml:id="l1186">Brûloit de s’acquiter de<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >S’acquiter de</hi> : rendre, donner.</note> ce premier hommage,</l>
            <l n="1187" xml:id="l1187">Et sortant de la ville avec l’empressement</l>
            <l n="1188" xml:id="l1188">Qu’inspire à des Sujets un si grand changement,</l>
            <l n="1189" xml:id="l1189">A peine avions-nous fait mille pas dans la Plaine</l>
            <l n="1190" xml:id="l1190">Que nous voyons de loin briller l’Aigle Romaine</l>
            <l n="1191" xml:id="l1191">Qui vers nous à pas lents paroissant advancer</l>
            <l n="1192" xml:id="l1192">Donne à nos Escadrons le temps de se placer.</l>
            <l n="1193" xml:id="l1193">On s’arreste, et tandis qu’on veut se rendre maistre</l>
            <l n="1194" xml:id="l1194">De l’ardeur qu’à la voir nos Soldats font paroistre,</l>
            <l n="1195" xml:id="l1195">Ariarate arrive, et se livre en nos mains</l>
            <l n="1196" xml:id="l1196">Suivy d’Aquilius et d’un gros<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Gros</hi> : troupe nombreuse.</note> de Romains.</l>
            <l n="1197" xml:id="l1197">D’une foy<note place="bottom"><hi rend="i">Foy</hi> :
                dévouement.</note> toute pure il a d’abord pour gages</l>
            <l n="1198" xml:id="l1198">Nos plus profonds respects, nos plus soûmis hommages,</l>
            <l n="1199" xml:id="l1199">Il <ref target="#souffrir">soufre*</ref> avec plaisir qu’on
              le puisse approcher,</l>
            <l n="1200" xml:id="l1200">Et nos devoirs rendus on commence à marcher.</l>
            <l n="1201" xml:id="l1201">C’est lors<note place="bottom"><hi rend="i">C’est lors</hi> :
                c’est alors.</note> qu’entre deux Chefs un interest de gloire<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Un interêt de gloire</hi> : une question de préséance.</note></l>
            <l n="1202" xml:id="l1202">Fait naistre un different qu’on aura peine à croire,</l>
            <l n="1203" xml:id="l1203">Tous deux proches du Prince et le voulant garder</l>
            <l n="1204" xml:id="l1204">Disputent un honneur qu’aucun ne veut ceder,</l>
            <l n="1205" xml:id="l1205">Et dans l’aveugle ardeur de cette préference,</l>
            <l n="1206" xml:id="l1206">Tandis qu’avec Oronte Aquilius s’avance,</l>
            <l n="1207" xml:id="l1207">Tel est l’emportement qui soûtient leurs desseins</l>
            <l n="1208" xml:id="l1208">Qu’aprés quelque menace ils en viennent aux mains.</l>
            <l n="1209" xml:id="l1209">D’un party contre l’autre on voit la troupe <ref
                target="#emeu">émeuë*</ref>, <pb n="52" xml:id="p52"/></l>
            <l n="1210" xml:id="l1210">Malgré nous on se mesle<note place="bottom"><hi rend="i">On
                  se mesle</hi> : on engage le combat.</note>, on se bat, on se tuë,</l>
            <l n="1211" xml:id="l1211">Quand d’un funeste coup jusqu’au Prince échapé</l>
            <l n="1212" xml:id="l1212">Dans ce fatal desordre il est d’abord frapé,</l>
            <l n="1213" xml:id="l1213">Il tombe, et sans avoir la force de rien dire,</l>
            <l n="1214" xml:id="l1214">A peine a t’il poussé deux soûpirs qu’il expire.</l>
            <l n="1215" xml:id="l1215">Cette mort de frayeur saisit les Combatans,</l>
            <l n="1216" xml:id="l1216">On arreste les Chefs et les plus importans,</l>
            <l n="1217" xml:id="l1217">Et voulant qu’à vos yeux l’attentat s’éclaircisse</l>
            <l n="1218" xml:id="l1218">Aquilius icy vient demander justice.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1219" xml:id="l1219">Il l’aura toute entiere, et je luy feray voir</l>
            <l n="1220" xml:id="l1220">L’horreur que j’ay d’un crime et si lâche et si noir,</l>
            <l n="1221" xml:id="l1221">Ce tumulte impréveu cache quelque mystere,</l>
            <l n="1222" xml:id="l1222">Rome a pour l’éclaircir le pouvoir d’une Mere ;</l>
            <l n="1223" xml:id="l1223">Ayant nourry mon Fils elle est au mesme rang,</l>
            <l n="1224" xml:id="l1224">Elle est aux mesmes droits <ref target="#ou">où*</ref> je
              suis par le sang<note place="bottom">Comprendre : Elle a les mêmes droits que moi par
                le sang.</note> ;</l>
            <l n="1225" xml:id="l1225">Mesme interest l’engage à se faire justice,</l>
            <l n="1226" xml:id="l1226">Et de quelque façon qu’un Monarque perisse,</l>
            <l n="1227" xml:id="l1227">Fust-ce par un malheur qu’on n’eust sceu <ref
                target="#prevenir">prévenir*</ref>,</l>
            <l n="1228" xml:id="l1228">Ce crime du hazard est un crime à punir.</l>
            <l n="1229" xml:id="l1229">Princesse, à ma douleur prestez encor la vôtre,</l>
            <l n="1230" xml:id="l1230">Pour mieux vanger ce Fils pressons l’une par l’autre,</l>
            <l n="1231" xml:id="l1231">Il vous eust mise au Trône, et pour en démentir</l>
            <l n="1232" xml:id="l1232">L’injustice du sort qui n’y peut consentir,</l>
            <l n="1233" xml:id="l1233">Si Rome de ses dons <ref target="#souffrir">soufre*</ref> que
              je dispose</l>
            <l n="1234" xml:id="l1234">Vôtre espoir n’aura rien où<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Où</hi> : contre quoi. Cf.v.102.</note> mon chagrin s’oppose,</l>
            <l n="1235" xml:id="l1235">Obtenez son adveu, je vous rends vos Estats.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1236" xml:id="l1236">Madame, vos bontez ne me surprennent pas,</l>
            <l n="1237" xml:id="l1237">Mais je me croirois l’ame aussi lâche qu’ingrate</l>
            <l n="1238" xml:id="l1238">Si j’oubliois si-tost la mort d’Ariarate.</l>
            <l n="1239" xml:id="l1239">Vangez-la, punissez un perfide assassin,</l>
            <l n="1240" xml:id="l1240">Et le Senat aprés reglera mon Destin.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène IV.</head>
          <stage>LAODICE, AXIANE, ANAXANDRE, PHRADATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1241" xml:id="l1241" part="I">Et bien, mon Fils est mort, Anaxandre ? <pb
                n="53 E iij" xml:id="p53"/></l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l part="F">Ouy, Madame,</l>
            <l n="1242" xml:id="l1242">Dans les bras des Romains il vient de rendre l’ame,</l>
            <l n="1243" xml:id="l1243">Sa <ref target="#gloire">gloire*</ref> a fait sa perte, et
              jamais on n’a veu</l>
            <l n="1244" xml:id="l1244">Revers plus surprenant ny coup plus impréveu.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1245" xml:id="l1245">De ce coup du hazard je perce le mystere,</l>
            <l n="1246" xml:id="l1246">Voyla ce que me couste un Peuple temeraire,</l>
            <l n="1247" xml:id="l1247">Qui me voulant contraindre à faire choix d’un Roy</l>
            <l n="1248" xml:id="l1248">Preste à l’ambition des armes contre moy.</l>
            <l n="1249" xml:id="l1249">Ma douleur entre vous ne designe personne,</l>
            <l n="1250" xml:id="l1250">Mais mon Fils n’estant plus, ma Fille a la Couronne,</l>
            <l n="1251" xml:id="l1251">Et le don de sa main qui fait tant de jaloux</l>
            <l n="1252" xml:id="l1252">Pour qui peut y prétendre a des charmes bien doux,</l>
            <l n="1253" xml:id="l1253">Sans ce coupable espoir mon Fils vivroit encore.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="1254" xml:id="l1254">Ce soupçon peut avoir des raisons que j’ignore,</l>
            <l n="1255" xml:id="l1255">Mais comme enfin par là mon honneur est noircy</l>
            <l n="1256" xml:id="l1256">Je me rends prisonnier tant qu’il soit éclaircy.</l>
            <l n="1257" xml:id="l1257">L’innocence à l’épreuve aisément s’abandonne.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="1258" xml:id="l1258">Madame il est fâcheux de voir qu’on nous soupçonne,</l>
            <l n="1259" xml:id="l1259">Mais si l’espoir du Trône a pû nous engager</l>
            <l n="1260" xml:id="l1260">A resoudre une mort que vous devez vanger,</l>
            <l n="1261" xml:id="l1261">Que croira-t’on d’Oronte à qui dans ce jour mesme <pb n="54"
                xml:id="p54"/></l>
            <l n="1262" xml:id="l1262">Vôtre hymen resolu<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Résolu</hi> : prévu, décidé.</note> donnoit le Diadême ?</l>
            <l n="1263" xml:id="l1263">Je ne l’accuse point, mais on est estonné</l>
            <l n="1264" xml:id="l1264">Que venant pour le Prince il l’ait abandonné ;</l>
            <l n="1265" xml:id="l1265">Qu’avec Aquilius s’avançant vers la ville</l>
            <l n="1266" xml:id="l1266">Il ait rendu pour luy son secours inutile,</l>
            <l n="1267" xml:id="l1267">Et semble tout exprés s’estre mis hors d’estat</l>
            <l n="1268" xml:id="l1268">D’apporter quelque obstacle à ce lâche attentat.</l>
            <l n="1269" xml:id="l1269">On se plaint, et beaucoup le traitent de coupable<note
                place="bottom"><hi rend="i">Le traitent de coupable</hi> : le traitent comme s’il
                était le coupable.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1270" xml:id="l1270">De tant de perfidie Oronte est incapable.</l>
            <l n="1271" xml:id="l1271">Sa vertu, son grand cœur, tout parle assez pour luy.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="1272" xml:id="l1272">Je sçay que sa vertu luy doit servir d’appuy,</l>
            <l n="1273" xml:id="l1273">Qu’un vray Heros est ferme<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Ferme</hi> : sûr, droit, loyal.</note>, et jamais ne s’oublie,</l>
            <l n="1274" xml:id="l1274">Mais Aquilius sçait ce que l’on en publie<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Ce que l’on en publie</hi> : ce qui en est dit
              publiquement.</note>,</l>
            <l n="1275" xml:id="l1275">Et dans l’horreur du crime où va la trahison</l>
            <l n="1276" xml:id="l1276">Peut-il se dispenser d’en demander raison ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1277" xml:id="l1277">D’Oronte pour l’Estat le zele inébranlable</l>
            <l n="1278" xml:id="l1278">Repousse les soupçons qui le peignent<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Le peignent</hi> : le font paraître coupable.</note> coupable,</l>
            <l n="1279" xml:id="l1279">Pour les pouvoir soufrir<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Souffrir</hi> : supporter.</note> sa gloire a trop d’éclat.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="1280" xml:id="l1280">Madame, Aquilius parle au nom du Senat,</l>
            <l n="1281" xml:id="l1281">Et quand d’Ariarate il doit luy rendre compte,</l>
            <l n="1282" xml:id="l1282">S’il demandoit qu’à Rome on envoyast Oronte,</l>
            <l n="1283" xml:id="l1283">Pour l’oser affranchir d’un ordre si pressant<note
                place="bottom"><hi rend="i">Pressant</hi> : impèrieux.</note>,</l>
            <l n="1284" xml:id="l1284">Pensez-vous qu’il suffist de le croire innocent ?</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1285" xml:id="l1285">Le voicy qui paroist, <ref target="#souffrir">soufrez*</ref>
              que je vous quitte.</l>
            <l n="1286" xml:id="l1286">Un sensible interest<note place="bottom">C’est a dire :
                quelque chose qui vous tient manifestement à cœur.</note> à punir vous invite,</l>
            <l n="1287" xml:id="l1287">Madame, et je craindrois dans un sort<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Un sort</hi> : une situation.</note> si cruel</l>
            <l n="1288" xml:id="l1288">D’avoir de mauvais yeux<note place="bottom"><hi rend="i">De
                  mauvais yeux</hi> : un jugement malveillant, mal fondé.</note> à voir le
              criminel.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène V.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE, ANAXANDRE, PHRADATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1289" xml:id="l1289">Viens, Oronte, et répons, c’est en vain qu’on t’excuse<note
                place="bottom"><hi rend="i">Qu’on t’excuse</hi> : qu’on prend ta défense.</note>,<pb
                n="55" xml:id="p55"/></l>
            <l n="1290" xml:id="l1290">Sur un bruit qui s’épand<note place="bottom"><hi rend="i">Qui
                  s’épand</hi> : qui se répand.</note> Anaxandre t’accuse,</l>
            <l n="1291" xml:id="l1291">Est-ce à toy que le crime a si bien reüssy?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1292" xml:id="l1292">Madame, Aquilius est à vint pas d’icy,</l>
            <l n="1293" xml:id="l1293">Il a sceu l’attentat, et s’il m’en croit complice,</l>
            <l n="1294" xml:id="l1294">J’ay du sang à verser, vous luy ferez justice.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1295" xml:id="l1295">Dans le superbe<note place="bottom"><hi rend="i"
                >Superbe</hi> : digne d’orgueil.</note> espoir que je t’avois donné</l>
            <l n="1296" xml:id="l1296">C’est estre criminel que d’estre soupçonné,</l>
            <l n="1297" xml:id="l1297">On murmure, on se plaint, qu’as-tu pour te défendre ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1298" xml:id="l1298">Peut-estre est-ce un peu trop que d’en<note place="bottom"
                >Nous dirions <hi rend="i">de croire</hi>.</note> croire Anaxandre.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="1299" xml:id="l1299">J’ay dit ce qu’on publie<note place="bottom"><hi rend="i">Ce
                  qu’on publie</hi> : ce qu’on rend public.</note>, et n’ay point prétendu</l>
            <l n="1300" xml:id="l1300">Appuyer un soupçon qui ne vous est pas deu ;</l>
            <l n="1301" xml:id="l1301">Mais il a beau s’armer contre vostre innocence,</l>
            <l n="1302" xml:id="l1302">Nos Mutins arrestez prendront vostre défence,</l>
            <l n="1303" xml:id="l1303">Et n’ayant point de part à la coupable ardeur…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1304" xml:id="l1304">Vous pourrez achever devant l’Ambassadeur.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène VI.</head>
          <stage>LAODICE, AQUILIUS, ARIARATE, ANAXANDRE, PHRADATE, CLEONE, THEODOT, suite de
            Romains.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1305" xml:id="l1305">Seigneur, qui l’auroit crû qu’un jour si plein de charmes <pb
                n="56" xml:id="p56"/></l>
            <l n="1306" xml:id="l1306">Dust estre un jour pour moy de soûpirs et de larmes,</l>
            <l n="1307" xml:id="l1307">Et que venant icy pour finir mes malheurs</l>
            <l n="1308" xml:id="l1308">La gloire de vous voir me pust couster des pleurs ?</l>
            <l n="1309" xml:id="l1309">Pour tout remerciement à vostre Republique</l>
            <l n="1310" xml:id="l1310">Faut-il que ma douleur avec elle s’explique<note
                place="bottom"><hi rend="i">S’explique</hi> : se manifeste, se montre.</note>,</l>
            <l n="1311" xml:id="l1311">Et que de ses bienfaits je luy marque le prix</l>
            <l n="1312" xml:id="l1312">Par le trouble où me met la perte de mon Fils ?</l>
            <l n="1313" xml:id="l1313">Vous nous le rameniez instruit par de grands Maistres</l>
            <l n="1314" xml:id="l1314">A marcher sur les pas de ses dignes Ancestres,</l>
            <l n="1315" xml:id="l1315">Et par le dur revers du plus funeste sort</l>
            <l n="1316" xml:id="l1316">Le moment de sa gloire est celuy de sa mort.</l>
            <l n="1317" xml:id="l1317">A ce cruel objet ma raison qui me quitte</l>
            <l n="1318" xml:id="l1318">Céde aux égarements de mon ame interdite,</l>
            <l n="1319" xml:id="l1319">Et se perd quand je trouve à vanger à la fois</l>
            <l n="1320" xml:id="l1320">Et l’injure de Rome, et le sang de nos Rois.</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1321" xml:id="l1321">Madame, je vous plains, et de votre infortune</l>
            <l n="1322" xml:id="l1322">La fatale rigueur semble si peu commune,</l>
            <l n="1323" xml:id="l1323">Qu’il est bien malaisé qu’avecque moins d’éclat</l>
            <l n="1324" xml:id="l1324">Vostre fermeté<note place="bottom"><hi rend="i">Votre
                  fermeté</hi> : votre force.</note> cede au coup qui vous abat ;</l>
            <l n="1325" xml:id="l1325">Il est rude sans doute, et quand sa violence<pb n="57"
                xml:id="p57"/></l>
            <l n="1326" xml:id="l1326">Laisse vostre ame entiere ouverte à la vangeance,</l>
            <l n="1327" xml:id="l1327">Si c’est vous soulager que de vous dire icy</l>
            <l n="1328" xml:id="l1328">Que j’en veux avec vous partager le soucy,</l>
            <l n="1329" xml:id="l1329">Ne vous inquietez que du choix des suplices.</l>
            <l n="1330" xml:id="l1330">Pour sçavoir<note place="bottom"><hi rend="i">Pour
                  sçavoir</hi> : pour connaître.</note> le Coupable il suffit des Complices,</l>
            <l n="1331" xml:id="l1331">Mes soins à le trouver ne sçauroient estre vains,</l>
            <l n="1332" xml:id="l1332">Et vous pouvez déja le croire entre vos mains.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1333" xml:id="l1333">C’est par là seulement qu’aux ennuis<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Ennuis</hi> : sens fort. Tourments.</note> où je cede</l>
            <l n="1334" xml:id="l1334">Aprés la mort d’un Fils j’attens quelque remede.</l>
            <l n="1335" xml:id="l1335">Pour satisfaire Rome, et remplir cét espoir</l>
            <l n="1336" xml:id="l1336">Prenez icy, Seigneur, un absolu pouvoir,</l>
            <l n="1337" xml:id="l1337">Je sçay que d’injustice et d’erreur incapable</l>
            <l n="1338" xml:id="l1338">Vous sçaurez separer l’innocent du coupable,</l>
            <l n="1339" xml:id="l1339">Et que ceux que l’Envie aime à persecuter</l>
            <l n="1340" xml:id="l1340">Sur un premier soupçon n’ont rien à redouter.</l>
            <l n="1341" xml:id="l1341">Peut-estre ma douleur dans son impatience</l>
            <l n="1342" xml:id="l1342">Auroit moins de lumiere, et plus de violence,</l>
            <l n="1343" xml:id="l1343">C’est vous qu’elle en veut croire, ordonnez, punissez.</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1344" xml:id="l1344">L’outrage est grand pour Rome, et vous le connoissez ;</l>
            <l n="1345" xml:id="l1345">Mais de quelque rigueur qu’il arme sa colere,</l>
            <l n="1346" xml:id="l1346">Madame, elle est encore plus juste que severe,</l>
            <l n="1347" xml:id="l1347">Et s’il m’en faut par tout soûtenir l’interest<note
                place="bottom"><hi rend="i">L’interest</hi> : le parti.</note>,</l>
            <l n="1348" xml:id="l1348">Quand j’ose condamner, je répons de l’arrest ;</l>
            <l n="1349" xml:id="l1349">Mais aussy je ne puis qu’aux perils de ma teste</l>
            <l n="1350" xml:id="l1350">Voir sans précaution qu’un grand trouble s’appreste<note
                place="bottom"><hi rend="i">S’appreste</hi> : se pépare.</note>,</l>
            <l n="1351" xml:id="l1351">Et je serois suspect moy-mesme d’attentat</l>
            <l n="1352" xml:id="l1352">Si j’avois negligé d’en prévenir l’éclat<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">L’éclat</hi> : le fait que ce trouble éclate.</note>.</l>
            <l n="1353" xml:id="l1353">J’ay de pressants<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Pressants</hi> : alarmants.</note> soupçons qui ne peuvent paroistre</l>
            <l n="1354" xml:id="l1354">Qu<note place="bottom"><hi rend="i">Qu’</hi> : avant
                que.</note>’on n’ait mis en lieu seur ceux qui les ont fait naistre,</l>
            <l n="1355" xml:id="l1355">Dans leur juste défence ils seront écoutez,</l>
            <l n="1356" xml:id="l1356">Mais je ne parle point s’ils ne sont arrestez,</l>
            <l n="1357" xml:id="l1357">C’est au nom du Senat que je vous le demande. <pb n="58"
                xml:id="p58"/></l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="1358" xml:id="l1358">Il n’est rien que sous<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Sous</hi> : sous votre autorité.</note> vous l’innocence apprehende,</l>
            <l n="1359" xml:id="l1359">Madame, et si d’Oronte on s’obstine à douter…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1360" xml:id="l1360">Où l’ordre est du Senat il faut l’executer.</l>
            <l n="1361" xml:id="l1361">Parlez, de qui, Seigneur, voulez-vous qu’on s’assure ?</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1362" xml:id="l1362" part="I">D’Anaxandre.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l part="M">De moy !</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l part="F">Si c’est vous faire injure,</l>
            <l n="1363" xml:id="l1363">Le sang des criminels sçaura la réparer.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l n="1364" xml:id="l1364" part="I">Madame…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Il n’est pas temps, Prince, d’en murmurer<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >D’en murmurer</hi> : de protester.</note>.</l>
            <l n="1365" xml:id="l1365" part="I">Qu’on le conduise au Fort.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE.</speaker>
            <l part="F">Quoy, jusqu’à l’injustice</l>
            <l n="1366" xml:id="l1366">Rome n’a qu’à vouloir, il faut qu’on obeïsse ?</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1367" xml:id="l1367">Rome en est incapable, et quand<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Quand</hi> : si.</note> vous l’offencez…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE</speaker>
            <l n="1368" xml:id="l1368">Theodot, suivez<note place="bottom"><hi rend="i"
                >Suivez</hi> : executez.</note> l’ordre, et vous, obeïssez.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE</speaker>
            <l n="1369" xml:id="l1369" part="I">Que sans esgard au rang…</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE</speaker>
            <l part="F">Obeïssez, vous dis-je,</l>
            <l n="1370" xml:id="l1370">Vous mesme vous sçavez à quoy Rome m’oblige,</l>
            <l n="1371" xml:id="l1371">Contre vous, contre tous je dois luy déferer<note
                place="bottom"><hi rend="i">Lui déferer</hi> : lui obéir.</note>,</l>
            <l n="1372" xml:id="l1372">Si le soupçon est faux on sçaura l’averer<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">L’averer</hi> : le prouver, rétablir la vérité.</note>,</l>
            <l n="1373" xml:id="l1373" part="I">Allez, qu’on me réponde<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Qu’on me réponde</hi> : qu’on m’obéisse.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="anaxandre">
            <speaker>ANAXANDRE</speaker>
            <l part="F">Il faut ceder, Madame, <pb n="59" xml:id="p59"/></l>
            <l n="1374" xml:id="l1374">Mais pour m’en consoler vous connoissez mon ame<note
                place="bottom"><hi rend="i">Mon ame</hi> : mes sentiments.</note>,</l>
            <l n="1375" xml:id="l1375">Et ne <ref target="#souffrir">soufrirez*</ref> pas que l’on
              me pousse à bout.</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS</speaker>
            <l n="1376" xml:id="l1376">Suivez, Lucilian, et prenez garde à tout.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène VII.</head>
          <stage>LAODICE, AQUILIUS, ARIARATE, PHRADATE, CLEONE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1377" xml:id="l1377">Estes-vous satisfait, Seigneur, de ma franchise ?</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1378" xml:id="l1378">Madame, à cét éclat le Senat m’autorise,</l>
            <l n="1379" xml:id="l1379">Et vous ne pouviez mieux vous acquiter vers<note
                place="bottom"><hi rend="i">Vers</hi> : envers.</note> luy</l>
            <l n="1380" xml:id="l1380">Que par ce que son ordre en vous trouve d’appuy<note
                place="bottom"><hi rend="i">D’appuy</hi> : de soutien.</note>,</l>
            <l n="1381" xml:id="l1381">Il l’apprendra sans doute avec beaucoup de joye,</l>
            <l n="1382" xml:id="l1382">Mais il est temps qu’icy la vostre se déploye,</l>
            <l n="1383" xml:id="l1383">Et que la mort d’un lâche indigne de vos pleurs</l>
            <l n="1384" xml:id="l1384">Cesse d’estre comptée au nombre des malheurs.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1385" xml:id="l1385" part="I">Que dites-vous, Seigneur ?</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l part="F">Que toûjours équitable</l>
            <l n="1386" xml:id="l1386">Le Ciel à l’attentat n’a livré qu’un Coupable,</l>
            <l n="1387" xml:id="l1387">Qui dérobant le nom du Prince vostre Fils</l>
            <l n="1388" xml:id="l1388">A la fourbe<note place="bottom"><hi rend="i">A la
                fourbe</hi> : par le recours à la fourberie, à la malhonnêteté.</note> déja croyoit
              le Trône acquis.</l>
            <l n="1389" xml:id="l1389">Rome vous l’envoyoit pour en punir l’audace.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1390" xml:id="l1390">Ce n’estoit pas mon Fils ! Ah, Seigneur, mais de grace,</l>
            <l n="1391" xml:id="l1391">Le sort d’Ariarate en sera-t’il plus doux ? <pb n="60"
                xml:id="p60"/></l>
            <l n="1392" xml:id="l1392">Puis-je croire qu’il vive, et me l’amenez-vous ?</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1393" xml:id="l1393">Il est vivant, Madame, et le bruit de sa perte</l>
            <l n="1394" xml:id="l1394">Fut une illusion heureusement offerte,</l>
            <l n="1395" xml:id="l1395">Dont Rome interessée<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Interessée</hi> : décidée, tenant fermement à.</note> à vous garder ce Fils,</l>
            <l n="1396" xml:id="l1396">Pour ne l’exposer pas, se crut l’abus permis.</l>
            <l n="1397" xml:id="l1397">Elle en prit toûjours soin, et preste à vous le rendre</l>
            <l n="1398" xml:id="l1398">Tel que d’elle aujourd’huy vous le pouvez attendre,</l>
            <l n="1399" xml:id="l1399">Elle a voulu d’abord <ref target="#prevenir">prévenir*</ref>
              en ces lieux</l>
            <l n="1400" xml:id="l1400">Ce qu’elle soupçonnoit de quelques Factieux.</l>
            <l n="1401" xml:id="l1401">Vous en voyez l’effet, et leur rage peut-estre</l>
            <l n="1402" xml:id="l1402">Sur un Fourbe avortée aura peine à renaistre,</l>
            <l n="1403" xml:id="l1403">Quand le Prince averty qu’on en veut à ses jours</l>
            <l n="1404" xml:id="l1404">Dans sa précaution trouvera du secours.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1405" xml:id="l1405">Quoy donc, il se pourra qu’enfin je le revoye ?</l>
            <l n="1406" xml:id="l1406">Phradate, allez au Peuple annoncer cette joye,</l>
            <stage>Ariarate sort.<note place="bottom">Cette didascalie semble comporter une erreur :
                c’est Phradate qui , selon le v. 1406 devrait sortir ici.</note></stage>
            <l n="1407" xml:id="l1407">En le tirant d’erreur calmez son desespoir ;</l>
            <l n="1408" xml:id="l1408">Mais, Seigneur, hastez-vous de me le faire voir,</l>
            <l n="1409" xml:id="l1409">L’entreprise manquée il n’a plus rien à craindre.</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1410" xml:id="l1410">Un juste empressement a peine à se contraindre,</l>
            <l n="1411" xml:id="l1411">Vous le verrez bientost paroistre avec éclat,</l>
            <l n="1412" xml:id="l1412">Cependant apprenez l’équité du Senat.</l>
            <l n="1413" xml:id="l1413">S’il fait régner ce Fils que le Ciel vous redonne</l>
            <l n="1414" xml:id="l1414">Il ne peut consentir à vous voir sans Couronne,</l>
            <l n="1415" xml:id="l1415">Et que ce changement vous reduise aujourd’huy</l>
            <l n="1416" xml:id="l1416">A ne donner des loix que sous l’aveu<note place="bottom"><hi
                  rend="i">L’aveu</hi> : l’autorisation.</note> d’autruy.</l>
            <l n="1417" xml:id="l1417">Vivez sans dépendance, et toûjours Souveraine,</l>
            <l n="1418" xml:id="l1418">Les Lycaoniens vous recevront pour Reyne,</l>
            <l n="1419" xml:id="l1419">Comme ils sont sa conqueste, il en peut disposer.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1420" xml:id="l1420">Je sçay qu’en vain mon Fils s’y voudroit opposer<note
                place="bottom">il voudra s’y opposer mais en vain.</note>,<pb n="61 F" xml:id="p61"
              /></l>
            <l n="1421" xml:id="l1421">Si la Lycaonie est jointe à cét Empire</l>
            <l n="1422" xml:id="l1422">C’est le prix d’un malheur dont encor je soûpire,</l>
            <l n="1423" xml:id="l1423">Le bonheur des Romains me cousta mon Espoux,</l>
            <l n="1424" xml:id="l1424">Mais soufrez que ce Fils en resolve<note place="bottom"
                >Décide de cela.</note> pour nous.</l>
            <l n="1425" xml:id="l1425">Attachée à son sort, et moins Reyne que Mere</l>
            <l n="1426" xml:id="l1426">Je cherche sa grandeur, elle seule m’est chere;</l>
            <l n="1427" xml:id="l1427">Qu’il me soufre avec luy, qu’il vueille m’éloigner,</l>
            <l n="1428" xml:id="l1428">Mes voeux sont satisfaits si je le vois régner,</l>
            <l n="1429" xml:id="l1429">Ce triomphe est le seul où ma tendresse aspire,</l>
            <l n="1430" xml:id="l1430">Jusque-là dans ces lieux prenez un plein empire,</l>
            <l n="1431" xml:id="l1431">Venez pourvoir à tout, et selon vos souhaits</l>
            <l n="1432" xml:id="l1432">Ordonnez de<note place="bottom"><hi rend="i">Ordonnez
                de</hi> : disposez de, donnez des ordres à votre guise.</note> la ville ainsy que du
              Palais.</l>
            <p rend="center">Fin du quatriéme Acte.</p>
          </sp>
        </div>
      </div>
      <div type="act">
        <head>ACTE V.</head>
        <div type="scene">
          <head>Scène première.</head>
          <stage>ARIARATE, PHRADATE.</stage>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1433" xml:id="l1433">Quoy, malgré tant d’efforts pour calmer sa furie <pb n="62"
                xml:id="p62"/></l>
            <l n="1434" xml:id="l1434">On n’a pû l’empescher de s’immoler sa vie ?</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="1435" xml:id="l1435">Seigneur, on a tâché d’éviter ce malheur,</l>
            <l n="1436" xml:id="l1436">Mais le Peuple animé de rage et de douleur</l>
            <l n="1437" xml:id="l1437">Dans son emportement ne cherchant qu’où se prendre,</l>
            <l n="1438" xml:id="l1438">Quoy qu’ait fait Theodot s’est saisy d’Anaxandre,</l>
            <l n="1439" xml:id="l1439">Et sans vouloir soufrir qu’on le menast au Fort,</l>
            <l n="1440" xml:id="l1440">Du Prince Ariarate il faut vanger la mort,</l>
            <l n="1441" xml:id="l1441">A-t’il dit, et soudain, comme seur de son crime</l>
            <l n="1442" xml:id="l1442">Sans rien examiner il l’a pris pour victime.</l>
            <l n="1443" xml:id="l1443">Anaxandre mourant fait oüir à hauts cris</l>
            <l n="1444" xml:id="l1444">Que la Reyne elle seule a fait perir son Fils,</l>
            <l n="1445" xml:id="l1445">Et de ce Peuple <ref target="#emeu">esmeu*</ref> l’impatiente
              rage</l>
            <l n="1446" xml:id="l1446">Eust pû jusques sur elle achever son ouvrage,</l>
            <l n="1447" xml:id="l1447">Si d’un faux attentat le bruit par tout semé</l>
            <l n="1448" xml:id="l1448">En le<note place="bottom">Le peuple.</note> tirant d’erreur
              ne l’eust pas desarmé.</l>
            <l n="1449" xml:id="l1449">A voir par ses transports<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >ses transports</hi> : ses emportements, ses élans.</note> quel doux espoir le
                flate<note place="bottom"><hi rend="i">Le flate</hi> : le berce.</note><pb
                n="63 F ij" xml:id="p63"/></l>
            <l n="1450" xml:id="l1450">Sçachant qu’il n’a pleuré qu’un feint Ariarate<note
                place="bottom"><hi rend="i">Un feint Ariarate</hi> : un faux Ariarate.</note>,</l>
            <l n="1451" xml:id="l1451">Il semble qu’il connoit<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Qu’il connoît</hi> : qu’il se rend compte, qu’il comprend.</note> déja pour son
              repos</l>
            <l n="1452" xml:id="l1452">Que le Ciel va pour Roy luy donner un Heros,</l>
            <l n="1453" xml:id="l1453">Qu’il n’est bonheur sous vous<note place="bottom">Sous vous :
                sous votre autorité.</note> qu’il n’ait sujet d’attendre.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1454" xml:id="l1454">Ainsy j’ay causé seul le malheur d’Anaxandre</l>
            <l n="1455" xml:id="l1455">Que par Aquilius j’avois fait arréter</l>
            <l n="1456" xml:id="l1456">Pour rompre seulement ce qu’il eust pû tenter.</l>
            <l n="1457" xml:id="l1457">Mais si d’un Ennemy sa mort m’a sceu défaire,</l>
            <l n="1458" xml:id="l1458">Que n’ay-je point toûjours à craindre de ma mere ?</l>
            <l n="1459" xml:id="l1459">Tous ses voeux n’ont pour but que de me voir perir.</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="1460" xml:id="l1460">Le Ciel jusques au bout sçaura vous secourir,</l>
            <l n="1461" xml:id="l1461">Il s’est trop declaré contre son injustice.</l>
            <l n="1462" xml:id="l1462">Cependant de sa hayne admirez l’artifice<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">L’artifice</hi> : l’adresse, l’art.</note>.</l>
            <l n="1463" xml:id="l1463">Tout ce que pour un Fils sauvé des Factieux</l>
            <l n="1464" xml:id="l1464">On peut montrer de joye, éclate dans ses yeux.</l>
            <l n="1465" xml:id="l1465">Avec Aquilius elle régle<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >elle règle</hi> : elle décide.</note>, elle ordonne</l>
            <l n="1466" xml:id="l1466">Qui doit d’Ariarate escorter la personne,</l>
            <l n="1467" xml:id="l1467">Quelle sera sa Garde, et par où <ref target="#prevenir"
                >prévenir*</ref></l>
            <l n="1468" xml:id="l1468">Les suites d’un forfait qu’elle cherche à punir.</l>
            <l n="1469" xml:id="l1469">Aucun trouble échapé ne la montre gênée<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Gênée</hi> : embarrassée.</note></l>
            <l n="1470" xml:id="l1470">De tout ce qu’a produit cette grande journée,</l>
            <l n="1471" xml:id="l1471">Ses voeux sont exaucez, le Ciel luy rend son Fils.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1472" xml:id="l1472">C’est trop soufrir<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Soufrir</hi> : supporter.</note> l’abysme où sa hayne m’a mis,</l>
            <l n="1473" xml:id="l1473">Si mes soûmissions ne servent qu’à l’accroistre</l>
            <l n="1474" xml:id="l1474">Estonnons<note place="bottom"><hi rend="i">Estonnons</hi> :
                sens fort. Ebranlons, bouleversons, prenons violemment de cours.</note> cette hayne
              en me faisant connoistre,</l>
            <l n="1475" xml:id="l1475">Et voyons si ce Fils par son orgueil trahy</l>
            <l n="1476" xml:id="l1476">Connu pour ce qu’il est sera toûjours hay.</l>
            <l n="1477" xml:id="l1477">La voicy, laissez-moy sur cette ame trop dure</l>
            <l n="1478" xml:id="l1478">Faire un dernier effort pour vaincre la nature,</l>
            <l n="1479" xml:id="l1479">Le temps de ce triomphe est peut-estre arrivé.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène II.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1480" xml:id="l1480">Vous l’emportez, Oronte, et mon Fils est sauvé, <pb n="64"
                xml:id="p64"/></l>
            <l n="1481" xml:id="l1481">Contre les <ref target="#fier">fiers*</ref><note
                place="bottom"><hi rend="i">Fiers</hi> : cruels, noirs.</note> projets de ma jalouse
              envie</l>
            <l n="1482" xml:id="l1482">Déja le Ciel deux fois a défendu sa vie,</l>
            <l n="1483" xml:id="l1483">Deux fois de ma fureur il a rompu les coups,</l>
            <l n="1484" xml:id="l1484">Mais il n’eust pu jamais en triompher sans vous.</l>
            <l n="1485" xml:id="l1485">C’est vous qui sur mon coeur plus fort que le Ciel mesme</l>
            <l n="1486" xml:id="l1486">Y sçavez moderer l’ardeur du Diadême<note place="bottom">Nous
                dirions <hi rend="i">l’ardeur pour le diadême</hi>.</note>,</l>
            <l n="1487" xml:id="l1487">Et contraindre l’orgueil qu’a trop enflé mon rang</l>
            <l n="1488" xml:id="l1488">A croire la Nature, et respecter le sang.</l>
            <l n="1489" xml:id="l1489">C’en est fait, cét orgueil n’a plus rien qui m’anime,</l>
            <l n="1490" xml:id="l1490">A force de vertus vous m’arrachez au crime,</l>
            <l n="1491" xml:id="l1491">Malgré tant de serments de ne rien épargner</l>
            <l n="1492" xml:id="l1492">Ariarate est seur de vivre et de régner,</l>
            <l n="1493" xml:id="l1493">Mon ambition céde, il n’a plus rien à craindre.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1494" xml:id="l1494">Je brusle de vous croire, et cherche à m’y contraindre ;</l>
            <l n="1495" xml:id="l1495">Mais pardonnez, Madame, à mon coeur interdit</l>
            <l n="1496" xml:id="l1496">Un scrupule forcé<note place="bottom">Que je suis forcé
                d’écouter.</note> que mon respect dédit<note place="bottom"><hi rend="i"
                >Dédie</hi> : désavoue.</note>.</l>
            <l n="1497" xml:id="l1497">C’est en vain que je veux empescher qu’il n’éclate.</l>
            <l n="1498" xml:id="l1498">Vous m’avez demandé le sang d’Ariarate,</l>
            <l n="1499" xml:id="l1499">Et si malgré les Dieux qui s’en montrent l’appuy</l>
            <l n="1500" xml:id="l1500">La mesme ardeur encor vous armoit contre luy,</l>
            <l n="1501" xml:id="l1501">Me découvririez-vous<note place="bottom"><hi rend="i">Me
                  découvririez-vous</hi> : me feriez vous part de.</note> cette funeste envie</l>
            <l n="1502" xml:id="l1502">A moy dont le refus vous a si mal servie,</l>
            <l n="1503" xml:id="l1503">Et qui tâchant à rompre un dessein trop cruel</l>
            <l n="1504" xml:id="l1504">Peut-estre auprés de vous me suis fait criminel ?</l>
            <l n="1505" xml:id="l1505">Ainsy par où<note place="bottom"><hi rend="i">Par où</hi> :
                comment, par quel moyen.</note> juger qu’un repentir syncere <pb n="65 F iij"
                xml:id="p65"/></l>
            <l n="1506" xml:id="l1506">Faisant vaincre le sang luy rend enfin sa mere ?</l>
            <l n="1507" xml:id="l1507">Quel garand aura-t’il d’un si grand changement ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1508" xml:id="l1508">Le Ciel qui le protege, et mon éloignement.</l>
            <l n="1509" xml:id="l1509">Je suis juste, et vois trop à quelle défiance<note
                place="bottom"><hi rend="i">Défiance</hi> : soupçon.</note></l>
            <l n="1510" xml:id="l1510">Le doit de mes projets porter la connoissance</l>
            <l n="1511" xml:id="l1511">Pour exiger de luy que s’asseurant sur moy<note
                place="bottom"><hi rend="i">S’asseurant sur moi</hi> : me faisant
              confiance.</note></l>
            <l n="1512" xml:id="l1512">Il <ref target="#souffrir">soufrist*</ref> ma presence et
              régnast sans effroy.</l>
            <l n="1513" xml:id="l1513">J’ay conspiré sa perte, et pour m’en voir punie</l>
            <l n="1514" xml:id="l1514">Je m’impose l’exil de la Lycaonie,</l>
            <l n="1515" xml:id="l1515">C’est là que le Senat m’autorise à régner,</l>
            <l n="1516" xml:id="l1516">J’y consens, et déja suis preste à m’éloigner ;</l>
            <l n="1517" xml:id="l1517">Mais dans ce qu’il me laisse et d’honneurs et de gloire</l>
            <l n="1518" xml:id="l1518">Mon coeur<note place="bottom"><hi rend="i">Mon cœur</hi> :
                mes pensées intimes.</note> de vos vertus ne perd pas la memoire,</l>
            <l n="1519" xml:id="l1519">Et si ce coeur au Trône ose encor se donner</l>
            <l n="1520" xml:id="l1520">C’est moins pour en joüir que pour vous couronner,</l>
            <l n="1521" xml:id="l1521">Ouy, vous ayant flaté<note place="bottom"><hi rend="i">Vous
                  ayant flaté</hi> : vous ayant donné l’espoir de.</note> d’un pompeux hymenée</l>
            <l n="1522" xml:id="l1522">Je ne révoque point ma parole donnée,</l>
            <l n="1523" xml:id="l1523">A vous voir mon Espoux mes voeux sont limitez.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1524" xml:id="l1524">Je sçay ce que je dois à vos rares<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Rares</hi> : étranges ou extraordinaires ou grandes, louables.</note>
              bontez,</l>
            <l n="1525" xml:id="l1525">Mais quand il vous a plû de me laisser prétendre</l>
            <l n="1526" xml:id="l1526">Aux pompes d’un Hymen qui vous faisoit descendre<note
                place="bottom"><hi rend="i">Descendre</hi> : vous abaisser.</note>,</l>
            <l n="1527" xml:id="l1527">Craignant tout des Romains, dans ce pressant besoin</l>
            <l n="1528" xml:id="l1528">Vous cherchiez un appuy dont les Dieux ont pris soin<note
                place="bottom"><hi rend="i">Ont pris soin</hi> : ont veillé.</note>,</l>
            <l n="1529" xml:id="l1529">De cét abaissement ils vous ont dégagée<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Dégagée</hi> : libérée.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1530" xml:id="l1530">S’ils ont changé mon sort ils ne m’ont pas changée,</l>
            <l n="1531" xml:id="l1531">Et ce Fils, si long-temps par ma hayne opprimé,</l>
            <l n="1532" xml:id="l1532">Seroit encor haï si vous n’étiez aimé.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1533" xml:id="l1533" part="I">Si je n’étois aimé ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">J’ay voulu vous le taire <pb n="66" xml:id="p66"/></l>
            <l n="1534" xml:id="l1534">Tant qu’un prétexte heureux m’a permis de le faire,</l>
            <l n="1535" xml:id="l1535">Et que ce qu’un beau feu pour vous m’a fait oser</l>
            <l n="1536" xml:id="l1536">Sous des raisons d’Estat pouvoit se déguiser ;</l>
            <l n="1537" xml:id="l1537">Mais par vostre vertu ma flame encor accruë</l>
            <l n="1538" xml:id="l1538">Ne peut plus se contraindre à tant de retenuë,</l>
            <l n="1539" xml:id="l1539">Et c’est peu que mon Fils trouve grace en ce jour</l>
            <l n="1540" xml:id="l1540">Si je ne vous apprens qu’il la doit à l’amour.</l>
            <l n="1541" xml:id="l1541">C’est luy qui pour vous seul me contraignant de vivre</l>
            <l n="1542" xml:id="l1542">Me dérobe le sang que j’aimois à poursuivre,</l>
            <l n="1543" xml:id="l1543">Et qui malgré l’orgueil de mes desirs jaloux</l>
            <l n="1544" xml:id="l1544">M’oste<note place="bottom"><hi rend="i">M’oste</hi> : me
                retire, m’arrache, me délivre.</note> à l’ambition pour me donner à vous.</l>
            <l n="1545" xml:id="l1545">C’est luy, c’est cét amour dont l’ardeur me surmonte<note
                place="bottom">C’est à dire : dont l’ardeur triomphe de moi.</note>...</l>
            <l n="1546" xml:id="l1546">Mais quoy ? vous vous troublez, expliquez-vous, Oronte,</l>
            <l n="1547" xml:id="l1547">D’où viennent ces regards tremblans, mal asseurez,</l>
            <l n="1548" xml:id="l1548" part="I">Cette froide surprise ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="M">Helas !</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Vous soûpirez ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1549" xml:id="l1549">Il est vray, je soûpire, et plust au Ciel, Madame,</l>
            <l n="1550" xml:id="l1550">Vous pouvoir déguiser<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Déguiser</hi> : cacher.</note> ce qui trouble mon ame,</l>
            <l n="1551" xml:id="l1551">Les maux que je prévoy ne seroient pas le prix</l>
            <l n="1552" xml:id="l1552">Du funeste secret que vous m’avez appris.</l>
            <l n="1553" xml:id="l1553">Le mien va vous réduire où m’a reduit le vostre,</l>
            <l n="1554" xml:id="l1554">J’ay soûpiré de l’un, vous tremblerez de l’autre,</l>
            <l n="1555" xml:id="l1555">Et plus de vostre amour vous aurez cru l’erreur,</l>
            <l n="1556" xml:id="l1556">Plus la hayne pour moy vous donnera d’horreur.</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1557" xml:id="l1557">Vous aimez donc ailleurs, et l’hymen d’une Reyne</l>
            <l n="1558" xml:id="l1558">Ne vaut pas que pour elle on brise une autre chaisne, </l>
            <l n="1559" xml:id="l1559">La constance en amour est digne d’un Heros.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1560" xml:id="l1560">Mes voeux n’ont reüssy que trop pour mon repos. <pb n="67"
                xml:id="p67"/></l>
            <l n="1561" xml:id="l1561">Quel dur revers, Madame, et qui l’auroit pû croire ?</l>
            <l n="1562" xml:id="l1562">Pour estre aimé de vous j’ay cherché de la gloire,</l>
            <l n="1563" xml:id="l1563">Et je me vois reduit à la necessité</l>
            <l n="1564" xml:id="l1564">De me plaindre d’un bien que j’ay tant souhaité.</l>
            <l n="1565" xml:id="l1565">Haïssez un ingrat, perdez un temeraire,</l>
            <l n="1566" xml:id="l1566">J’ay trop teu ce qu’enfin il ne faut plus vous taire,</l>
            <l n="1567" xml:id="l1567">Mais quand d’amour pour moy vôtre coeur est surpris,</l>
            <l n="1568" xml:id="l1568">Comment vous advouër que je suis vôtre Fils ?</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1569" xml:id="l1569" part="I">Vous, mon Fils ?</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l part="F">Si pour vous la nature muete</l>
            <l n="1570" xml:id="l1570">N’ose de mon destin se faire l’interprete<note place="bottom"
                >Comprendre : N’ose donner un sens à mon destin.</note>,</l>
            <l n="1571" xml:id="l1571">N’épargnez point mon sang, ce sang trop odieux</l>
            <l n="1572" xml:id="l1572">Qui peut-estre en coulant vous l’expliquera mieux.</l>
            <l n="1573" xml:id="l1573">C’est là qu’avec plaisir vous trouverez sans doute</l>
            <l n="1574" xml:id="l1574">Les tristes veritez que vôtre ame redoute ;</l>
            <l n="1575" xml:id="l1575">Pour combler les malheurs de ce funeste jour</l>
            <l n="1576" xml:id="l1576">Satisfaites la hayne au defaut de l’amour,</l>
            <l n="1577" xml:id="l1577" part="I">Il me sera plus doux...</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">N’en soyez point en peine</l>
            <l n="1578" xml:id="l1578">Je la satisferay cette invincible hayne,</l>
            <l n="1579" xml:id="l1579">Vos soûpirs font contre elle un impuissant appas<note
                place="bottom">C’est à dire : Sont impuissants à la séduire, à la
              fléchir.</note>,</l>
            <l n="1580" xml:id="l1580">Et si vous l’étonnez<note place="bottom"><hi rend="i">Vous
                  l’etonnez</hi> : vous la bouleversez.</note> vous ne l’ébranlez pas.</l>
            <l n="1581" xml:id="l1581">Quoy, par de faux devoirs<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Devoirs</hi> : hommages.</note> vous m’aurez sceu reduire</l>
            <l n="1582" xml:id="l1582">A l’aveu de l’orgueil qui vouloit vous détruire,</l>
            <l n="1583" xml:id="l1583">Vous aurez dans mon coeur penetré mes forfaits,</l>
            <l n="1584" xml:id="l1584">Et vos voeux triomphans en feront les effets ?</l>
            <l n="1585" xml:id="l1585">Non, il faut qu’entre nous cette hayne en decide,</l>
            <l n="1586" xml:id="l1586">Elle offre le defy du plus prompt <ref target="#parricide"
                >parricide*</ref><note place="bottom">Comprendre : Le défi de celui qui éliminera
                l’autre le plus rapidement.</note>,</l>
            <l n="1587" xml:id="l1587">Et du moins, si les Dieux ont trompé mon amour, <pb n="68"
                xml:id="p68"/></l>
            <l n="1588" xml:id="l1588">Il vous en coustera l’innocence, ou le jour.</l>
            <l n="1589" xml:id="l1589">Pour vous conserver l’une, il vous faut perdre l’autre,</l>
            <l n="1590" xml:id="l1590">Devenir ma victime, ou me faire la vostre,</l>
            <l n="1591" xml:id="l1591">Et vous résoudre enfin, quoy qui puisse advenir,</l>
            <l n="1592" xml:id="l1592">De perir par mon crime, ou de le <ref target="#prevenir"
                >prévenir*</ref>.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1593" xml:id="l1593">En vain ce vif transport<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >Transport</hi> : égarement.</note> s’empare de vôtre ame,</l>
            <l n="1594" xml:id="l1594">Quoy qui puisse arriver vous regnerez, Madame.</l>
            <l n="1595" xml:id="l1595">Si mes voeux<note place="bottom"><hi rend="i">Vœux</hi> :
                désirs.</note> n’avoient eu qu’un Trône pour objet,</l>
            <l n="1596" xml:id="l1596">Je n’aurois pas deux ans paru comme Sujet,</l>
            <l n="1597" xml:id="l1597">Je n’aurois pas deux ans par un respect sincere</l>
            <l n="1598" xml:id="l1598">Tâché de meriter les bontez de ma Mere,</l>
            <l n="1599" xml:id="l1599">Les armes à la main sans craindre son couroux</l>
            <l n="1600" xml:id="l1600" part="I">J’aurois osé paroistre...</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Ah, que ne l’osiez-vous !</l>
            <l n="1601" xml:id="l1601">Alors ma hayne libre auroit à force ouverte</l>
            <l n="1602" xml:id="l1602">Gousté l’entier plaisir de jurer vôtre perte,</l>
            <l n="1603" xml:id="l1603">Et mon coeur qui sans trouble auroit pû l’écouter</l>
            <l n="1604" xml:id="l1604">N’eust pas eu contre vous de foible à redouter,</l>
            <l n="1605" xml:id="l1605">Mais en vous déguisant vous m’avez sceu contraindre</l>
            <l n="1606" xml:id="l1606">A cherir l’Ennemy que j’avois seul à craindre,</l>
            <l n="1607" xml:id="l1607">Vos <ref target="#flatter">flateuses*</ref> vertus par des
                <ref target="#charmer">charmes*</ref> trop doux</l>
            <l n="1608" xml:id="l1608">Ont pris intelligence avecque mon couroux<note place="bottom"
                >C’est à dire : ont été complices de mon couroux.</note>,</l>
            <l n="1609" xml:id="l1609">Et dans ce qu’à mon coeur elles offrent d’<ref
                target="#amorce">amorce*</ref>,</l>
            <l n="1610" xml:id="l1610">Quand il veut vous haïr, il n’en a pas la force,</l>
            <l n="1611" xml:id="l1611">De tout ce qu’il resout<note place="bottom"><hi rend="i">De
                  tout ce qu’il resout</hi> : de tout ce qu’il décide.</note> vous l’osez
              détourner.</l>
            <l n="1612" xml:id="l1612">Ah, ce crime est trop grand pour vous le pardonner,</l>
            <l n="1613" xml:id="l1613">Cinq enfans immolez par mes trames secretes</l>
            <l n="1614" xml:id="l1614">Me laissent encor moins coupable que vous n’estes ;</l>
            <l n="1615" xml:id="l1615">Par mille et mille soins rendus jusqu’à ce jour</l>
            <l n="1616" xml:id="l1616">Vous m’avez pour mon Fils fait naistre de l’amour,</l>
            <l n="1617" xml:id="l1617">Vous avez allumé dans le sein d’une Mere<pb n="69"
                xml:id="p69"/></l>
            <l n="1618" xml:id="l1618">Une ardeur à la fois et detestable et chere,</l>
            <l n="1619" xml:id="l1619">Et dont j’ay d’autant plus à craindre les effets</l>
            <l n="1620" xml:id="l1620">Qu’elle cherche à m’oster le fruit de mes Forfaits;</l>
            <l n="1621" xml:id="l1621">Elle a beau le prétendre<note place="bottom"><hi rend="i">Le
                  prétendre</hi> : revendiquer cela.</note>, il faut que j’en joüisse<note
                place="bottom">De l’ardeur.</note>,</l>
            <l n="1622" xml:id="l1622">Que je fasse du sang ce dernier sacrifice,</l>
            <l n="1623" xml:id="l1623">Et que l’ambition que j’allois étoufer,</l>
            <l n="1624" xml:id="l1624">Reprenne tout l’orgueil qui l’en fit triompher<note
                place="bottom">L’orgueil qui fit trompher son ambition de son ardeur, de son
                amour.</note>.</l>
            <l n="1625" xml:id="l1625">Dûst en gemir cent fois la Nature détruite</l>
            <l n="1626" xml:id="l1626">J’ai trop bien commencé pour trembler de la suite,</l>
            <l n="1627" xml:id="l1627">Pour craindre lâchement de m’immoler vos jours.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1628" xml:id="l1628">Et bien, prenez ce fer<note place="bottom"><hi rend="i">
                  fer</hi> : arme blanche. Epée ou poignard.</note> s’il vous faut du secours,</l>
            <l n="1629" xml:id="l1629">Puisque ma mort pour vous peut estre un doux spectacle,</l>
            <l n="1630" xml:id="l1630">Hastez-vous d’en joüir, je n’y mets point d’obstacle,</l>
            <l n="1631" xml:id="l1631">Frapez, percez ce coeur dont les derniers soûpirs</l>
            <l n="1632" xml:id="l1632">Furent toûjours l’objet de vos plus chers desirs,</l>
            <l n="1633" xml:id="l1633">Effacez dans mon sang ce tendre caractere<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">ce tendre caractère</hi> : la trace de cette
              inclination.</note>...</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1634" xml:id="l1634">Laissez-moy donc, ingrat, le pouvoir de le faire,</l>
            <l n="1635" xml:id="l1635">Et quand à vous haïr tout semble m’animer<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">M’animer</hi> : me pousser. Terme qui revient assez souvent. Les
                personnages sont habités par leurs passions, aliénés par elles , agis par
                elles.</note>,</l>
            <l n="1636" xml:id="l1636">Arrachez-moy du coeur ce qui vous fait aimer.</l>
            <l n="1637" xml:id="l1637">Ostez-moy cette ardeur qui, quoy que je l’abhorre,</l>
            <l n="1638" xml:id="l1638">Me fait voir dans mon Fils un Amant que j’adore,</l>
            <l n="1639" xml:id="l1639">Et qui bravant l’orgueil qui voudroit son trépas</l>
            <l n="1640" xml:id="l1640">Sçait corrompre ma hayne, et retenir mon bras.</l>
            <l n="1641" xml:id="l1641">En vain ma dureté de vôtre vie ordonne<note place="bottom"
                >veut décider de votre vie.</note>,</l>
            <l n="1642" xml:id="l1642">La Nature vous l’oste, et l’Amour vous la donne,</l>
            <l n="1643" xml:id="l1643">Et quand l’une du jour consent à vous priver,</l>
            <l n="1644" xml:id="l1644">L’autre vient me seduire afin de vous sauver.</l>
            <l n="1645" xml:id="l1645">Dure malignité du panchant qui m’entraine !</l>
            <l n="1646" xml:id="l1646">Les crimes ont toûjours accompagné ma haine,</l>
            <l n="1647" xml:id="l1647">Et tel en est pour moy le triste enchaînement<pb n="70"
                xml:id="p70"/></l>
            <l n="1648" xml:id="l1648">Que cessant de haïr j’en fait un en aimant.</l>
            <l n="1649" xml:id="l1649">D’un violent amour la fureur indomptable</l>
            <l n="1650" xml:id="l1650">Me laisse pour mon Fils brûler d’un feu coupable,</l>
            <l n="1651" xml:id="l1651">Et mon Fils n’est sauvé que par l’indigne ardeur</l>
            <l n="1652" xml:id="l1652">Que mon aveuglement alluma dans mon coeur.</l>
            <l n="1653" xml:id="l1653">Les Dieux l’ont resolu, ma resistance est vaine,</l>
            <l n="1654" xml:id="l1654">Vivez, Ariarate, et faites<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >faites</hi> : épousez.</note> une Reyne,</l>
            <l n="1655" xml:id="l1655">Tandis que je me rends à la necessité</l>
            <l n="1656" xml:id="l1656">De chercher mon repos et vôtre seureté<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Vôtre seureté</hi> : votre sécurité.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1657" xml:id="l1657">Où la trouverez-vous pour un Fils qui vous aime,</l>
            <l n="1658" xml:id="l1658">Qu’en<note place="bottom">Autrement que.</note> daignant
              partager la puissance suprême ?</l>
            <l n="1659" xml:id="l1659">Soyez par vos conseils l’appuy de ses Estats,</l>
            <l n="1660" xml:id="l1660" part="I">Et regnant avec luy...</l>
          </sp>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l part="F">Ne vous y fiez pas.</l>
            <l n="1661" xml:id="l1661">Quoy que j’eusse promis, l’ambition peut-estre</l>
            <l n="1662" xml:id="l1662">Estouferoit l’amour qui s’en est rendu Maistre,</l>
            <l n="1663" xml:id="l1663">Et dans les bras d’autruy<note place="bottom">Si elle le voit
                dans les bras d’une autre femme, sa haine pourrait revenir.</note> ce qu’on aima le
              mieux</l>
            <l n="1664" xml:id="l1664">Devient bien-tost pour nous un objet odieux.</l>
            <l n="1665" xml:id="l1665">Contre un peril si grand asseurons<note place="bottom"><hi
                  rend="i">Asseurons</hi> : mettons en sécurité, préservons.</note> vôtre vie,</l>
            <l n="1666" xml:id="l1666">Par son Ambassadeur le Senat m’y convie,</l>
            <l n="1667" xml:id="l1667">Il m’en ouvre la voye, et j’y sçauray pourvoir.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1668" xml:id="l1668">Les prieres d’un Fils auront quelque pouvoir,</l>
            <l n="1669" xml:id="l1669">Et si le temps fait tout, il m’est permis de croire…</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène III.</head>
          <stage>LAODICE, ARIARATE, AXIANE, ALCINE.</stage>
          <sp who="laodice">
            <speaker>LAODICE.</speaker>
            <l n="1670" xml:id="l1670">Princesse, joüissez enfin de vôtre <ref target="#gloire"
                >gloire*</ref>.<pb n="71" xml:id="p71"/></l>
            <l n="1671" xml:id="l1671">Les Dieux en prirent soin lors qu’un heureux accord</l>
            <l n="1672" xml:id="l1672">Au destin de mon Fils attacha vôtre sort<note place="bottom"
                  ><hi rend="i">Vôtre sort</hi> : votre destin.</note>,</l>
            <l n="1673" xml:id="l1673">Et leur bonté pour vous acheve de paroistre</l>
            <l n="1674" xml:id="l1674">Quand dans l’illustre Oronte ils nous le font connoistre,</l>
            <l n="1675" xml:id="l1675">Recevant de ma main ce Heros pour Epoux</l>
            <l n="1676" xml:id="l1676">Vous ne douterez point s’il est digne de vous,</l>
            <l n="1677" xml:id="l1677">Je vous laisse avec luy partager cette joye,</l>
            <l n="1678" xml:id="l1678" part="I">Il vous en dira plus.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène IV.</head>
          <stage>AXIANE, ARIARATE, ALCINE.</stage>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l part="F">Que faut-il que je croye ?</l>
            <l n="1679" xml:id="l1679">Après les plus beaux voeux à mon rang immolez<note
                place="bottom">Allusion à leur précédent dialogue.</note></l>
            <l n="1680" xml:id="l1680">Se pourroit-il qu’Oronte... Ah de grace, parlez,</l>
            <l n="1681" xml:id="l1681">Quoy que de vôtre sort la Reyne ait pû m’apprendre,</l>
            <l n="1682" xml:id="l1682">Je crains que mon amour n’ait voulu trop entendre,</l>
            <l n="1683" xml:id="l1683">Que d’une erreur flateuse<note place="bottom"><hi rend="i"
                  >flateuse</hi> : trompeuse.</note> il n’ait trop crû l’appas…</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1684" xml:id="l1684">Non, croyez cet amour, il ne vous trompe pas,</l>
            <l n="1685" xml:id="l1685">Je suis Ariarate, et si de ma naissance<pb n="72"
                xml:id="p72"/></l>
            <l n="1686" xml:id="l1686">Je vous ay dérobé toûjours la connoissance,</l>
            <l n="1687" xml:id="l1687">J’ay voulu par mes <ref target="#soins">soins*</ref> meriter
              d’estre aimé</l>
            <l n="1688" xml:id="l1688">Sans que le Trône eust part au feu qui m’a charmé,</l>
            <l n="1689" xml:id="l1689"><ref target="#d-ailleurs">D’ailleurs*</ref>, je m’asseurois
              de l’esprit<note place="bottom">Je séduisais.</note> de la Reyne.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE.</speaker>
            <l n="1690" xml:id="l1690">D’un Peuple <ref target="#emeu">émeu*</ref> contre elle on
              doit craindre la haine,</l>
            <l n="1691" xml:id="l1691">Il s’assemble, il menace, et crie à haute voix</l>
            <l n="1692" xml:id="l1692">Que d’une <ref target="#parricide">Parricide*</ref> il
              abhorre les loix,</l>
            <l n="1693" xml:id="l1693">Que lors que sa fureur contre son sang éclate,</l>
            <l n="1694" xml:id="l1694">Ne l’en oser punir c’est perdre Ariarate.</l>
            <l n="1695" xml:id="l1695">La fuite est dangereuse, et dans un pareil sort<note
                place="bottom"><hi rend="i">Dans un pareil sort</hi> : dans une telle
                situation.</note>...</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1696" xml:id="l1696">Le Peuple a sceu déja vanger ma fausse mort,</l>
            <l n="1697" xml:id="l1697">Et ce hardy tumulte où sa crainte l’engage</l>
            <l n="1698" xml:id="l1698">De sa fidelité me donne un nouveau gage,</l>
            <l n="1699" xml:id="l1699">Mais il faut le calmer, et c’est ce que je puis.</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène V.</head>
          <stage>ARIARATE, AQUILIUS, AXIANE, ALCINE.</stage>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1700" xml:id="l1700">Seigneur, il n’est plus temps de cacher qui je suis.</l>
            <l n="1701" xml:id="l1701">La Reyne et la Princesse ont appris ma naissance.</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1702" xml:id="l1702">Tout se perdroit, Seigneur, par un plus long silence.</l>
            <l n="1703" xml:id="l1703">J’ay rencontré la Reyne, et je viens devant tous</l>
            <l n="1704" xml:id="l1704">De luy redire encor ce qu’elle a sceu de vous,</l>
            <l n="1705" xml:id="l1705">Mais ce n’est point assez ; il faut par vostre veuë<pb
                n="73 G" xml:id="p73"/></l>
            <l n="1706" xml:id="l1706">Appaiser promptement la populace <ref target="#emeu"
                >esmeuë*</ref>,</l>
            <l n="1707" xml:id="l1707">Qui grossissant toûjours dans la Cour du Palais</l>
            <l n="1708" xml:id="l1708">D’elle contre son Fils craint de nouveaux forfaits.</l>
            <l n="1709" xml:id="l1709">Ce peuple à haute voix la nomme <ref target="#parricide"
                >Parricide*</ref>,</l>
            <l n="1710" xml:id="l1710">Et peut-estre il suivroit la fureur qui le guide</l>
            <l n="1711" xml:id="l1711">Si pour la retenir et calmer son effroy</l>
            <l n="1712" xml:id="l1712">Nous differions encor à luy montrer son Roy,</l>
            <l n="1713" xml:id="l1713">Hastons-nous, le temps presse, et tout paroist à
              craindre.</l>
          </sp>
          <sp who="axiane">
            <speaker>AXIANE <hi rend="i">à Ariarate.</hi></speaker>
            <l n="1714" xml:id="l1714">Allez, Seigneur, ce feu ne peut trop tost s’éteindre,</l>
            <l n="1715" xml:id="l1715">On y feroit sans vous des efforts superflus.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1716" xml:id="l1716" part="I">J’y cours, mais...</l>
          </sp>
        </div>
        <div type="scene">
          <head>Scène VI.</head>
          <stage>ARIARATE, AQUILIUS, AXIANE, PHRADATE, ALCINE.</stage>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l part="F">Ah, Seigneur, la Reyne ne vit plus.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1717" xml:id="l1717" part="I">O Ciel !</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l part="F">Quoy, des Mutins l’aveugle et prompte audace...</l>
          </sp>
          <sp who="phradate">
            <speaker>PHRADATE.</speaker>
            <l n="1718" xml:id="l1718">Non, Seigneur, apprenez quelle est cette <ref
                target="#disgrace">disgrace*</ref>.</l>
            <l n="1719" xml:id="l1719">Ayant sceu que le Peuple au Palais amassé</l>
            <l n="1720" xml:id="l1720">Pour voir son nouveau Maistre avoit déja pressé<note
                place="bottom"><hi rend="i"> pressé</hi> : insisté.</note>,</l>
            <l n="1721" xml:id="l1721">Sur l’appuy d’un Balcon obstinée à paroistre <pb n="74"
                xml:id="p74"/></l>
            <l n="1722" xml:id="l1722">La Reyne aux Factieux se fait d’abord connoistre,</l>
            <l n="1723" xml:id="l1723">Et sa veuë aussi-tost animant leur fureur,</l>
            <l n="1724" xml:id="l1724">Tous pour elle à la fois ont marqué de l’horreur.</l>
            <l n="1725" xml:id="l1725">Joignant insolemment l’injure à la menace</l>
            <l n="1726" xml:id="l1726">Du plus sanglant reproche ils armoient leur audace</l>
            <l n="1727" xml:id="l1727">Quand d’un ton<note place="bottom"><hi rend="i">Ton</hi> :
                timbre.</note> qui de loin pouvoit estre entendu,</l>
            <l n="1728" xml:id="l1728"><hi rend="i">Va</hi>, dit-elle,<hi rend="i"> sans toy je sçay
                ce qui m’est deu</hi><note place="bottom"><hi rend="i">Ce qui m’est dëu</hi> : ce
                qui me reste à faire.</note>,</l>
            <l n="1729" xml:id="l1729">
              <hi rend="i">Peuple lâche, et de qui les timides maximes</hi>
              <note place="bottom">
                <p><hi rend="i">Maximes</hi> : principes.</p>
              </note>
            </l>
            <l n="1730" xml:id="l1730"><hi rend="i">T’ont fait jusques icy dissimuler mes
                crimes</hi>,</l>
            <l n="1731" xml:id="l1731">
              <hi rend="i">Sans moy qui contre moy te veux prester mon bras</hi>
            </l>
            <l n="1732" xml:id="l1732">
              <hi rend="i">Tu tremblerois toûjours, et ne punirois pas.</hi>
            </l>
            <l n="1733" xml:id="l1733">Là tirant un poignard dont elle estoit saisie<note
                place="bottom"><hi rend="i">Saisie</hi> : en possession.</note></l>
            <l n="1734" xml:id="l1734">Avant qu’on l’ait pû voir elle a tombé<note place="bottom"
                >Nous dirions : elle est tombée.</note> sans vie,</l>
            <l n="1735" xml:id="l1735">Un seul coup malgré nous a terminé son sort<note
                place="bottom"><hi rend="i">A terminé son sort</hi> : a mis fin à ses
              jours.</note>.</l>
          </sp>
          <sp who="ariarate">
            <speaker>ARIARATE.</speaker>
            <l n="1736" xml:id="l1736">O Fils trop malheureux ! ô déplorable mort !</l>
          </sp>
          <sp who="aquilius">
            <speaker>AQUILIUS.</speaker>
            <l n="1737" xml:id="l1737">Le Ciel est équitable, et le fait bien connoistre,</l>
            <l n="1738" xml:id="l1738">Mais le peuple, Seigneur, soûpire aprés son Maistre,</l>
            <l n="1739" xml:id="l1739">Forcez vostre douleur, et pour prix de sa foy</l>
            <l n="1740" xml:id="l1740">Allons luy faire voir et sa Reyne et son Roy.</l>
            <p rend="center">Fin du cinquiéme et dernier Acte.</p>
          </sp>
        </div>
      </div>
    </body>
    <back>
      <div>
        <head>Glossaire</head>
        <entryFree xml:id="amorce">
          <form>Amorce</form>
          <def>Plus petit signe de manifestation d’amour.</def>
          <xr>V. <ref target="#l101">101</ref>, <ref target="#l1609">1609</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="charmer">
          <form>Charmer</form>
          <def>Sens fort. Du latin :<hi rend="i"> carmen</hi> , chant. Séduire comme par un charme
            magique, ensorceler. <hi rend="i">Charme</hi> : attirance qui tient du sortilège.</def>
          <xr>V. <ref target="#l47">47</ref>, <ref target="#l677">677</ref>, <ref target="#l787"
              >787</ref>, <ref target="#l989">989</ref>, <ref target="#l1607">1607</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="deputer">
          <form>Députer</form>
          <def>Députer quelqu’un, envoyer un représentant. <hi rend="i">Députer</hi> est aujourd’hui
            transitif.</def>
          <xr>V. <ref target="#l1">1</ref>, <ref target="#l905">905</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="disgrace">
          <form>Disgrace</form>
          <def>Malheur.</def>
          <xr>V. <ref target="#l141">141</ref>, <ref target="#l714">714</ref>, <ref target="#l1081"
              >1081</ref>, <ref target="#l1150">1150</ref>, <ref target="#l1718">1718</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="d-ailleurs">
          <form>D’ailleurs</form>
          <def>Par ailleurs.</def>
          <xr>V. <ref target="#l341">341</ref>, <ref target="#l1081">1081</ref>, <ref
              target="#l1689">1689</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="douceur">
          <form>Douceur</form>
          <def>Jouissance, plaisir extrême.</def>
          <xr>V. <ref target="#l145">145</ref>, <ref target="#l184">184</ref>, <ref target="#l341"
              >341</ref>, <ref target="#l424">424</ref>, <ref target="#l530">530</ref>, <ref
              target="#l839">839</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="emeu">
          <form>Émeu</form>
          <def>Soulevé, qui s’agite.</def>
          <xr>V. <ref target="#l1045">1045</ref>, <ref target="#l1174">1174</ref>, <ref
              target="#l1209">1209</ref>, <ref target="#l1445">1445</ref>, <ref target="#l1690"
              >1690</ref>, <ref target="#l1706">1706</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="entendre">
          <form>Entendre</form>
          <def>Comprendre.</def>
          <xr>V. <ref target="#l956">956</ref>, <ref target="#l982">982</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="flatter">
          <form>Flatter</form>
          <def>Tromper. Donner l’espoir. Charmer, séduire. Entretenir dans l’espérance trompeuse
            de.</def>
          <xr>V. <ref target="#l1607">1607</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="fier">
          <form>Fier</form>
          <def>Cruel.</def>
          <xr>V. <ref target="#l81">81</ref>, <ref target="#l454">454</ref>, <ref target="#l946"
              >946</ref>, <ref target="#l1481">1481</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="foy">
          <form>Foy</form>
          <def>Fidélité, dévouement. Engagement.</def>
          <xr>V. <ref target="#l548">548</ref>, <ref target="#l594">594</ref>, <ref target="#l1021"
              >1021</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="gloire">
          <form>Gloire</form>
          <def>Se dit par emprunt et par participation, de l’honneur mondain, de la louange, ou de
            l’approbation qu’on donne au mérite, au sçavoir, et à la vertu des hommes.
            (Furetière)</def>
          <xr>V. <ref target="#l66">66</ref>, <ref target="#l86">86</ref>, <ref target="#l150"
              >150</ref>, <ref target="#l169">169</ref>, <ref target="#l183">183</ref>, <ref
              target="#l289">289</ref>, <ref target="#l1141">1141</ref>, <ref target="#l1243"
              >1243</ref>, <ref target="#l1670">1670</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="nature">
          <form>Nature</form>
          <def>Mouvement, sentiment interne d’une lumière d’une connaissance qui est comme née avec
            nous, pour discerner ce qui est bon, ou mauvais, ce qui nous sert, ou ce qui nous nuit,
            laquelle à quelques égards nous est commune avec les animaux (Furetiere). On entend donc
            par <hi rend="i">nature</hi> au XVII<hi rend="sup">e</hi> ce que l’homme est porté à
            ressentir par une impulsion naturelle. Cette notion apparait de manière résurgente dans
            les tragédies classiques, cornéliennes notamment, où le héros s’y retrouve fréquemment
            confronté. On se rappelera entre autre des fameux vers prononcés par Cléopâtre dans
            Rodogune : « Sors de mon corps Nature… ». Nous dirions aujourd’hui <hi rend="i">garder
              pour</hi>. </def>
          <xr>V. <ref target="#l462">462</ref>, <ref target="#l729">729</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="ou">
          <form>Où</form>
          <def>Auquel. L’ancien français usait largement d’adverbes relatifs, à la place d’un
            relatif précédé d’une préposition : <hi rend="i">dont</hi> pour <hi rend="i">de qui,
              duquel, avec qui, avec quel</hi> etc. <hi rend="i">où</hi> pour <hi rend="i">à qui,
              chez qui</hi> etc…Notons que <hi rend="i"> auquel</hi> est une contraction du pronom
            relatif précédé de la préposition <hi rend="i">à.</hi></def>
          <xr>V. <ref target="#l102">102</ref>, <ref target="#l150">150</ref>, <ref target="#l925"
              >925</ref>, <ref target="#l954">954</ref>, <ref target="#l1224">1224</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="parricide">
          <form>Parricide</form>
          <def>Ne signifiait pas seulement meurtre du père ou de la mère mais encore meurtre d’un
            parent ou d’un souverain. Au v. 1002 il s’agit du meurtre du fils.</def>
          <xr>V. <ref target="#l1002">1002</ref>, <ref target="#l1166">1166</ref>, <ref
              target="#l1586">1586</ref>, <ref target="#l1692">1692</ref>, <ref target="#l1709"
              >1709</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="presser">
          <form>Presser</form>
          <def>Pousser impérieusement. Sens fort.</def>
          <xr>V. <ref target="#l8">8</ref>, <ref target="#l52">52</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="prevenir">
          <form>Prévenir</form>
          <def>Devancer, se prémunir contre.</def>
          <xr>V. <ref target="#l670">670</ref>, <ref target="#l1103">1103</ref>, <ref
              target="#l1227">1227</ref>, <ref target="#l1399">1399</ref>, <ref target="#l1467"
              >1467</ref>, <ref target="#l1592">1592</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="reserver">
          <form>Reserver au</form>
          <def>Me destiner au. <hi rend="i">Reserver</hi> ne réfère plus aujourd’hui qu’à
            l’inanimé.</def>
          <xr>V. <ref target="#l34">34</ref>, <ref target="#l150">150</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="souffrir">
          <form>Souffrir</form>
          <def>Accepter, tolérer, consentir.</def>
          <xr>V. <ref target="#l805">805</ref>, <ref target="#l1199">1199</ref>, <ref
              target="#l1233">1233</ref>, <ref target="#l1285">1285</ref>, <ref target="#l1375"
              >1375</ref>, <ref target="#l1512">1512</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="soins">
          <form>Soins</form>
          <def>Assiduités.</def>
          <xr>V. <ref target="#l171">171</ref>, <ref target="#l341">341</ref>, <ref target="#l482"
              >482</ref>, <ref target="#l1687">1687</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="voeux">
          <form>Vœux</form>
          <def>Souhaits.</def>
          <def>Langage de la galanterie en usage au XVII<hi rend="sup">e</hi>. Hommages, soins
            amoureux.</def>
          <xr>V. <ref target="#l41">41</ref>, <ref target="#l171">171</ref>, <ref target="#l181"
              >181</ref>, <ref target="#l231">231</ref>, <ref target="#l247">247</ref>, <ref
              target="#l343">343</ref>, <ref target="#l798">798</ref>.</xr>
        </entryFree>
        <entryFree xml:id="zele">
          <form>Zèle</form>
          <def>Dévouement.</def>
          <xr>V. <ref target="#l445">445</ref>, <ref target="#l482">482</ref>, <ref target="#l531"
              >531</ref>, <ref target="#l534">534</ref>, <ref target="#l604">604</ref>.</xr>
        </entryFree>
      </div>
      <div>
        <head>Bibliographie</head>
        <div>
          <head>Les sources</head>
          <div>
            <head>Textes de référence</head>
            <bibl>CORNEILLE Pierre, <title>Héraclius, empereur d’Orient</title>. préf. de Georges
              Forestier, Paris, Cicéro, 1995.</bibl>
            <bibl>CORNEILLE Pierre, <title>Rodogune</title>,</bibl>
            <bibl>CORNEILLE Pierre, <title>Don Sanche d’Aragon</title>,</bibl>
            <bibl>CORNEILLE Pierre, <title>Horace</title>,</bibl>
            <bibl>CORNEILLE Pierre, <title>Cinna</title>, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la
              Pléiade, 1984.</bibl>
            <bibl>CORNEILLE Thomas, <title>Camma</title>, éd. Critique par Derek A. Watts.,
              University of Exeter, 1977.</bibl>
            <bibl>CORNEILLE Thomas, <title>Ariane</title>, Chefs-d’œuvre de Pierre et Thomas
              Corneille, avec le commentaire de Voltaire, 1821. </bibl>
            <bibl>CORNEILLE Thomas, <title>Stilicon</title>, éd. critique par C.J. Gossip, Genève,
              Paris, Droz, 1974. </bibl>
          </div>
          <div>
            <head>Les sources historiques</head>
            <bibl>JUSTIN, <title>Abrégé de l’Histoire Universelle de Trogue Pompée, extraite de
                Trogue Pompée, traduite…</title>, Paris, Barbou, 1788.</bibl>
          </div>
        </div>
        <div>
          <head>Autour de Thomas Corneille</head>
          <bibl>ANDRIEU-GUITRANCOURT, Antoine, <title>Le Festival Corneille : 20 ans de théâtre à
              Barentin, 1956-1975</title>, Paris, Médianes, 1994.</bibl>
          <bibl>CARLEZ Jules, <title>Pierre et Thomas Corneille librettistes</title>, Mémoire de
            l’Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1881.</bibl>
          <bibl>LAPERT Louis, <title>Pierre Corneille et ses frères…</title> / Pierre et Thomas
            Corneille aus Andélys, Association pour l’animation et la coordination culturelle à
            Yvetot et dans le Pays de Caux, 1984.</bibl>
          <bibl>REYNIER Gustave, <title>Thomas Corneille : sa vie et son théâtre</title>, Genève,
            Statkine reprints, 1970.</bibl>
        </div>
        <div>
          <head>Ouvrages généraux sur le XVII<hi rend="sup">e</hi> siècle</head>
          <bibl>ADAM Antoine, <title>Littérature française</title>, Paris, Arthaud, 1968.</bibl>
          <bibl>LANCASTER Henry Carrington, <title xml:lang="en">A History of French Dramatic
              Literature in the Seventeenth Century</title>, Part III, New York, Gordian Press,
            1966.</bibl>
          <bibl>PARFAICT François et Claude, <title>Histoire du théâtre français depuis son origine
              jusqu’à présent</title>…, Genève, Slatkine reprints, 1967.</bibl>
        </div>
        <div>
          <head>Ouvrages sur le théâtre classique</head>
          <bibl>AUERBACH Erich, <title>Le Culte des passions, essais sur le XVII<hi rend="sup"
                >e</hi> siècle français</title>, Paris, Macula, 1998. </bibl>
          <bibl>DOUBROVSKI Serge, <title>Corneille et la dialectique du héros</title>, Paris,
            Gallimard, 1982.</bibl>
          <bibl>EMELINA Jean, <title>Comédie et tragédie</title>, Nice, Publications de la faculté
            des Lettres, arts et sciences humaines de Nice, 1998.</bibl>
          <bibl>FORESTIER Georges, <title>Introduction à l’analyse des textes classiques</title>,
            Paris, Nathan, 1994.</bibl>
          <bibl>FORESTIER Georges, <title>Essai de génétique théâtrale</title>, Paris, Klincksieck,
            1996</bibl>
          <bibl>FORESTIER Georges, <title>Esthétique del’identité dans le théâtre français
              (1550-1680). Le déguisement et ses avatars</title>, Genève, Droz, 1988 </bibl>
          <bibl>SCHERER Jacques, <title>La Dramaturgie classique en France</title>, Paris, Nizet,
            1986.</bibl>
          <bibl>SPITZER Leo, <title>Études de style</title>, Paris, Gallimard, 1970.</bibl>
          <bibl>TRUCHET Jacques, <title>La Tragédie classique en France</title>, Paris, Presses
            universitaires de France, 1997.</bibl>
        </div>
        <div>
          <head>Articles</head>
          <bibl>DUBU Jean, « La femme et l’exercice du pouvoir au XVII<hi rend="sup">e</hi> », Actes
            de Davis, <title>La femme et le théâtre au pouvoir</title>, 1988.</bibl>
          <bibl>FORESTIER Georges, « Corneille et le mystère de l’identité », Actes du colloque tenu
            à Rouen, <title>Pierre Corneille</title>, 1984.</bibl>
          <bibl>PAVEL Thomas, « Rodogune, jeu rituel », <title>Littérature</title>, n° 71,
            1988.</bibl>
          <bibl>RONZEAUD Pierre, « La femme au pouvoir ou le monde à l’envers »,<title> XVII<hi
                rend="sup">e</hi> siècle</title>, n° 108, 1975.</bibl>
          <bibl>STATAMO Doreena Ann, « Le renversement symétrique des rôles masculins et féminins
            dans les pièces Rodogune et Horace »<title>, Papers on French Seventeenth Century
              Literature</title>, 1989.</bibl>
        </div>
        <div>
          <head>Dictionnaires et outils grammaticaux</head>
          <bibl>FURETIERE Antoine, <title>Dictionnaire universel</title> […], La Haye – Rotterdam,
            A. et R. Leers, 1690. </bibl>
          <bibl>RICHELET Pierre, <title>Dictionnaire François</title> […], Genève, J-H. Widerhold,
            1680 (réimp. : Genève, Slatkine reprints, 1970).</bibl>
        </div>
      </div>
    </back>
  </text>
</TEI>